Ce tome fait suite à Black Science Tome 2 (épisodes 7 à 11) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier pour espérer suivre l'intrigue. Il comprend les épisodes 12 à 16, initialement parus en 2015, écrits par Rick Remender, dessinés et encrés par Matteo Scalera. Dean White a laissé sa place à Moreno Dinisio pour la mise en couleurs. Les couvertures ont été réalisées par Scalera. Ce tome comprend également 6 pages d'études graphiques et la couverture variante réalisée par Sean Murphy (couleurs de Matt Hollingworth) pour l'épisode 12.


La main gantée d'un individu mort gît dans une flaque de sang dans laquelle se reflète le visage de 3 créatures humanoïdes poilues. En parallèle, le flux de pensée d'un individu non identifié s'interroge sur le fait de revivre sa vie, mais en espérant être moins anxieux tout le temps. L'individu se réveille : il s'agit de Grant Mcay. Il a été sauvé par les entités qui habitent les corps des créatures poilues, qui veulent qu'il travaille à reconstruire un Pilier pour qu'elles puissent échapper à cette planète mourante. McKay accepte, faisant semblant d'avancer dans le projet, tout en travaillant pour le sien : réparer un Pilier portatif qu'il avait récupéré précédemment. Une fois prêt, il a utilisé ce Pilier pour essayer de rejoindre ses enfants Pia & Nathan. Mais le Pilier l'a emmené dans des mondes toujours différents… jusqu'à ce qu'il remarque un bouton de réglage. Alors qu'il se préparait à l'utiliser pour choisir où revenir, un homme lui a enfoncé l'aiguille d'une seringue dans le coup. McKay a quand même réussi à appuyer sur le bouton de départ du Pilier, tout en se faisant la remarque que les schémas se répètent. Monsieur Bock souhaitait tout contrôler. Kaddie souhaitait avoir Sara. Grant & Sara voulait seulement retrouver leurs enfants probablement morts. Toujours les mêmes schémas se répétant partout dans l'oignon.


Au temps présent sur une autre planète Terre quelque part sur l'oignon, Sara McKay (d'une autre Terre) a pointé son arme à feu sur Rebecca Dell en l'accusant d'avoir tué son mari : Kadir soutient Shaman qui est blessé, Pia, Nathan et Shawn observe la scène sans pouvoir intervenir, et Grant McKay se tient derrière sa femme d'une autre Terre, alors que le cadavre de l'autre Grant McKay est à leur pied. Sara McKay II s'en prend à Grant McKay I, lui ouvrant les yeux sur le petit jeu de Rebecca Dell, sur le fait que son mari Grant McKay II est mort. Nathan se tord de douleur : Pia indique qu'il a besoin d'une injection d'insuline dans les plus brefs délais. Sara McKay n'en revient pas que son Grant ait oublié de prendre de l'insuline en emmenant ses enfants avec lui. Shaman intervient avec un résultat dépassant les espérances. Sara McKay II en profite pour prendre le large. Pia lui court après. Elles se font repérer par un individu avec un jet-pack en train d'incinérer des cadavres au lance-flamme. Il remarque immédiatement le logo de Black Science sur leur tenue et leur indique qu'il doit les éliminer sans délai. Shawn et Grant McKay se lancent à la suite des 2 femmes pour les retrouver.


Bien conscient de ce qu'il s'apprête à lire, le lecteur s'est replongé dans la fin du tome précédent pour être sûr de ne pas rater la reprise en quatrième vitesse. Il se rend compte qu'il identifie maintenant tous les personnages sans difficultés, ainsi que ce qui les relie : Grant McKay (membre de la Ligue Anarchiste Scientifique), ses enfants Pia & Nathan (Nate) et sa femme Sara d'une Terre alternative, Shawn (son collaborateur dans le projet Pilier), Rebecca Dell (une autre scientifique du projet et son amante), Kadir (le responsable de la gestion projet), Shaman (un homme d'une autre Terre issu d'une culture amérindienne). Rick Remender utilise les cellules de flux de pensée avec parcimonie, et le lecteur peut rapidement savoir de qui elles émanent. Le lecteur peut donc se concentrer sur l'intrigue, sans avoir à déployer de gros efforts pour assimiler un gros volume d'informations incidentes. Comme à son habitude, le scénariste choisit un fil directeur basé sur l'action : le petit groupe de voyageurs se retrouve dans une dimension où ils ne sont pas les bienvenus car ils sont porteurs de maladies inconnues, ce qui justifie qu'ils soient traqués pour être abattus et incinérés sur place.


Moreno Dinisio est un nouveau venu, car l'épisode 11 avait été mis en couleurs par Michael Spicer, Dean White étant parti à la fin de l'épisode 10. Pour le lecteur, cela revêt une forte importance car le coloriste initial faisait bien plus que compléter les dessins : son travail était celui d'un créateur apportant une finition similaire à celle de la couleur directe. Moreno Donisio n'a pas le savoir-faire de White, mais il apporte le complément nécessaire aux traits encrés : couleurs naturalistes pour la majeure partie, choix des couleurs de manière à mieux faire ressortir les éléments les uns par rapport aux autres et les différents plans de chaque dessin, utilisation de couleurs un peu délavées pour marquer la distinction entre les scènes du présent et celles du passé, habillage des arrière-plans pendant les scènes d'action pour appuyer le mouvement, utilisation opportune des effets spéciaux pour les tirs, les impacts, les flammes. En découvrant le dessin en pleine page ouvrant l'épisode 15, le lecteur a la preuve (si besoin en était) de la coordination entre coloriste et dessinateur.


