Ikigami : Préavis de mort par KumaCreep

L’auteur du très bon seinen "Head", qui a su faire parler de lui, nous revient donc avec une œuvre qui change vraiment de ses habitudes. Que ce soit au niveau du dessin ou du thème abordé, on nage en terrain inconnu, c’est à se demander s’il s’agit bel et bien du même auteur. Cette œuvre met en scène un Japon utopique où une loi très spéciale a été instaurée : elle choisit de tuer une personne sur mille, choisie aléatoirement, dans le but d’enseigner la valeur de la vie aux gens. Nous allons donc suivre un livreur de préavis de mort, un livreur d’Ikigami, qui se verra changer de pensées plusieurs fois ; il doutera au sujet de cette loi et de son utilité…


Une œuvre aux multiples prix, ayant aussi été sélectionnée en 2010 au festival d’Angoulême et ayant également obtenu le titre du meilleur seinen de 2010. Je vais vous montrer que tous ces prix sont bel et bien mérités. Une œuvre assez bouleversante par moments, qui nous montre aussi les dernières 24 heures d’une personne ayant reçu un Ikigami. Il y a donc un potentiel mélancolique assez élevé dans cette œuvre, sans pour autant vous faire pleurer à chaque page. C’est donc plutôt beau et ça donne à réfléchir !


Ce que j’ai observé en premier lieu, ce sont les changements de l’auteur par rapport à son ex-œuvre. Comme je l’ai dit dans l’introduction, c’est vraiment flagrant ! On passe du coq à l’âne, déjà rien qu’au niveau des dessins. C’est beaucoup plus sérieux et beaucoup plus conventionnel, donc bien plus maîtrisé que dans son œuvre précédente… Mais malheureusement, ça perd du coup beaucoup au niveau des expressions. Là où l’on voyait bien le trouble du personnage dans "Head", dans Ikigami, c’est plutôt vide. J’ai même envie de vous dire, heureusement qu’il y a les arrière-plans pour exprimer encore plus la gravité d’une situation, parce qu’au niveau des visages, c’est parfois assez ridicule. Le plus souvent, on observe cela dans les fameux passages qu’il y a presque une fois par chapitre, quand une personne reçoit l’Ikigami (donc le papier qui indique qu’il ne reste plus que 24 heures à vivre) : on voit le personnage bouleversé, certes, mais c’est vraiment grâce aux plans choisis, comme un gros plan sur des yeux grand ouverts, ou grâce à l’arrière-plan, d’un noir abyssal, agrémenté parfois d’effets de distorsion, comme pour exprimer de la peur… Donc c’est sûr qu’on sent bien les émotions, mais ce serait bien mieux avec des visages plus expressifs.


Pour le reste des dessins, ils sont plutôt bons, mis à part cette petite régression que je viens d’aborder. Le style beaucoup plus sérieux colle parfaitement à l’ambiance sérieuse du manga. On pourrait presque penser à la dernière œuvre de Urasawa Naoki, "Pluto" (qui est aussi le père de "Monster" et "20th Century Boys"). Du coup, la mise en page est aussi très bonne : elle sait bien nous mettre dans le ton de la réflexion, ça ne part pas dans tous les sens, c’est vraiment très carré et bien construit. Normal, comme je l’ai dit plus haut, Motoro Mase, qui est l’auteur d’Ikigami, a de l’expérience et ça se ressent plutôt bien. C’est pourquoi le style conventionnel qu’il emploie est donc une bonne idée, tout en étant une arme à double tranchant pour lui. Il y perd pas mal, je trouve, comparé à son œuvre précédente…


La progression des histoires suit aussi un schéma tout particulier. Chaque chapitre est à peu près formé sur un certain squelette scénaristique que nous allons décortiquer. On a de courts passages avec notre héros, livrant des préavis de mort, parfois seul ou aux côtés de ses collègues. Ces phases sont courtes, car elles sont essentiellement centrées sur la psyché du héros, sur sa psychologie et sur son avis qui évolue de plus en plus… Souvent dans le doute et la réflexion, cette partie de l’œuvre veut clairement opérer un effet miroir sur le lecteur, comme si on voulait nous montrer progressivement pourquoi cette loi est mauvaise, sans pour autant dire qu’elle est inutile… C’est un vrai travail scénaristique, qui est court et se veut court, pour vraiment faire réfléchir le lecteur très progressivement et très lentement, mais aussi pour ne pas nous endormir et ne pas casser le rythme. Car malheureusement, ces phases ont aussi leur place à la fin de certains chapitres : elles seront là en guise de "morale", plutôt bien ficelée, mais elles ont quand même cet effet qui casse certains passages tristes…


