Goggles
7.3
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Manga de Tetsuya Toyoda (2012)

On sait peu de choses de Tetsuya Toyoda. Seulement qu’il a été récompensé en 2003 du prix Afternoon de Kodansha (attribué aux meilleurs mangas de l'année), alors qu’il n’était que simple employé d’une grande boîte. Et qu’il n’a pas hésité à lâcher sa planche à dessin pour aller pointer à l’usine pendant deux ans.
Mais cette discrétion va bien à l’auteur japonais. Le propre des mangas de Toyoda réside précisément dans cet art du non-dit, du secret sous-jacent et de la suggestion. Le magnifique Undercurrent (sélectionné à Angoulême en 2009) racontait la douleur sourde d’une jeune femme en charge de la gestion d’un bain public après la disparition mystérieuse de son époux. C'était un manga atmosphérique dans un Japon rural quasi ancestral.

Dans Goggles, recueil de courtes histoires qui paraît en France ce mois-ci, le mangaka cultive son art pour communiquer de petites choses insaisissables à travers des personnages tout en retenue, dont on effleure à peine les secrets: une femme discrète sur le point de se marier qui recherche un vieil homme, un salary man qui recueille une jeune fille mutique, ou tout simplement un couple qui revient d’une brocante…

De la réunion de ces six histoires courtes, réalisées entre 2003 et 2012, naissent d’heureux accidents. L’atmosphère langoureuse se renforce de récit en récit, plongeant le lecteur dans la douce torpeur de ces vies épiées le temps d’un souffle. Magie de la sérendipité, l’auteur a également pris conscience que des thèmes se répondent, la question des violences familiales parcourant le recueil sans qu’elle soit évoquée frontalement dans la plupart des cas.

Efficace, le dessin de Toyoda sert avant tout à distiller une atmosphère qui n’est pas sans rappeler la douce langueur des œuvres de Taniguchi ou d’Inio Asano (en particulier la Fin du monde avant le lever du jour). Comme ces deux grands mangakas, Toyoda ne se complaît pas dans l’exposition des fêlures de ses personnages et le récit n’est jamais glauque. Il prend même parfois des tournures réjouissantes, voire burlesques (un dieu de la misère utilisé comme instrument de vengeance, un simple camion qui se vide sur la route).

L’ouvrage se conclut ainsi sur un thriller culinaire revisitant la madeleine de Proust. Il met en scène un ex-employé de banque à la retraite soutirant l’aide d’une enquêtrice de l’entreprise (qui cherche à établir si le vieil homme a été témoin de malversations) pour retrouver le tonkatsu parfait. Un modeste plat à base de porc pané et frit.
Marius
8

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le 11 oct. 2013

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Marius

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