La Boîte de petits pois
7.4
La Boîte de petits pois

BD (divers) de GiedRé et Holly R. (2019)

On ne peut être indifférent devant la chanteuse GiedRé, d’une bonhomie innocente pour des textes provocateurs et plongés dans l’humour noir. Elle désarçonne, avec un grand sourire faussement naïf.


Cette conteuse pour adultes et grands enfants apparaît hors du temps, une incongruité dans le paysage médical, une chanteuse qui n’exploite pas son petit nombril, se permettant une liberté de ton et une indépendance farouche.


Lire La Boîte de petits pois, qu’elle a écrit, ne permettra pas de tracer les grandes lignes du style GiedRé, de l’expliquer. Mais cette bédé autobiographique est bien plus intéressante dans ce qu’elle propose, une plongée acidulée dans la Lituanie des années 1980-1990, à travers les portraits de sa famille et d’elle-même. De GiedRé l’adulte il ne sera pas (ou presque) question.


Il s’agit donc d’un témoignage sur cette partie du monde, raconté sur un ton enfantin, curieux et enthousiaste. Mais dont on perçoit derrière la candeur du texte des réalités bien plus sombres. La Lituanie de ces années a été annexée par l’URSS après la guerre, elle ne put reprendre son indépendance qu’en 1990, elle fut d’ailleurs la première des républiques soviétiques à le faire. Ce ne fut pas si évident, bien évidemment, et l’album le rappelle.


Un pays contrôlé et surveillé, où régnait tout à la fois la méfiance et l’entraide. Un ami mal intentionné pouvait conduire un « dissident » dans les camps russes, mais avoir de bonnes relations avec les gens importants permettait de contourner un système économique et sociétal fermé. Chacun pouvait jouir d’un toit et d’un travail, mais sans avoir le choix de ses options et il fallait parfois du temps pour que les demandes soient acceptées - ou connaître quelqu’un de haut placé. Les fournitures suivaient la même logique, et le comble du chic était d’avoir des meubles appareillés. La nourriture n’était guère variée, mais offrait parfois quelques petits plaisirs, à l’image d’une boîte de petits pois ou de fruits comme les bananes ou les oranges, tellement exotiques. Quelques heureux habitants revenaient parfois avec des victuailles encore plus folles, à l’image des chewing-gums, échangés entre les gamins qui mâchaient ainsi le même jusqu’à ce que le goût s’en aille.


Dans ce pays sous la coupe communiste, la famille de GiedRé n’était pas la plus à plaindre. Mais elle était aussi vivante, parfois filoute, parfois obéissante. Du côté de sa mère, c’était des gens plus du côté de la dissidence, bien que modérée, tandis que du côté de son père, le grand-père était membre des hauts fonctionnaires. Ce double héritage nous permet de découvrir les deux facettes de la vie quotidienne, l’ordinaire de tous mais aussi la corruption et les avantages d’autres personnes. Toutefois si la famille de GiedRé a parfois demandé de l’aide, elle a aussi vécu avec le peuple, dans un pays aux règles du jeu biaisé.


Tout ceci se fait à hauteur d’enfants, même quand il s’agit d’événements se passant avant la naissance de la chanteuse. Elle reconnaît bien volontiers ne pas avoir compris de suite certains accrochages de la vie, et la misère et les difficultés sont édulcorées avec ce regard enfantin et naïf qui est proposé. L’alcoolisme d’une partie de la population est ainsi présentée, jamais expliquée, et le sort de ce père aimant mais souffrant de problèmes semble cacher bien plus que ce qui nous est montré.


L’oeuvre offre un témoignage candide et parfois amusé, sans jamais verser dans le misérabilisme ou un militantisme forcé. GiedRé rapporte des faits, des souvenirs de sa famille, mais sans jamais en dire trop sur la psychologie de ses personnages, qu’on découvre progressivement. Elle le fait donc avec un humour froid et son habituelle réserve, ne se mettant jamais inutilement en valeur, ne voulant pas se présenter comme un enfant à plaindre, ou comme une future star de la chanson, un qualificatif qu’elle refuserait probablement.


Et cette simplicité passe aussi par le travail formidable d’Holly R, dont c’est le premier album publié, espérons qu’il y en ait bien d’autres encore. Elle offre ce trait enfantin mais surtout ces magnifiques couleurs aux crayons de couleur, comme si le lecteur ouvrait un carnet d’enfants, mais avec le geste technique d’une véritable artiste. C’est doux et enfantin, en parfaite adéquation avec le ton employé pour le texte.


L’album se termine avec quelques pages dessinées en toute simplicité par GiedRé elle-même, sans le coup de crayon d’Holly R, qui relate le passage de sa mère lors d’un concert à l’Humanité, choquée qu’on puisse mettre en avant un communisme festif et innocent, elle qui a connu les mensonges et les privations du communisme politique du XXe siècle. C’est aussi l’un des mérites de ce livre, en plus de nous raconter l’histoire de ce pays si mal connu, de rappeler que le communisme a brisé des vies. Et cet excellent album nous le présente avec un sourire faussement innocent, un ton candide.

SimplySmackkk
7
Écrit par

Créée

le 9 janv. 2024

Critique lue 30 fois

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SimplySmackkk

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La Boîte de petits pois
Gachland
7

Un dessin et un recit enfantin...

....qui permet d'avoir une vision différente sur la vie en ex URSS. La BD est signée Giedré mais ne vous attendez pas à retrouver les textes trashs de ses chansons.

le 27 févr. 2021

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