Ce tome fait suite à Trees tome 1 (épisodes 1 à 8) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il comprend les épisodes 9 à 14, initialement parus en 2015/2016, écrits par Warren Ellis, dessinés et encrés par Jason Howard, avec une mise en couleurs également réalisée par Jason Howard.


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- ATTENTION - Ce commentaire dévoile des points de l'intrigue du premier tome. -


Le récit commence plusieurs semaines après la fin du premier tome. Le cadavre du docteur Marsh (un des membres de la station scientifique Blindhail de Spitzberg en Norvège, sur l'île de Svalbard) se retrouve au fond de l'océan. Il est rapidement colonisé par les fleurs noires, surnommées coquelicots de Blindhail. Il aura fallu plusieurs semaines à Jo Creasy pour se remettre de l'accident d'hélicoptère, survenu lors de l'évacuation de la base de Blindhail. Quelques jours après être de retour chez elle, elle est convoquée à Londres par Ridley Calderwood, un membre permanent du cabinet du secrétaire d'état à la sécurité intérieure. Sur le chemin, son bus est détourné de son itinéraire, suite à une explosion dans une rue. Calderwood lui propose de l'envoyer en mission dans les Orcades (Orkney), au frais du gouvernement, sur le site de l'Arbre qui s'est implanté là-bas.


Il y a 11 ans, les Arbres arrivaient en provenance de l'espace et s'implantaient sur Terre, en prenant racine sur des sites disséminés à la surface du globe. L'implantation de celui de New York causa des lames de fond, entraînant la mort de dizaines de milliers de newyorkais et une gestion de la crise par la police, très critiquée. Vince, le maire élu devant prendre ses fonctions d'ici quelques jours, fait regarder des images d'archive de cette catastrophe au Préfet de Police (commissioner, son nom n'est pas donné). Il propose au Préfet de rester en place, alors que généralement l'alternance est de mise, car c'est le maire qui le nomme. Le Préfet accepte car il y voit la perspective d'effectuer le plus long mandant de l'histoire de la ville, dans ce poste. Vince en rend compte ensuite à Del, son chef de cabinet.


Dans le premier tome, Warren Ellis emmenait le lecteur suivre la vie de quatre individus à proximité de quatre Arbres différents : dans la cité de Chu en Chine, dans la base scientifique de Blindhail en Norvège, sur l'île de Cefalù en Sicile, et à Mogadishu en Somalie. La fin du dernier épisode remettait en cause les personnages principaux d'une manière drastique, laissant le lecteur dans l'expectative quant à la direction du récit pour le tome suivant. Par la force des choses, il s'est opéré un glissement dans les personnages principaux, le lecteur suivant 2 fils narratifs : (1) la mission de Jo Creasy dans les Orcades, (2) les manigances et manipulations de Vince, le futur maire de New York. Le premier fil narratif apparaît logique et dans la continuité directe du tome précédent. Il était apparu des fleurs ressemblant à des coquelicots noirs autour de la base de Blindhail, qui étaient en fait des capteurs lâchés par l'Arbre. Le gouvernement des États-Unis s'inquiète de savoir si d'autres Arbres ont lâché de tels dispositifs. Jo Creasy est une jeune femme avec la tête sur les épaules, réfléchissant à ce qu'elle fait, à ce qu'elle observe, et essayant de comprendre comment elle est vraisemblablement manipulée par Ridley Calderwood. Warren Ellis lui donne une personnalité affirmée, avec une bonne perspicacité. Il s'amuse à la confronter à l'équipe de chercheurs en place sur l'île de l'Arbre dans les Orcades. Le lecteur sourit en voyant cette femme de la ville tester son réseau téléphonique, comme si elle venait de débarquer au bout du monde dans un endroit à peine civilisé. Il sourit encore quand elle se fait gentiment rembarrer par le docteur Ian Greenaway (archéologue) pour ses a priori basés sur des archétypes.


Le deuxième fil narratif est plus inattendu. Vince (le futur maire de New York) et Del apparaissaient bien dans le premier tome, mais juste le temps de quelques pages et pas dans tous les épisodes. Ce fil narratif est l'occasion de revenir sur la catastrophe engendrée par l'implantation d'un Arbre à New York, ainsi que sur les objectifs réels de Vince. Le lecteur regarde les reportages sur l'arrivée de l'Arbre, en même temps que le Préfet et le futur maire, mesurant les dégâts occasionnés, l'Arbre semblant n'avoir aucune conscience de la présence d'individus dotés de conscience, ou d'une civilisation. Lorsque le maire circule en canot à moteur dans les canaux de New York (les rues qui ont été immergées), il constate également l'état de délabrement de certains quartiers, ainsi que les conséquences de la violence exercée par les gangs. Ce nouveau fil narratif surprend un peu au départ, mais il représente un bon tiers de ce volume. Warren Ellis y développe des thèmes comme la corruption, les tractations officieuses et les choix lors d'une opération de police de grande envergure.