Les éléments de science-fiction nécessitant une conception graphique ayant été posés dans les épisodes précédents, Matteo Scalera peut se concentrer sur essentiellement deux types de séquence : la scène d'action et la scène de dialogue. Comme précédemment, il utilise régulièrement des traits non figuratifs pour accentuer l'impression de vitesse, et des cases de la largeur de la page pour montrer le déplacement des personnages. Il illustre à plusieurs reprises des poursuites entre individus équipés de jetpack, et les traits de vitesse associés aux cases larges fonctionnent très bien pour rendre compte de la célérité et des manœuvres. Il prend soin également de montrer comment les individus doivent adapter leur trajectoire en fonction de leur environnement, en particulier quand ils volent dans les couloirs à l'intérieur d'un bâtiment. Il représente les décors assez régulièrement pour que le lecteur conserve l'impression du lieu et de ses caractéristiques géométriques lors de chaque affrontement, aidé par la mise en couleurs qui assure l'unité d'une case à l'autre. Entre un tiers et la moitié de chaque scène de dialogue repose sur des gros plans sur les visages des interlocuteurs, avec des expressions de visage souvent exacerbées, ce qui est justifié par l'omniprésence de dangers graves et imminents, ou par l'obligation de prendre des décisions avec des conséquences de vie et de morts sur plusieurs personnes. Cela signifie également qu'entre la moitié et les deux tiers des scènes de dialogues sont basés sur des plans de prises de vue montrant également comment les personnages sont placés les uns par rapport aux autres dans la pièce, bougent dans leur environnement, sont parfois occupés à d'autres activités, générant un intérêt visuel certain.


Arrivé au troisième tome, le lecteur a bien compris que la situation va dégénérer et qu'un ou deux personnages risquent de mourir, pouvant peut-être revenir ou peut-être pas. Emporté par l'action, il assimile facilement les à-côtés, remarquant que deux thèmes reviennent. Dans les 2 premiers tomes, Rick Remender donnait l'impression de revenir sur la question de la responsabilité du père vis-à-vis de sa femme et de ses enfants, condamnant l'irresponsabilité de Grant McKay (il a oublié l'insuline de son fils !!!) et son manque de présence aux côtés de sa femme pour s'occuper des enfants, mais aussi pour s'investir dans son couple. Ce thème continue d'être développé, en l'abordant sous des angles différents, en particulier l'investissement de Grant dans son travail de recherche. Comme à son habitude, le scénariste se montre très pénétrant dans le regard qu'il jette à ses personnages. Au départ, le lecteur avait perçu Grant McKay comme un héros d'action, courageux jusqu'à se montrer inconscient, plein de ressources et d'une grande réactivité. Lors de quelques scènes du passé, le lecteur peut voir le ressentiment de Sara McKay généré par son faible niveau de présence, mais aussi les motivations de Grant McKay, souhaitant mettre son génie de chercheur et d'ingénieur au service de l'humanité, afin que ses enfants puissent en profiter, leur offrir un monde meilleur en le construisant. Le lecteur peut y vois les convictions d'un homme, ses engagements, ses valeurs morales, et une forme de don de soi pour le bien de la collectivité à l'échelle de l'humanité.


D'ailleurs ses actes d'héroïsme relèvent du même sens du sacrifice : sauver les autres au mépris du risque pour sa propre vie. Le charisme de Grant McKay n'agit d'ailleurs pas que sur le lecteur : il agit également sur les personnes qui l'entourent, que ce soit Shawn convaincu des propos de McKay et engageant sa vie pour le suivre, son fils ayant une totale confiance en lui, Rebecca qui l'admire au point de vouloir également être sa femme. Du coup, le lecteur ne sait plus trop s'il doit tenir rigueur à Grant McKay d'embarquer ainsi les autres à sa suite, ou s'il s'agit d'un phénomène sur lequel il n'a aucune prise et dont on ne peut pas lui reprocher les conséquences. De fil en aiguille, la même ambiguïté s'applique à ses choix de vie. Est-ce un impératif moral qu'il s'occupe de ses enfants ? Cet impératif moral ne doit-il pas être relativisé en fonction de ce que ses découvertes scientifiques et technologiques apportent à l'humanité ? Grant McKay peut-il vraiment disposer d'assez de recul pour choisir entre les deux ? Comme à son habitude, Rick Remender sait utiliser les conventions de genre (science-fiction, aventure) pour engendrer une réflexion sur la nature de l'héroïsme, sur l'ambivalence de chaque décision, le lecteur finissant par ne plus savoir si le comportement de Grant McKay n'est pas celui d'une fuite (se retrouver le moins possible devant sa famille), ou même de tendances suicidaires en ce qui concerne ses actes de bravoure pour sauver les autres.


Après un démarrage peut-être un peu difficile, le lecteur se rend compte qu'il est complètement immergé dans la vie de ce petit groupe de personnages, fasciné par les perspectives qu'offre le concept du Pilier et de l'Oignon, emporté par la dynamique des dessins, sous l'effet de l'empathie qui rayonne de chaque personnage, déstabilisé par la réflexion sur l'héroïsme. Cette série prend de la hauteur sans rien perdre de son pouvoir de divertissement, s'émancipant de la comparaison avec la série Fear Agent pour développer son identité propre.

Presence
10
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le 10 sept. 2019

Critique lue 115 fois

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