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Gloria Lopez
5.6
Gloria Lopez

BD franco-belge de Thierry Van Hasselt (2000)

Je regarde Gloria et j'essaie d'en assembler les morceaux.

Gloria Lopez est un album particulier. Visuellement, il rappelle l'impressionnisme ou plutôt, le remet au goût du jour en le faisant bouger. Le scénario cultive quant à lui le flou par ses omissions. L'impression (double) est plus celle d'un moment, mais d'un personnage, celui de Gloria.

Mais qui est-elle, cette Gloria ? On sait pas. On sait pas parce que l'album est une reconstitution. Gloria est morte et le narrateur, un médecin, tente de comprendre qui est sur sa table d'autopsie. Pourquoi un intérêt si grand ? Tout simplement parce qu'il la connaît et que ses rencontres avec elle (dont on sait rien) ont forgé quelque chose qui ressemble à une obsession. Il veut élucider un mystère, celui d'une vie, et posséder l'histoire de Gloria. Le problème, c'est que "Le récit de Louise est tellement incohérent". Dès la première phrase, l'impossibilité de la certitude trône parce que la base historique de l'album est confuse. Au passage, le but du lecteur est exactement le même que celui du médecin. On fait le travail en même temps que lui, au fur et à mesure qu'il nous dévoile ce qu'il sait. Le récit est pas chronologique et la narration change pour nous dévoiler ce que le narrateur ignore aussi.

Gloria Lopez est un casse-tête. Mais pourquoi se donner tant de mal ? Pourquoi chercher à fixer l'identité de Gloria ? Parce qu'on la désire. Ce qu'on remarque d'abord, c'est le désir des personnages. Gloria est telle qu'"on y lit l'innocence, la pureté, la croyance, ainsi qu'un certain nombre d'autres vertus." Tout ça, les personnages veulent se l'approprier. Certains veulent assujettir la pureté pour en profiter et la détruire ; d'autres veulent la conserver (Louise) ; d'autres enfin, veulent la percer, la connaître, même s'il est trop tard. Et le lecteur, là-dedans ? Il est pareil. Il veut posséder Gloria parce qu'elle lui échappe en se cachant dans l'ombre du scénario.

Gloria est désir. Or, le désir est par définition en fuite parce qu'il s'éteint au moment où on réussit à poser sa main dessus. On peut donc dire que Gloria Lopez est une fuite. Gloria fuit dans l'histoire, mais aussi à l'extérieur de celle-ci. Elle sort du cadre et par le fait même, est impossible à capturer. Elle fuit les personnages dans l'histoire parce qu'ils veulent la posséder. Elle fuit le lecteur pour la même raison. Bien sûr, les modalités de la possession sont différentes pour les personnages et pour le lecteur : charnelle (mais pas seulement) pour eux ; idéelle pour lui.

Le paradoxe, c'est que la pureté évolue dans un univers sordide. Louise recueille Gloria, veut la protéger, la conserver, mais pour elle, Gloria est une curiosité, une anomalie (dont elle veut disposer à sa guise). Louise, tenancière d'un cabaret-bordel, va même jusqu'à exposer Gloria. Évidemment, on se demande comment la pureté peut subsister dans un endroit si décadent. La préservation de la pureté semble impossible à première vue, étant donné l'environnement dans lequel elle évolue. Mais force est de constater que Van Hasselt réussit à nous présenter une Gloria qui reste immaculée. Il fait ça en nous disant pas ce qu'il lui arrive. L'inconnu est une cloche de verre pour Gloria. Par le biais d'ellipses, l'auteur enveloppe son personnage d'une pellicule qui l'empêche de se salir.

Van Hasselt fait aussi un truc très intéressant : au début, il montre Gloria en train de se faire photographier (page 11). C'est une case presque anodine à laquelle on fait pas vraiment attention. Pourtant, au fil du récit, on tombe sur les clichés de la séance. Les clichés sont presque identiques : Gloria est toujours dans la même position (sauf exception, mais l'exception est traitée de la même façon) avec son chapeau. Ce qui fait la différence entre les clichés, c'est la lumière, ce qui confère au "Je jouais avec la lumière" du narrateur un côté quasiment prophétique. Le résultat du jeu est une série de clichés semblables, mais néanmoins différents. De cette répétition découle une critique : la photographie est incapable de figer le "réel" (le réel interne parce qu'on sait qu'on est devant une fiction), de le rendre immuable ; le dessin non plus, d'ailleurs (faut pas oublier que c'est ce dont y'est question avant tout). Ainsi, on avoue que l'art pictural est incapable d'épingler la pureté de Gloria, et ce, peu importe le médium ; même le médium est impuissant face à la fuite qu'il rend possible.

Gloria Lopez est un album qui fait surtout parler l'image. Néanmoins, le texte, souvent absent et, du reste, bref, est, à mon sens, très riche. On est souvent devant des phrases qui ont un sens immédiat, mais qui, si on y réfléchit un instant, sont porteuses de quelque chose d'autre. Elles se font constamment référence, elles parlent de la démarche que le lecteur entreprend sans qu'il s'en rende nécessairement compte. Bref, le caractère métafictionnel de l'album exsude du texte. Les dessins le sont tout autant (métafictionnel), autant par ce qu'ils racontent que par ce qu'ils montrent, mais comme l'exemple de la série de clichés parsemant le livre sert à montrer ça, j'en dirai pas plus.

L'image qui parle, donc. La BD commence par la scène 0, où des images en apparences déconnectées nous sont présentées (Gloria assise sur une chaise, des corps nus et inquiets, des gens armés et une case blanche qui réussit presque à être belle). On voit mal ce qui les relie. On comprend quelque chose, mais c'est diffus et vague. Aucun texte, ici. La reconstruction s'annonce sans qu'on le sache ; le fouillis point. Les mots, parfois, servent à rien et Van Hasselt se sert de leur faiblesse en les supprimant par moment. Vive l'évocation. Après, l'évocation est encadrée pour qu'on puisse la suivre, bien sûr.

Enfin, Gloria Lopez est un livre plein de trous dont le but et d'amener le lecteur à tisser sa propre Gloria puisqu'en définitive, il s'agit d'un travail de couture. On participe, on doit participer, parce que sinon, Gloria est en pièces détachées. Au fond, elle est tributaire de ce qu'on en fait. Elle a une multitude d'identités, mais des identités floues. Des impressions d'unicité. On croît avoir une idée de ce qu'elle a été, mais le silence est trop lourd pour que la certitude s'écrase pas. De toute façon, la certitude demande quelque chose de beaucoup plus solide qu'un fantôme pour exister.

C'est un album violent, triste, solitudinal, charnel [que de corps nus moroses], peut-être même éprouvant. Certains vont trouver l'ensemble vain, ennuyeux ou trop facile. On criera au scandale, à l'escroquerie. Pourtant, il suffit de vouloir jouer un peu, de jouer dans une galerie d'exposition en papier et de découvrir des planches magnifiques. L'histoire est, comme l'a dit une clémentine rayée, secondaire. (De toute façon, l'histoire reste celle d'une morte dont on peut seulement croire savoir quelque chose.) Celle qu'on nous raconte est peut-être commune, j'en sais rien. Au fond, je m'en fous parce que l'échafaudage reste solide malgré tout. Du récit de Gloria, on a qu'une rumeur, un murmure et chercher à rétablir les faits va à l'encontre du concept. L'ensemble se tient même si on doit intervenir.

À lire ou simplement à regarder.

Megillah
8
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le 14 janv. 2011

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Megillah

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