Ce nouvel album de la série Saint-Elme enfonce le clou dans une ambiance que désormais on identifie aisément. Le duo Frédérik Peeters/Serge Lehman fonctionne toujours aussi bien, pour creuser une veine située entre intrigue noire, personnages calculateurs, réflexions désenchantées sur l’état du monde et une intrigue à ramifications et rebondissements.


Ici, le principal rebondissement et moteur de l’intrigue de l’album, c’est la mort de Roland Sax. Du coup, ses deux enfants (Stan et Tania) se voient propulsés héritiers de l’empire Saint-Elme et l’enterrement devient un véritable événement local où tout le monde s’observe. Les clans apparaissent au grand jour et on remarque notamment que, désormais le Derviche est avec Tania, ce que Gregor Mazur (que Tania appelle papi) apprend à sa descente d’hélicoptère, accouru pour les obsèques. Pendant ce temps, Frank Sangaré se remet doucement de ses graves blessures (pour rappel, il a été torturé et s’est échappé miraculeusement). Frank Sangaré était venu sur place enquêter sur la disparition depuis plusieurs mois d’Arno Cavalieri qu’il avait identifié comme étant celui qu’on ne désigne plus que sous le nom du Derviche. Celui-ci a totalement changé d’aspect (par rapport à comment il se présentait avant sa « disparition ») et semble comme halluciné (voir le noir autour de ses yeux, comme s’il avait dépassé le stade humainement supportable de la fatigue). L’entourage de Tania cherche à tester la valeur de sa présence et on sera rapidement fixés sur ses capacités. En gros, il applique l’adage qui dit que la meilleure défense, c’est l’attaque.


Tout s’imbrique


Avant la première planche de l’album, un texte en trois paragraphes fait un résumé des albums précédents, ce qui s’avère utile et même nécessaire au vu du nombre de personnages qui interviennent et de la complexité des relations et des caractères. Ceci dit, de nombreuses péripéties nous rappellent ici les détails qui retiennent l’attention. Ainsi, la bêtise de Stan (à placer dans la catégorie des quelques éléments à caractère humoristique) relève une nouvelle fois de l’évidence et elle amènera encore quelques surprises qui jouent un rôle non négligeable dans l’intrigue générale. À l’auberge de « La Vache brûlée » la jeune Romane Mertens qui y réside avec son père est au centre d’une atmosphère bizarre, avec plusieurs éléments qui tendent vers le fantastique. Son père ne fait pas que parler à un personnage que lui seul verrait. Tombée sous le charme de Paco, un berger local, Romane s’aperçoit que celui-ci présente de vilaines cicatrices. Elle finit par obtenir une explication à ce propos, qui tirent aussi vers fantastique. Et ce n’est pas tout car, dans un chalet à l’écart, le couple découvre la fillette ayant échappé au massacre à l’origine du dérèglement des sombres affaires tournant autour de Saint-Elme avant que les enquêteurs viennent y mettre leur nez. Cette fille tient des propos en apparence incohérents et semble même avoir des pouvoirs du genre divinatoire. Et puis, l’étrange dessin déjà observé sur la scène de crime du tout premier album de la série vient visiblement de son entourage. Il se pourrait même qu’elle en connaisse la signification.


La tension monte


Avec cet album, le quatrième de la série, les auteurs renforcent le mystère, tout en creusant allègrement dans la veine noire mise au jour dès le début du premier album. Sans insister particulièrement dessus, ils font sentir les effets pervers qui apparaissent dès que de grosses sommes d’argent sont en jeu. Tels des vautours, les personnages cherchent tous à profiter de la situation. Cela entraîne des conflits d’intérêt qui se résolvent souvent par des accès de violence. Ici, cette violence (sous-jacente, elle explose par moments) se traduit par l’utilisation des couleurs : des tons vifs et des teintes relativement sombres, même si cela apparaît moins que dans les premiers albums de la série où ces dominantes pouvaient aller jusqu’à des effets volontairement désagréables pour l’œil. Ici, la progression cinématographique se remarque surtout par les changements de lieu d’action, indispensables pour qu’on comprenne ce qui se passe au sein de chaque clan. En effet, toutes ces groupes sont en interaction. On peut dire que l’album présente une belle maîtrise scénaristique, qui s’accompagne évidemment de l’équivalent du côté des dessins, avec une dominante de quatre bandes par planche (pour un total de soixante-dix-huit planches), ce qui n’empêche pas quelques séquences avec des dessins plus gros, ainsi que deux dessins pleine page successifs qui apportent une incroyable relativité de toute l’histoire par rapport à une vision plus générale.


Suspense


L’album se termine par une nouvelle scène marquante dans le genre fantastique et qui nous laisse brûlants d’impatience de lire le cinquième épisode, d’ores et déjà annoncé comme l’ultime de la série. En ce sens, L’œil dans le dos apparait finalement comme un prometteur album de transition. De nombreux points restent à éclaircir et l’épisode final devrait être mouvementé. Que deviendra l’empire Saint-Elme ? Quid de chacun des personnages ? Quoi qu’il en soit, ce sera enfin l’occasion de relire les albums depuis le début, de façon à avoir une vue d’ensemble.


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
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le 10 oct. 2023

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