Mon premier Taniguchi, et on peut dire que j'ai été comblé par cette lecture rafraichissante. Je ne suis pas très à l'aise pour cette critique du fait de mes lacunes en manga, bouddhisme, shintoïsme et en légendes japonaises. N'hésitez pas à me corriger si je dis de grosses âneries, je ne m'en offusquerai pas.

Quoiqu'il en soit et malgré mon inculture, j'ai beaucoup apprécié cet album, très frais : c'est me semble-t-il assez nouveau, tant dans la narration qu'au niveau du langage propre à la bande dessinée.

C'est l'histoire d'une famille et plus précisément d'une mère qui a perdu son mari cinq ans auparavant, semble assez malade et doit partir à l'hôpital pour une opération. On la verra peu durant l'album qui est centré sur ses deux enfants inquiets, forcément, et qui sont gardés par leurs grands-parents dans la ville de Tottori, non loin d'une montagne en partie fortifiée qui domine la cité. L'histoire d'une inquiétude, donc, celle pour des enfants de perdre un parent qui se trouve de surcroît être le dernier, mais aussi l'évocation de la relation entre un garçon de 11 ans et sa petite sœur face à cette adversité. On pense inévitablement à Mon voisin Totoro de Miyazaki, qui évoque cette crainte de la mort d'une mère, tout en introduisant également une dimension fantastique. Car c'est peut-être aussi et surtout l'histoire d'un lieu, et plus précisément d'une « montagne » un peu particulière.

En effet, la montagne de Tottori semble magique, presque vivante. En tout cas, les adultes colportent des histoires sur les ruines et les tunnels qui la transpercent, par exemple la légende qui inquiète tant les enfants, celle de la vielle sorcière à ventouse qui habiterait dans les souterrains et avalerait tout cru les petits ! En fait, il ne s'agit pas d'une sorcière, mais je vous laisse éclaircir le mystère par vous-même.

Il y a manifestement des aspects autobiographiques dans cette œuvre, Taniguchi ayant vécu à Tottori, non loin de la montagne et du château qui existent bien, de même que les salamandres géantes également évoquées dans l'album.

Comme je l'ai déjà dit, je ne connais pas Taniguchi malgré sa notoriété, mais je trouve qu'il sait particulièrement bien transmettre l'émotion, ce qui n'est pas donné à tout le monde, d'autant plus que la bd n'est pas forcément le médium le plus à même de faire cela ou en tout cas celui où c'est le plus aisé. Taniguchi nous fait donc admirablement partager les émotions de ses personnages, l'inquiétude, la tristesse mais aussi l'enthousiasme et la joie. Il sait aussi planter la situation en même temps physiquement (différentes vues des lieux) et psychologiquement.

Et c'est là qu'il nous faut en venir aux aspects techniques. D'abord, le dessin : j'aime bien la façon de dessiner la ville et les paysages, les couleurs du ciel, d'un bleu différent de celui qu'on voit habituellement. Il y a manifestement un gros travail sur les couleurs, même si je crois avoir lu quelques part que Taniguchi les a confiées à quelqu'un d'autre. Peu importe, les couleurs, variables selon les moments, sont très bien choisies et sont essentielles à la mise en place des ambiances, si importantes dans cet album.

Les dessins sont réalistes tout en s'intégrant harmonieusement dans un univers fantastique qui ne dénote pas. Et la composition est assez originale, mêlant manifestement des éléments propres à la bande dessinée européenne à ceux du manga : les dessins prennent parfois la totalité de la page, les contours de certaines cases sont supprimés, il y a même des cases avec seulement la ligne supérieure, le dessin prenant tout l'espace en bas de page, rognant complètement le caniveau. Ce gros travail sur la composition nous donne parfois l'impression d'entrer dans la case, dans le paysage, d'être avec les personnages, et c'est ma foi très agréable. De plus, l'adaptation de l'album dans notre sens de lecture est parfaite, rien ne permet d'imaginer cette opération qui ne doit pas toujours être aisée.

Bref, j'ai bien aimé les dessins, les compositions, les changements de couleur de cet album vraiment magnifique qui parvient superbement à évoquer les sentiments de ces deux petits enfants ancrés dans une vie quotidienne pas forcément rose, tout en nous contant une histoire qui relève du fantastique.

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le 4 mai 2012

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socrate

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