Il y a aussi la partie la plus longue d’un chapitre, qui est la meilleure phase de ce manga à mes yeux : celle que j’ai citée déjà plus haut, "Les dernières 24 heures". Le simple fait d’écrire cette chose entre guillemets me donne un début de chair de poule. Déjà parce que ça fait une phrase d’accroche drôlement classe… Mais plus sérieusement parce que je me rappelle de certaines histoires vraiment troublantes ! Sous un format de contes comme dans "Mushishi", ces petites histoires ne dureront qu’un chapitre et auront vraiment de quoi vous marquer. Elles donnent parfois à réfléchir, mais avec cette fois des exemples (contrairement à l’autre partie plus explicative). C’est dans cette partie où on aura droit à plusieurs personnages, de la vie de tous les jours, des personnes à problèmes… Les voir se battre pour un but pendant leurs dernières 24 heures donne vraiment de la force à ce manga. Ici on met de côté la partie "morale", réflexion : dans cette partie, l’ambiance passe bien sûr dans le drame. Ce n’est pas pour me déplaire, bien au contraire : j’en redemande, car c’est vraiment assez bien ficelé, de sorte à ce qu’un personnage qu’on ne connaît que depuis une vingtaine de pages vienne presque à nous manquer !


Du coup, malheureusement, j’y viens : dans ce manga, on sort très rarement du schéma type de chapitre dressé au début de l’œuvre ! Bien sûr, ces histoires toujours aussi touchantes compensent très bien ce mal, mais ça n’empêche pas qu’il soit bien présent… L’histoire veut bien sûr faire des écarts, de temps en temps, pour faire bouger les quelques personnages principaux (3 personnages), mais ces "arcs" se font beaucoup trop discrets, ils ne font pas avancer les choses. Ils créent donc un malaise chez certains lecteurs qui auraient voulu en voir plus, car ces petites phases ont beaucoup d’importance pour l’univers même du manga. On attend donc pendant 4 tomes qu’une histoire veuille bien sortir du lot, en nous faisant interagir nos personnages principaux avec un problème interne… Puis au final, il ne se passe pas grand-chose, ou du moins pas assez de changements, qui nous font ensuite repartir sur une autre série de tomes suivant encore et toujours sur le même schéma… Ce n’est pas non plus si terrible que ça, car comme je vous l’ai dit, cette œuvre cache dans ces histoires un potentiel mélancolique important, ce qui fait bien relever le niveau, si on accroche aux histoires un peu tristes.


Ce qu’il faut retenir :


Les + :


Des dessins et une mise en page très sérieux, collant très bien à l’ambiance du manga.

Un concept de base très intéressant, qui peut donner lieu à des histoires assez étonnantes.

Très touchant, avoir un cœur de pierre ne suffira pas à ressortir d’un des tomes sans avoir eu au moins une fois la chair de poule.

Les chapitres se découpent en deux parties, très bien orchestrées !

Les - :


Les expressions du visage sont assez mal représentées, seuls les arrière-plans rattrapent le coup… Assez dommage, mais pas non plus terrible.

Tous les chapitres suivront un même schéma, ils dévieront trop peu et assez mal de la structure établie.

On a à faire à un très bon manga, qui restera longtemps dans les mémoires, je pense, malgré le fait que sa parution n’est pas terminée. J’oserais le conseiller à tous, Ikigami est une "expérience à vivre", mais il faut savoir quand même qu’il s’agit d’une œuvre assez sérieuse et du coup réservée à un public assez mature ! Ce n’est pas pour autant qu’un amateur de Naruto (Sans vouloir dénigrer qui que ce soit) n’appréciera pas, le développement n’est pas lourd. Alors oui c’est à essayer, car je pense que ce manga est vraiment unique, rien qu’avec son thème… Il a très peu de défauts, à mes yeux il n’en a pas vraiment, du coup je vous conseille vivement de tenter la chose. Je n’ai pas précisé que pour ma part je relis assez fréquemment ces histoires, un peu comme pour "Mushishi" que j’ai cité plus haut, je pense aussi qu’il a un certain potentiel de relecture.


Enfin, j’aimerais finir sur une petite remarque…

Ce qui est à la fois beau, et presque terrible dans cette œuvre, bande de pauvres lecteurs bien tranquilles et en sécurité chez vous... C’est que finalement cette fausse loi… Venue de la fiction qu’est ce manga, nous donne en fin de compte à réellement réfléchir sur le prix et la valeur de la vie. Tout comme le veut cette affreuse loi dans l’univers du manga, peut-être que l’auteur l’a fait exprès, mais que ce soit le cas ou pas c’est bien joué.


KumaCreep
9
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le 20 mars 2013

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