Kirihito s'inscrit pleinement dans la mouvance adulte de la bibliographie de Tezuka. N'attendez point de bonheur ni de salut ici-bas car y dominent souffrance, bêtise et abjection de l'âme. Les vilénies humaines de tout nature s'entrechoquent, et même les plus grandes réussites professionnelles ou financière cachent une misérabilité intérieure. Chaque personnage se confronte aux tourments de sa catégorie sociale ou de son genre (les violences sexuelles apparaitraient presque une norme détestable des relations homme-femme) et c'est un chemin de croix que chacun devra emprunter pour espérer tricoter une vague résilience.
Le choix de mettre en avant une maladie imaginaire qui transforme progressivement ses victimes en chiens humanoïdes, créatures désormais persécutées, se veut le miroir aux mille reflets de cette interrogation sur l'identité humaine. Il permet également d'explorer un système hospitalo-universitaire gangrené par des luttes d'égo qui ne s’embarrassent pas des conséquences pour les patients ou pour les collègues à abattre. Malgré sa teneur sombre, le propos n'apparait pas comme forcé car le mangaka prend le temps à travers sa fresque internationale de développer ses personnages, rendant naturels leurs actes tant de noblesse que de bassesse comme leurs hésitations face à des choix moraux terribles (doit-on écourter la vie de ce nourrisson mourant en plein désert ou doit-on lutter pour un maintien en vie illusoire ?).
Graphiquement, Kirihito est du pur Tezuka, avec un trait plus réaliste qui ne se départit pas pour autant de ses origines d'apparence enfantine, lui donnant toujours une force d'expressivité. Le découpage des cases se rapproche régulièrement d'une véritable mise en scène cinématographique et certaines planches sont saisissante de puissance et d'inventivité. On reposera régulièrement le livre pour évacuer un peu le poids de ses thématiques mais on ira jusqu'au bout du destin de ces personnages si humains malgré tout.