Gaston Lagaffe est une saga qui s'éparpille sur plusieurs décennies et qui dans son foisonnement englobe tout une époque, la notre. De ses premières apparitions qui renvoit au théâtre de l'absurde à l'évolution de son idylle avec Melle Jeanne qui épouse l'évolution de la condition féminine il faudrait une bibliothèque entière pour décrypter les ressort de cette réjouissante série. Il n'est pas dit que je n'y revienne pas mais voici en attendant quelques unes de mes réflexions que je place sous l'emblème du "cas lagaffe" qui fut l'album par lequel je découvris enfant cet univers.


Série : Gaston Lagaffe


Auteur : A. Franquin (des et scr) + assistance Y. Delporte (scr) et Jidehem (décors)


1ère publication : Spirou 28 février 1957, 1er gag Spirou n°1026 (soit environ mi décembre 1957).


Publication album : Dupuis.


Sources : H. Filippini Dictionnaire de la BD p. 266, M. Pierre La bande dessinée pp. 61-63, J. Goupil Livre d'or Franquin,
Site : www.bdoubliees.com/journalspirou/series2/gaston.htm (pour la datation), wikipedia.org/wiki/Spirou_et_Fantasio_,


Album utilisé : Édition des albums Dupuis grand format.


Éléments de critique externe :


La saga Gaston Lagaffe pose de nombreux problèmes de datation du aux nombreuses publications qui à chaque fois favorisé par sa dramaturgie en gag d'une page (ou demi page).
– Publication dans la revue Spirou.
– Publication en album demi format.
– Réédition en albums grand format numéroté (R1, R2, R3, R4) auxquels succèdent des édition en albums grand format pourvu d'un titre et d'une couverture original (« Le cas Lagaffe », « Le géant de la gaffe », etc...).
– Réédition à partir des années 90 dans un ordre chronologique.
Ces multiples rééditions entraine une quasi impossibilité de datation des planches à partir des seuls albums. Alors qu'une grande part de l'intérêt de la série semble résider dans sa dimension de chronique de la vie quotidienne.
La datation du copyright des albums en demi format et grand format première formule ne peut fournir qu'une borne chronologique haute parfois assez éloigné de la parution presse.


La numérotation des gags intégré au dessin permet de rétablir l'ordre de publication et d'établir une datation grâce au site des éditions Dupuis qui établisse la corrélation entre la numérotation des gags et les numéros du journal Spirou.


La saga Gaston se décline en plusieurs phases :
– 28 février 1957 – 5 décembre 1957 : Gag en 1 case.
– 5 décembre 1957 – Gag en 2 strips par Franquin et Jidehem
– 18 avril 1968 : Franquin seul (avec ponctuellement des aides au scénario).


Éléments d'analyse.


La reconstitution de la chronologique des gags permet de constater que la saga se comporte comme un éphéméride.
– Quelques gags évoquent Noël à travers l'installation d'un sapin et la nouvelle année à travers les vœux.
– Les gags d'hiver mettent en scène la neige et le verglas.
– Les gags de la période d'été évoque les vacances avec la plage et le camping.
– Des gags du mois de septembre évoque le retour des vacances.


L'univers de la série met en scène divers aspects du mode de vie des années 60 / 70 :
– Monde urbain.
– Travail dans le tertiaire.
– Temps du loisir et des vacances.


La série trahit également un certain rapport au monde qui semble rejoindre la vision des films de Jacques Tati et Pierre Etaix.


Gaston correspond, à bien des égards à une série classique du fait qu'elle tend à exprimer la réalité sociale et mentale de son époque mais dans une logique de compromis. Gaston exprime une révolte mais cette révolte reste confiner dans certaine limites. Si les expériences de Gaston ne cesse de exploser les cadres de la vie quotidienne, ceux ci ont repris leurs place dès le gag suivant. De même si Gaston se confronte à la hiérarchie sociale celle-ci n'est pas remise en cause. Prunelle et Fantasio restent chef de la rédaction et de Mesmaeker homme d'affaire.


A l'image des rapports Gaston / Jeanne le désir se trouve se trouve, au fil de la série, de plus en plus légitimé et licite mais reste confiné dans d'étroites limites.


