Alice aux Pays des Merveilles sous insuline !

Dans sa jeunesse, Grant Morrison a admis avoir dévoré tous les ouvrages de fantasy qui lui passaient sous la main, Tolkien (Le Seigneur des Anneaux), Howard (Conan le barbare) et j’en passe… Malgré ça, il n’avait encore jamais écrit de comics du genre, c’est maintenant chose faite avec Joe the Barbarian ! Cependant, ça reste du Morrison, c’est donc de la fantasy bien perchée et très différente des œuvres classiques du genre, et ça, on peut s’en apercevoir dès le début…

On commence donc l’histoire accompagné de Joe, un jeune adolescent solitaire, plein d’imagination, possédant une particularité dont on se passerait volontiers : l’hypoglycémie, élément clé du récit. Vivant seul avec sa mère depuis la mort de son père, il est souvent amené à rester seul chez lui et doit donc bien veiller à prendre du sucre régulièrement pour éviter les crises. Evidemment, notre héros va devoir faire face à cette maladie suite à un accrochage avec quelques brutes. Joe finit par oublier de prendre une dose de sucre avant de s’endormir…et se réveille entre hallucination et réalité. Propulsé dans un monde imaginaire qu’il devra sauver, l’adolescent devra se rendre en parallèle dans la cuisine afin de combler son manque de glucides pour ne pas empirer sa situation. Lors de cette soirée orageuse, le lecteur aura l’honneur de suivre Joe dans son aventure. Accompagné par Jack, son fidèle rat, il affrontera bien des menaces, réelles ou non pour sa survie mais aussi pour celle de son monde.

Tout au long de ce récit fantastique, Grant Morrison replonge dans les méandres de l’enfance et nous y emmène avec lui. Dépeignant avec brio les rêves et les peurs de nos jeunes années, il ouvre une porte sur un monde merveilleux et perdu au fin fond de notre imagination infantile. Je vous assure, cherchez bien et vous retrouverez tous cet univers magique où vous avez vécu toutes vos premières aventures. Souvenez-vous en, ces épopées, pleines de pirates, de chevaliers, de robots ou de super-héros… Et bien, suivez Joe et vivez les !

La patte de cet auteur talentueux et toujours surprenant réussit à réveiller en nous une flamme disparue ou diminuée depuis bien longtemps, avec une douceur nostalgique et poétique, celle des rêves, peuplés de paysages éblouissants, de machines volantes et de créatures incroyables et on se laisse emmener par Morrison tout au long du voyage, émerveillés, impatient de connaître le sort de Joe en regrettant presque que le temps passe si vite pendant cette lecture. Un autre point fort du scénario réside dans la connexion des deux aventures de Joe. En effet, on peut voir l’influence du monde réel, que ce soient les objets ou les évènements qui s’y produisent, sur les hallucinations de l’adolescent. Cela renforce la cohérence du récit et rappelle les véritables enjeux de l’histoire au lecteur tout en éclaircissant petit à petit le bout du tunnel dans lequel l’auteur nous promène intelligemment.

La construction du récit, l’élément le plus risqué dans ce genre de double histoires reste malgré tout très claire, compréhensible et sans aucune longueur. Et maintenant, vous pensez retourner en enfance uniquement grâce à Grant Morrison ? Attendez voir les planches sublimes de Sean Murphy…

De plus, le dessinateur dévoile ici, pour notre plus grand plaisir, toute l’étendue de son talent. Il illustre ainsi merveilleusement bien le malaise ambiant et multiple du récit – celui bien réel de Joe, les problèmes financiers de la famille, la coupure de courant ou encore l’orage au dehors – avec des teintes très sombres dès le début nous servant des planches d’une obscurité poétique inouïe, notamment un superbe panorama de la rue de Joe sous la pluie au crépuscule. Afin d’imager un peu plus l’ambiance étrange, il utilise des plans et des angles de vue peu commun pour troubler l’esprit du lecteur, et croyez-moi, ça marche très bien !

Mais ce n’est pas la seule particularité que Sean Murphy nous offrira, en effet, il aime aussi ajouter de petites cases de « transition » entre deux plus grosses, afin de focaliser le lecteur sur un détail particulier et de ne pas le perdre en route. Enfin, et j’ai gardé le meilleur pour la fin, il nous gratifie de magnifiques splash pages, fourmillant de détails et de références en tous genres, provocant une immersion totale du lecteur, le laissant totalement rêveur. Ca faisait un bon moment que je ne m’étais pas attardé autant sur les dessins d’un comics et là, je suis resté littéralement scotché sur chacune de ces doubles pages pendant cinq minutes…

Pour finir, je vais tout vous avouer, quand j’ai vu le pitch de Joe the Barbarian sur différents sites, je n’ai pas été plus emballé que ça et je ne savais surtout pas à quoi m’attendre. Cependant, les différents avis que j’ai pu lire à droite et à gauche m’ont convaincu et je l’ai acheté le jour de sa sortie en France…et je l’ai dévoré ! Un scénario envoûtant et des planches sublimes, que demandez de plus ? Ce comics poétique, magique et brillant vous rendra nostalgique. Vous ferez un voyage dans le temps au cœur de votre enfance et vos rêves les plus fous reviendront à la surface. Après tout, la presse généraliste aime nous qualifier, nous les lecteurs de comics, d’ «adulescents », donc ne vous inquiétez pas, le voyage ne sera pas si long ! Et si vous pensiez que le trajet de votre chambre à votre cuisine était fastidieux, attendez de voir celui de Joe, accompagnez le…
2xR
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 4 juin 2014

Critique lue 269 fois

1 j'aime

2xR

Écrit par

Critique lue 269 fois

1

D'autres avis sur Joe : L'Aventure intérieure

Joe : L'Aventure intérieure
Gzaltan
9

Etourdissant...

Etourdissant. Comme le dit le titre, dans une oeuvre comportant un soin du détail, une qualité graphique irréprochable, et un scénario à plusieurs lectures que nous explorons Joe. Du pitch simple de...

le 7 oct. 2012

10 j'aime

1

Joe : L'Aventure intérieure
Yupichaks
8

The Dying Boy

Grant Morrison est capable du pire comme du meilleur. Ici il arrive avec brio à nous faire entrer dans l'imaginaire formidable de Joe, jeune garçon diabétique un peu perdu qui nous fera vivre des...

le 1 nov. 2012

9 j'aime

Joe : L'Aventure intérieure
Gand-Alf
8

Tempête sous un crâne.

En 2008, le scénariste Grant Morrison et l'illustrateur Sean Murphy joignaient leurs talents pour donner naissance à Joe the Barbarian, mini-série publiée chez Vertigo en huit épisodes dont...

le 3 déc. 2015

3 j'aime

Du même critique

Mes Moires
2xR
9

Passeur de Culture(s)

Il est toujours difficile de donner une note à un récit autobiographique, c’est pourquoi j’ai jugé librement au coup de cœur et attribué une excellente note à ce livre. Là où d’autres idolâtrent de...

Par

le 13 janv. 2021

2 j'aime

La Porte d'ivoire
2xR
8

Avis d'un novice de l'Aventure

Ayant lu aussi peu de romans d’aventure que de Serge Brussolo, il me sera difficile de faire des comparaisons avec d’autres œuvres. Malgré cela (ou peut-être grâce à cela ! ), j’ai pris beaucoup de...

Par

le 9 nov. 2020

1 j'aime