Warren Ellis met en scène des personnages qui accomplissent des actions pour atteindre leurs objectifs, ou dans le cadre de l'exercice de leur métier. En tant qu'individus autonomes, ils échangent avec les gens qui les entourent, et parlent parfois de sujets connexes. Certaines réflexions reflètent leur culture, c'est ainsi que le lecteur découvre des références à Parliament &Funkadelic (2 groupes de George Clinton) ou à Bobby Seale, le co-fondateur du Black Panther Party. L'atterrissage de l'avion emmenant Jo Creasy aux Orcades est l'occasion d'évoquer une particularité intrigante sur le mode opératoire pour s'assurer que les pneus accrochent bien au tarmac. Il est également question des premiers sites culturels de l'humanité. Warren Ellis prend son lecteur au dépourvu en évoquant la stratégie de communication des gouvernements, et la nécessité de pratiquer la rétention d'information pour éviter les mouvements de panique. Il prend un exemple dont il est bien difficile de savoir s'il est réel ou non (une confusion entre les termes pédophile et pédiatre), et le transpose à la situation de Jo Creasy (avec une confusion entre un coquelicot et une pensée des jardins). Non seulement, le scénariste se montre convaincant quant à la dangerosité d'informations non maîtrisées, mais en plus il rétablit l'importance du savoir et des experts.


Jason Howard réalise des dessins dans la même veine que pour le premier tome, en particulier avec des traits de contours un peu cassants, et de fines hachures pour marquer la texture des surfaces. Cela donne une vision de la réalité, un peu abrasive et un peu usée. Comme dans le premier tome, Warren Ellis se repose entièrement sur lui pour plusieurs scènes d'action, ou même simplement descriptives. Ainsi les 4 premières pages sont muettes, pour montrer le cadavre qui s'enfonce dans l'eau, avant d'être colonisé par les fleurs. La narration visuelle est impeccable, compréhensible au premier coup d'œil. Toujours dans l'épisode d'ouverture, le dessinateur réalise 5 pages dépourvues de texte pour décrire l'arrivée de l'Arbre en plein cœur de New York. Le défi est de taille pour donner de la crédibilité à cette catastrophe, pour montrer l'ampleur de la destruction, pour convaincre le lecteur que les pauvres newyorkais n'avaient aucune chance. Avec des dessins secs, un peu simplifiés, Jason Howard atteint l'objectif qui lui est assigné, alors même qu'aucun mot ne vient souligner la force de l'impact, ou commenter sur la brutalité de cet enracinement. Qui plus est, le lecteur n'a pas l'impression de parcourir une énième scène de destruction massive, prête à l'emploi, ou pleine de clichés de cinéma catastrophe à gros budget.


Il y a régulièrement des scènes dépourvues de texte où tout repose sur les images. L'artiste impressionne par la rigueur de sa narration et par l'efficacité de ses cases. Il réussit l'arrivée de Jo Creasy dans l'île des Orcades, où le lecteur a l'impression de découvrir le paysage comme elle le voit en regardant par la fenêtre de la voiture. Il s'avère aussi à l'aise pour une sortie en canot à moteur dans les canaux de New York, montrant l'état de délabrement des immeubles du secteur concerné, les bâtisses faites de bric et de broc, la vision macabre d'un cadavre flottant entre deux eaux. La narration visuelle s'avère tout aussi impeccable pendant les scènes avec dialogue. Jason Howard ne réalise pas des dessins photoréalistes. Le lecteur voit des représentations qui sont un peu simplifiées, tout en étant détaillées, avec des textures générales par surface. Il voit bien que les images évoquent ce qui est représenté, plus qu'elles ne cherchent à reproduire leur apparence exacte. Il remarque de place en place, des angles de vue exagérés pour accentuer l'impression de vitesse ou de violence. Mais ça n'obère en rien la force de conviction des cases. Le langage corporel et les expressions de visage de Jo Creasy la rendent très proche du lecteur, générant une forte empathie avec ses états d'esprit et ses prises de position. À l'opposé du spectre émotionnel, le détachement de l'élu maire Vince et du préfet montre des individus manipulateurs et calculateurs. Leurs attitudes et leur économie de gestes attestent de leur état d'esprit, de leur expérience en coup bas et stratégies à plusieurs coups d'avance.


À la fin du tome, le lecteur ne peut plus imaginer cette histoire dessinée par un autre artiste que Jason Howard. Il a imprimé une identité graphique unique au récit, et il se montre à la hauteur de toutes les exigences (pourtant élevées) du scénariste. Il réussit même à montrer la similitude de forme entre une cicatrice de Vince et un site de monolithes, rapprochement visuel pourtant audacieux, difficile à réaliser sans le rendre ridicule. Warren Ellis continue de dérouler son intrigue d'extraterrestres immobiles implantés selon leur bon vouloir sur Terre, sans aucune considération pour l'existence des êtres humains. Il alimente le suspense avec les coquelicots de Blindhail, et le risque de leur manifestation sur d'autres sites d'enracinement. Cela suffit pour nourrir une lecture divertissante. Il continue également de faire ressortir les traits de la condition humaine confrontée à l'incompréhensible, à commencer par la peur et le besoin de l'exorciser contre un coupable, quel qu'il puisse être. Le lecteur en retrouve les conséquences les plus manifestes en fin de volume avec un court retour en Chine et en Sicile. Il en voit aussi la manifestation avec l'accueil du docteur Ian Greenaway à l'encontre de Jo Creasy, ou des attaques organisées par le trafiquant Skiff et par l'élu maire, on encore d'odieux attentats contre une minorité ethnique.


Ce deuxième tome continue d'emmener le lecteur au gré de la fantaisie de Warren Ellis, dans un récit très structuré et planifié au long terme. Il est possible de ne pas apprécier l'apparence de surface des dessins de Jason Howard, mais il est indéniable qu'il assure une mise en images excellente d'un scénario très exigeant. Le lecteur se délecte d'une intrigue originale, de réflexions inattendues et intelligentes, avec une narration visuelle épatante.

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le 3 août 2019

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