La Bête - Le Marsupilami de Frank Pé et Zidrou, tome 1 par Christine Deschamps

On connaissait le côté Houba du Marsupilami de Franquin, habilement récupéré pour le grand écran par Alain Chabat. Quelle bonne idée de lui avoir fait bouffer le Peter Pan de Loisel et les pinceaux d'Emmanuel Lepage ! Parce que cette relecture sombre de l'histoire du jovial marsupial prend des allures de conte cruel, avec la maltraitance animale en toile de fond, à travers le trafic d'animaux exotiques, et le harcèlement scolaire en parallèle, comme si la cruauté envers les bêtes entraînait irrémédiablement celle envers ses propres congénères, thèse dont je suis une ardente défenseuse. Dès les premières pages, voire dès le premier dessin, on sent qu'on rentre dans une narration d'envergure, qui ne va pas s'embarrasser de scrupules à l'heure de se vautrer dans l'expressivité artistique. Ça, j'adore. Et vlan, une vignette d'une page entière pour planter l'atmosphère de tempête qui va agiter tout le récit. Et revlan, une double page pour enfoncer le clou, et nous voilà, gelés et trempés jusqu'à l'os, embringués sans précautions dans les cales post-coloniales d'une Europe vorace, engagée dans la consommation sans distinction (dans tous les sens du mot). On sent poindre le propos social dès l'inventaire des cages encombrées de cadavres. Le récit n'a même pas encore commencé. Quand il le fait, on rentre alors dans l'histoire de ce petit garçon que son grand cœur et son père allemand expose à la vindicte de ses camarades. Misère et hargne vont se heurter au cocon maintenu à la force des bras par une mère indépendante, mise à l'index par une société bien-pensante et bornée. Le drame est posé, il n'y a plus qu'à se laisser porter, aux côté d'une galerie de personnages impeccablement brossés. Quelques pages avant la fin, il devient évident que l'histoire n'aura pas le temps d'arriver à son terme et c'est entre rage et gourmandise qu'on en est réduit à attendre le tome 2...