La Chute de Brek Zarith s’ouvre par… deux chutes ! Et Shardar le Puissant apparaît comme le digne père de son fils : un roi cruel qui règne par la terreur. Mais ce qui le distingue des précédents méchants de la série, c’est l’espèce de moue froide et désabusée qu’il arbore dès la couverture : tout paranoïaque qu’il soit – comme tous les tyrans –, c’est un tyran désabusé dont la cruauté ne semble qu’un passe-temps. Cette mine rend par avance crédible la facilité avec laquelle il renoncera au pouvoir – « Et lorsque tu auras été roi pendant trop d’années, Galathorn, tu découvriras que toi aussi, tu seras devenu un monstre » (p. 34) : il n’a plus rien sur quoi régner.
Dans cette première scène toujours, la suite du roi apparaît déguisée. On y lira l’affirmation du thème de la dissimulation qui court d’un bout à l’autre de l’album, l’annonce du bal masqué tragique – deux morts ! – à venir, mais aussi l’idée selon laquelle l’entourage d’un tyran est toujours interchangeable.
Il est réussi, d’ailleurs, ce carnaval dont la clarté des teintes (p. 22 à 24) contraste avec le complot de palais qui s’y déjoue. Il me semble aussi qu’il emprunte beaucoup à cet imaginaire de la décadence – notamment romaine – particulièrement présent dans la Chute de Brek Zarith : plutôt que d’incendier une ville, Shardar / Néron brûle les bateaux vikings et supprime les habitants du château.
Ces réjouissances fournissent aussi l’occasion d’une nouveauté – sauf inattention de ma part – dans Thorgal : aux pages 17 à 26, la narration alterne entre l’intrusion du héros dans la citadelle, présentée dans un remarquable jeu d’ombres et de murailles, et le déroulement du bal, auquel ses volutes de fumée chatoyante donnent la fragilité des rêves. Le héros dans l’obscurité, l’anti-héros en pleine lumière – avant les retrouvailles et la confrontation, qui n’aura lieu qu’une fois réglée la question du pouvoir. Comme entre les trois candidats du concours des Trois Vieillards du pays d’Aran, deux des trois alliés des circonstance ne trouveront que du vide – au sens propre pour Jorund qui mourra dans une chute –, le troisième seul étant récompensé de sa pureté.


Car le vrai pouvoir de la Chute de Brek Zarith, c’est en définitive le pouvoir magique de Jolan. Passons sur la discordance chronologique : pendant l’année qui s’est écoulée depuis la fin de la Galère noire, Aaricia a accouché et Jolan semble avoir au moins deux ans – on lira ça comme un signe…
Les facultés de Jolan fournissent le moteur de l’action et un mobile à Shardar – mobile d’autant plus efficace que lesdites facultés ne sont pas clairement explicitées. Du reste, elles réintroduisent dans la série un merveilleux qui contraste avec la simple ingéniosité technique – miroirs, déguisement truqué, trappes et autres pièges – cultivée par Shardar.
Celui-ci mourra dans une chute. La dernière.

Alcofribas
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le 10 juin 2020

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