Journal (III)
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Journal (III)

BD (divers) de Fabrice Neaud (1999)

Malgré le nombre imposant de pages de ce troisième tome du Journal, je l’ai lu d’une traite, après avoir adoré les deux premiers.

Le dessin est somptueux, à la fois réaliste et poétique, capable d’enregistrer les moindres détails d’une situation comme les fantasmes du narrateur. On retrouve d’ailleurs la réflexion de Fabrice Neaud sur la représentation et sa possibilité dans une bande dessinée, qui plus est autobiographique. Les deux premiers volumes le faisaient de façon très théorique (et parfois assez complexe) ; cela m’a semblé un peu plus organique ici : comment représenter celui dont on ne se souvient plus des traits ? et celui qu’on ne veut pas rendre reconnaissable ? quels droits et quels devoirs l’artiste a-t-il envers celui qu’il intègre dans un récit autobiographique ? (et quel droit celui qui est amoureux sur celui dont il est épris ?). Sur quels critères doit-on juger une autobiographie (« Je ne peux me départir de l’idée que faire encore du récit de l’intime une affaire de « style » est une manière déguisée d’avouer notre impuissance à nous intéresser à la vie d’autrui. ») ?

En revanche, je n’ai pas retrouvé dans ce volume les nombreuses références picturales des précédents, et que j’avais beaucoup appréciées (mais peut-être ne les ai-je pas identifiées). La composition des planches m’a paru parfois moins audacieuse ; la dimension érotique de certains passages est plus appuyée.

Mais la principale qualité de cette bande dessinée est l’atmosphère qu’elle sait créer, terriblement sombre jusqu’à l’euphorie finale. Fabrice Neaud porte un regard sans concession sur son entourage, la ville de province où il habite et lui-même : on le voit intransigeant, susceptible et difficile à aimer. Mais il représente aussi d’une façon saisissante le sentiment d’une plongée dans les ténèbres, sans espoir de refaire surface. Personnellement, j’y retrouve assez le mal-être ambiant du début des années 90 ; elle reflète la détresse du narrateur, qu’excluent radicalement du reste de la société deux éléments, la précarité économique et l’homophobie, à peine masquée ou qui se déchaîne dans les agressions physiques. La façon dont il montre comment les groupes de sociabilité écartent petit à petit les homosexuels est frappante. Les pages qui montrent la solitude et l’isolement d’un homosexuel de province à cette époque sont terribles.

J’ai lu peu de bandes dessinées (c’est le terme qu’utilise l’auteur lui-même, alors qu’on parlerait maintenant plutôt de roman graphique) qui m’aient vraiment marqué. Celle-ci m’a bouleversé.


Ascyltus
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le 21 mai 2023

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