Durant le deuxième moitié des années 60 la série connait une évolution autant dans sa forme que dans son contenu.
– Passage de gags d'une demi page à une page complète.
– Évolution de l'univers avec le changement de clown blanc qui passe de Fantasio à Prunelle qui se traduit par des rapports plus distanciés, moins affectifs, et une atténuation de la violence.
– Émergence de nouveaux personnages au sein de la rédaction, le discours de la série apparaît moins focalisé sur le duo Gaston / Fantasio, pour acquérir une dimension choral.
– Graphiquement la série laisse apparaître un enrichissement du décors ainsi qu'une plus grande utilisation de la perspective, le personnage de Gaston apparaît ainsi de plus en plus enchâssé dans un milieu.
– Psychologiquement le personnage de Gaston s'ouvre au monde, la sieste n'apparait plus comme une fuite mais comme une forme d'accomplissement, ses relations avec Melle Jeanne s'enrichissent, à partir des années 70 il témoigne d'engagement sociaux et politique.


Fonction chronique :


La série se fait l'écho de plusieurs évolutions de la société des années 60.
Vision de la ville :


Au début de la série, la ville laisse apparaître des rues à la circulation relativement fluide où quelques véhicules hippomobile subsistent et où les problèmes de stationnement n'ont pas encore atteint un stade critique.
– Un cheval tombe foudroyé par un insecticide fabriqué par Gaston (Gag n°202 juin 1962) .
– La tête d'un cheval d'attelage apparaît à la porte du bureau de Gaston (Gag n°229 décembre 1962) .
– Gaston donne un sucre à un cheval attelé auquel il transmet son rhume (Gag n°329 novembre 1964) .


L'espace urbain ménage, au début des années 60, des espaces de sociabilité.
– Plusieurs gags mettent en scène un hercule qui exécute des tours de force pour les passants sa récurrence témoigne d'une vie de quartier (Gags n°215, 217 1962) .
– Le gag n°304 (1964 Gaston 5 p. 22) dans lequel Fantasio déguisé en agent de police promène Gaston menotté révèle que celui-ci connait les gens de son quartier.


Plusieurs gags de la série laissent apparaître divers signes des mutations urbaines des années 60,
– Les membres de la rédaction ne paraissent par habiter à proximité de leur lieu de travail. Les migrations pendulaires semblent être la règle pour les membres de la rédaction. Gaston utilise le bus où sa voiture, à l'occasion il convoie Melle Jeanne ou Prunelle.
– Le gag n° 433 (novembre 1966) fait apparaître le quai bondé d'un train de banlieue.
– Le gag n° 337 (janvier 1965) met en scène la rénovation urbaine à travers la destruction complète d'un immeuble que les habitants viennent juste d'évacuer. De même le gag n°403 (avril 1966) présente un terrain vague que des engins de terrassement transforme en une journée.
– Le gag n° 491 (janvier 1968) présente la maquette de l'immeuble ultra moderne des futur locaux du journal Spirou.


Dans la deuxième partie des années 60, l'apparition des nombreux démêlés de Gaston avec l'agent Longtarin font écho aux problèmes d'urbanisme des grandes métropoles concernant la circulation et le stationnement .


Et vision de la campagne.


Assez peu importante dans la saga, la campagne se défini en réaction à la ville, le monde rural présenté correspond à la vision de citadin. L'image de la campagne évolue au fil de la série.
Au début de la série 2 gags présentent la campagne comme un espace exaltant les valeurs traditionnelles propre à régénérer physiquement et moralement les citadins.
Le Gag n°315 (aout 1964) fait apparaître le fermier Gustave qui tel un patriarche fume sa pipe au milieu de la cour de sa ferme qui apparaît comme le modèle inversé de l'homme d'affaire de Mesmaeker, s'il partage le même embonpoint.
– Le calme et la placidité de Gustave s'oppose à l'agitation et à l'irritabilité de l'homme d'affaire qui s'agite et cours dans tout les sens tandis que Gustave reste calmement planté au centre de sa cour supervisant le travail qui se déroule autour de lui.
– La pipe de Gustave s'oppose aux havanes de Mesmaeker. La pipe renvoie une image de sagesse et de bonhommie, tandis que le cigare renvoie à l'affirmation d'une réussite sociale lié à une affirmation agressive de soi.
– La moustache blanche de Gustave s'oppose aux cheveux noirs de Mesmaeker qu'on peut supposer teint.
– Gustave apparaît comme quelqu'un qui intègre (il trouve le moyen d'occuper Gaston en lui faisant couver des œufs) tandis que de Mesmaeker ne pense qu'a l'exclure.


