Au premier abord, la reprise de Matthieu Bonhomme tient la route : mon vendeur de BD qui me le conseille chaudement (comme toutes les nouveautés chaque mois, naïf que je suis), un feuilletage satisfaisant au vu de la texture du papier, des couleurs et du cachet un peu old school qui se détache des pages. Et puis le titre aguicheur, qui laisse supposer une réinterprétation audacieuse de l'oeuvre.
Seulement, Spirou l'a montré, laisser carte blanche à un auteur qui veut réinterpréter une saga le temps d'un one-shot, ça peut permettre des chefs d'oeuvre qui jouent intelligemment sur les codes de la série tout en respectant son esprit (le Spirou d'Emile Bravo, célèbre exemple), comme des exercices de style peu convaincants, voire des histoires qui tiennent la route, mais perdent tout ce qui fait le sel des originaux (les trois premiers "Spirou vu par..."). Et malheureusement, ce Lucky Luke revisité boxe plutôt dans la seconde catégorie.
Parce que si Bonhomme rend hommage à Morris (c'est ce qui est marqué sur la couverture avec un sticker jaune bien flash), il n'a visiblement pas repris le goût de Goscinny pour les personnages haut-en-couleur, l'écriture des dialogues ou même le rythme de ses aventures. On se retrouve donc avec une galerie de personnages très plats, même pas spécialement stéréotypés (comme les fameux croque-morts ou joueurs de poker) et sans réelle caractéristique intéressante à relever. Même le titre aguicheur de l'album n'est au final qu'un gros appât à fan et l'auteur n'exploite pas du tout le potentiel suspense/tension que pourrait permettre le pitch.
Par contre, au niveau du dessin, le style de Bonhomme est vraiment très chouette, ses couleurs apportent un réel cachet à ses planches, et son respect des codes de Morris (les couleurs bleues/rouges/jaunes pour tout un panel de personnages à la fois, par opposition au fond, les grandes foules expressives) rendent l'hommage assez amusant à parcourir, et le tout se lit quand même sans déplaisir, mais sans susciter d'intérêt débordant non plus.
En fait, le semi-échec du projet tient à mes yeux à deux points : l'humour et le positionnement "Lucky Luke plus adulte". Comme l'ont pointé d'autres, Lucky Luke est une parodie de western à la base, avec des personnages archétypaux, un manichéisme assumé, un héros lisse et irréprochable par contraste avec les savoureux méchants, et la côté caricatural du développement de l'intrigue ne pose pas de problème, parce que l'optique est clairement assumée, et ça ne se prend pas au sérieux, tout en proposant quelques petites réflexions au détour des quelques gags. Vidé de son humour, Lucky Luke n'est plus qu'un western pâlot aux intrigues quelconques, et le côté lisse de Luke devient très ennuyeux quand les méchants sont aussi effacés, et inintéressants en somme.
Ensuite, le parti pris "adulte" n'apporte pas grand chose, un Lucky Luke réaliste perd encore une fois tout son fun, et ce n'est pas la présence de sang, de mort(s) et d'une ambiance plus proche du thriller qui apportent finalement quelque chose de pertinent à l'oeuvre. Parce que l'intrigue est faible, parce que ça devient sérieusement quelconque au final (un mélange fadasse entre le Lapinot-western de Trondheim et le récent Undertaker) et que ça reste très sage quand même.
Bref, une BD ambitieuse, fidèle et intéressante au niveau de la forme, mais tellement moins riche en humour, réflexions gosciniennes et en intérêt scénaristique. Une reprise pas à la hauteur, mais avec pourtant un certain potentiel si la série continue.