Le second volume de DoggyBags continue sur la lancée poisseuse mâtinée de fantastique. Run lâche les crayons pour se concentrer sur deux scénarii tandis qu'il convie le prodige Mathieu Bablet aux jeux de l'hémoglobine. Le principe reste le même : trois histoires courtes où le sang coule à flots pour



rendre hommage aux productions gores populaires des seventies



avec un plaisir non retenu. Amateurs de bombes sensuelles, de créatures nocturnes et de faits divers dérangeants, le menu saura allègrement vous nourrir de poisons et sublimer la violence imbécile pour raconter les errances schizophréniques d'une Amérique incapable d'affronter son déclin sociétal.


Honneur aux nouveaux venus, Kieran illustre Elwood & The 40 Freak Bitches sur un scénario d'Antoine Onazam où les voix dans la tête d'un antihéros rendu paranoïaque par la sordide solitude de son existence de pecno le convainquent du bien-fondé de sa mission meurtrière.



Ouais, il y a 15 jours à peine, j'étais tranquillement en train de
rater ma vie au fin fond du Texas. Et cela me convenait très bien.



Persuadé qu'une invasion extraterrestre place sur son chemin désoeuvré les plus belles chaudasses du pays tout en restant conscient de l'absurdité douteuse de cette chance à double tranchant, Elwood distribue les coups de pelle plutôt que de se contenter de les rouler. Les pelles. Scénario sans grande profondeur et par moments un peu trop simple d'Antoine Onazam, le dessin travaillé aux corps de Kieran rehausse l'ensemble et justifie à lui seul la lecture de l'épisode : superbes portraits croqués de l'Amérique redneck,



magnifiques corps lascifs et courbes vertigineuses de femmes taillées dans la sensualité,



le décalage des points de vue raconte sans artifice la schizophrénie naissante du pauvre bonhomme qui trouve enfin une raison d'affuter sa pelle et de prendre la route pour un trip sans retour possible.


The Border vient creuser ensuite le sillon frontalier exploré par Run dans le premier numéro en faisant de la démarcation americano-mexicaine le lieu de tous les fantasmes profonds de miliciens fascisants assoiffés de tir aux migrateurs. Absolution tacite d'une Amérique recroquevillée sur ses visions étriquées d'un monde en mouvement, les personnages nauséabonds de cette petite histoire ne peuvent reconnaître leur vrai nature.



Merde... Vous êtes des putains de tueurs en série...



Milices frontalières face au monstre mythique de l'Amérique centrale, Run joue de la tension psycho-politique pour



donner du corps au vide intellectuel de personnages embourbés dans la poussière dégueulasse du no man's land



et dresser le portrait à peine exagéré de deux ordures trop heureuses de l'inertie fédérale dans le désert, jusqu'à faire tomber les crocs de l'inévitable sentence. Au dessin, Guillaume Singelin ramène son trait déformant sur les gueules dégueulasses des assassins et pose l'aridité des décors en saccades travaillées : c'est aussi envoûtant qu'impressionnant malgré l'apparent dénuement austère.


Le twist final inattendu, après la courte étude des vices inavouables de ces caractères incapables d'accepter l'horreur de leurs actes, ramène le récit dans la lignée cryptique, gore et fantastique, toujours ironique des classiques trash dont il s'inspire : Chupacabra-dabra !


Vol Express 666, scénario de Run encore, invite Mathieu Bablet à développer son admirable talent le temps d'un récit expédié dans les airs entre désespoir et vengeance carnassière.



Je suis toujours avec vous. Maman et toi, vous êtes dans mon coeur.



Après une ouverture barbouillée de traînées et de giclées de sang, inspiré d'un macabre fait divers du printemps 1994, le récit - construit entre flashbacks référencés (de 28 jours plus tôt à 666 jours plus tôt) et terreur présente - plonge le lecteur dans



le désespoir sublimé de violence gratuite d'un homme acculé



face à trois de ses collègues innocents dans le cockpit d'un avion cargo en plein ciel. Si la rage aveugle est au centre d'un scénario fidèle au fait divers réel, c'est bien le dessin riche et appliqué de Mathieu Bablet, illustrateur touché par un don inexplicable et captivant, qui fait la réussite de ce conte aussi enragé que glaçant de sang froid : quand le désespoir déshumanise.


Second volume de la collection, second DoggyBags léché jusqu'à l'os. Si l'on doit passer sa langue pour sucer le sang collé au bout de ses doigts après la lecture, on reste loin de l'écoeurement. Bien au contraire, c'est régal ! Le sang froid y est tour à tour empreint de folie, de bêtise et de désespoir ; et tout ce qu'il nous raconte c'est qu'au-delà des monstres de mythologies lointaines, ce sont bien



ceux qui naissent des dérèglements de l'abandon et de l'ignorance qui restent assurément les plus dangereux,



les plus incontrôlables. Une fois le volume avalé jusqu'à la dernière goutte, on continue avec joie de s'en lécher les babines tant ces restes d'humanité ont le goût percutant des horreurs trash de nos enfances hantées par les sourires cyniques d'un narrateur squelettique et enjoué au fond d'une crypte familière où la dérision venait nous aider à relativiser les rages épidémiques d'un monde trop occupé aux mensonges de ses lumières pour y discerner les horribles rejets dégueulasses incapables de s'y accrocher.

Matthieu_Marsan-Bach
8

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le 22 janv. 2018

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