Avant Corto, il y avait ça.

Mino Milani reprend un grand classique de R.L. Stevenson, et confie le dessin à Hugo Pratt : avec cette équipe de choc aux commandes, on peut s’attendre à une BD de très haut vol. Et les espoirs ne seront pas déçus, cette Île au Trésor est une franche réussite ... même s’il elle reste un peu méconnue dans l’œuvre de Hugo Pratt.

Difficile de juger le scénario, c’est avec ce bouquin que R.L. Stevenson a posé les bases de tous les récits de pirates. Le gros travail de Mino Milani, ça a été de condenser le récit, d’en retirer les passages qui n’auraient pas gagné à être mis en dessin, et de resserrer le rythme de narration pour faire tenir le tout sur un format BD classique. Défi brillamment relevé : voilà une intrigue dense, nerveuse, riche en rebondissements en tout genre ... et traversée par des gueules plus patibulaires les unes que les autres.

Les gueules, parlons-en. Il fallait tout le talent de Hugo Pratt pour restituer l’ambiance de crasse et sueur qui colle aux personnages : un Silver mal rasé et ventripotent, épaulé par une brochette de soudards aux mines menaçantes. Le trait est dans la pure lignée des autres œuvres de Hugo Pratt, une sorte d’esquisse nerveuse et hachurée, qui fait ressortir en gros plans des figures acérées. Seulement, parce que l’Île au trésor s’adresse à un public assez jeune, le dessin est un petit peu plus rond, un petit peu moins adulte qu’un Corto Maltese.

Les figures, les expressions, les décors, tout est réussi côté graphique, et servi par un découpage particulièrement fluide. Les scènes de pluie et de tempête sont époustouflantes. Seul petit regret, les arrière-plans sont parfois un peu bâclés, surtout en extérieur : un fond toujours gris-vert, ou bien un ciel tout blanc. Finalement, peut-être que cette Île au Trésor de Pratt et Milani aurait gagné à être dessinée en noir et blanc plutôt qu’en couleurs ...

Et à chaque scène maritime, Hugo Pratt dessine de larges goélands blancs ... qui réapparaîtront quelques années plus tard avec Corto Maltese.