Un héros naïf en pleine guerre contre Daech

Dire que Zerocalcare est un auteur que je connaissais serait mentir. L’Italien, habitué aux anecdotes autobiographiques, restait inconnu au bataillon. La publication de son roman graphique « Kobane calling » l’a mis sur le devant de la scène. Aller en Syrie à deux pas de Daech pour en faire un récit, voilà qui ne manquait pas de courage… et d’intérêt pour le lecteur ! Le tout pèse quand même 250 pages et est publié chez Cambourakis.


Commençons par la partie documentaire pure. L’auteur part en Turquie à la frontière syrienne. Il est à deux kilomètes de Kobane, ville qui tente de survivre et de résister à Daech. La situation semble compromise. De retour à Rome, Zerocalcare ressent le besoin de repartir. Non pas pour étudier les conséquences de Daech, mais parce qu’il a entendu parler du régime qu’essaient de mettre en place les habitants de Kobane : multiculturel, participatif, égalitaire et non-misogyne. Attiré par cette utopie, il veut se rendre compte par lui-même de la véracité des dires. C’est parti pour un nouveau voyage semé d’embûches.


Ce qui fait la réussite de « Kobane calling » (et qui aurait pu le plomber aussi), c’est qu’on sent que l’auteur n’est pas du tout préparé à réaliser un ouvrage pareil. Ainsi, son histoire est empreinte de son œuvre précédente, sans qu’il ne nous explique son univers. Il y a donc un tatou qui se ballade et qui lui parle (puis un mammouth), une obsession de son quartier romain, une mère sous forme de volatile… Au lecteur de comprendre toutes ces significations qui, sans doute, ont été expliqué dans une histoire passée.


Cette maladresse de l’auteur se transforme en force dans le sens où il dédramatise l’ouvrage. S’il sait être grave quand il le faut, le fait qu’il centre parfois le récit sur ses problèmes d’occidentaux (les lentilles au petit déjeuner, l’incapacité de déféquer…) donne au lecteur l’occasion de respirer. Même si les mécanismes utilisés sont classiques et déjà vus, Zerocalcare rythme parfaitement sa narration pour garder le lecteur en haleine et ne jamais l’ennuyer. L’humour fait mouche quasiment tout le temps, l’auteur utilisant des running gags à foison.


Difficile de ne pas être sensible au récit de l’italien. Car au-delà des horreurs de Daech sur le terrain, des rencontres improbables, c’est tout un message de tolérance qui est porté. Zerocalcare se retrouve au milieu de gens qui prônent la tolérance et qui souhaitent mettre en place des sociétés égalitaires. Mais au-delà des discours, ils se battent, seuls, contre tout le monde.
Au niveau du dessin, Zerocalcare a un trait dynamique, qu’on sent influencé dans le manga, tant dans les personnages que dans les découpages. Rehaussé de gris, il est très agréable et expressif, parfaitement adapté au sujet. Les décors nous plongent pleinement dans l’ambiance. Une belle réussite.


« Kobane calling » est un ouvrage très particulier, bourré de petites d’imperfections. On sent que l’auteur s’est attaque à l’Everest sans l’équipement adéquat. C’est finalement cette naïveté assumée qui fait le sel de l’ouvrage. Car sans les respirations apportées par l’auteur, « Kobane calling » aurait vite pu être indigeste ou déprimant. Finalement, on n’est pas loin des livres de Guy Delisle. À lire d’urgence !

belzaran
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Créée

le 9 mars 2017

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