Le décor contribue à cette vision traditionnel d'un monde pérenne et harmonieux, la première case laisse apparaître un clocher (marqueur fort d'ancrage de la ruralité) dans la cour chacun semble avoir sa place.
– Un homme effectue un travail de force.
– Des jeunes rentrent une vache à l'étable.
– La fermière transporte des seaux.


Cette vision présente la campagne comme un espace propre à régénérer le corps et l'esprit des citadins physiquement et moralement corrompu par l'artificialité des villes. La présence de Gaston à la campagne est le fait de Fantasio qui l'envoie à la campagne dans le but de lui faire acquérir les valeurs du travail et de l'effort.
Gag n°315 « Gare aux gaffes du gars gonflé » p.15.
Fantasio (s'adressant à Gustave) : « Et votre pensionnaire [Gaston] ? Je suis sûr qu'une vie plus physique va me le changer... Je vous avais demandé... // de lui donner un petit travail dans ses cordes... »


Gag n°359 (juin 1965) « Gare aux gaffes du gars gonflé » p.33.
Fantasio : « C'était pas la peine de venir à la campagne pour faire la même chose qu'au bureau ! // SEUL LE TRAVAIL donne bonne mine et santé, Gaston ! »


A la même période les créateurs d'Astérix envoie le jeune citadin Goudurix dans la campagne du village gaulois avec le but similaire d'en ''faire un homme'' (1966 : Astérix et les normands).
Les liens ville et campagne ne présentent pas encore de rupture définitive, la familiarité du citadin Fantasio avec le fermier Gustave suggère des contacts réguliers. Dans le gag suivant (n°359), on le voit ayant tombé la veste et abandonné ses gants et nœud pap présenter le travail de la ferme à Gaston avec une certaine compétence, le fait qu'il sache trouver Gaston endormit dans le fenil de la grange atteste qu'il connait les lieux.
La tracteur (gag n°315) dont on aperçoit une roue dans la grange inscrit le monde rural dans le mouvement général de modernisation de la société française. Pour le citadin la campagne apparaît encore comme un espace familier où il se plait de penser qu'il a encore sa place.


Au tournant des années 60/70 le regard porté sur les rapports ville / campagne a radicalement changer. Si Gaston et son ami Jules continue à se rendre chez le fermier Gustave ce n'est plus pour y retrouver un rythme de vie traditionnel et proche de la nature mais pour y transposer leur mode de vie urbain. Le gag n°741 (novembre 1972) met en scène une fracture entre ruraux et citadins, en voyant Jules et Gaston collecter des outils Gustave croit que ceux-ci vont travailler alors qu'ils ne font que bricoler une antenne TV pour capter un match de football. Ruraux et citadins semblent ni valeurs ni références communes.


Vision de l'animal :
L'adoption successive par Gaston de toute une faune illustre, de manière comique, l'émergence de l'animal de compagnie, tandis que l'animal nourriture et l'animal travail (apparition de chevaux d'attelage) n'apparait plus que sous une forme résiduel avant de totalement disparaître .


L'espace urbain, un univers aliénant.
A partir des années 70, l'automobile et le monde urbain apparaît comme la métaphore d'une société totalitaire qui pénètre les individus jusque dans leurs rêves. A l'opposé des rêves de l'univers hergéen qui apparaissent souvent comme des rappels à la loi. Les rêves de l'univers gastonien opèrent comme le témoin de la prégnance d'une réalité quotidienne oppressante dont il est impossible de s'échapper.
– Déprimé par la tristesse du décor l'agent Longtarin s'adonne à l'alcoolisme et devient la proie d'hallucinations (gag n°749 janvier 1973) .
– Le gag n°861 (décembre 1979) le montre en proie à un cauchemar révélateur de l'interpénétration entre le rêve et la réalité. En proie à la vision d'une destruction généralisé de parcmètres, il se retrouve dans la rue face à un parcmètre détruit par Gaston et Jules et il constate fataliste « Je vois c'est le cauchemar qui continue... ». L'imbrication du rêve et de la réalité que le protagoniste semble incapable de distinguer révèle l'emprise urbaine sur les esprits.


Dans un registre moins dramatique Gaston apparaît également victime du même phénomène.


– Pour s'endormir Gaston ne compte plus les moutons, mais imagine l'agent Longtarin sautant par dessus des parcmètres (1980) . Une vision urbaine remplace une rêverie rurale et bucolique.
– Gaston n'échappe pas au phénomène coincé dans les embouteillages il se rêve réparateur de feux tricolore objet vis à vis duquel il semble cultiver une certaine affinité et qui contraste avec l'animosité constante qu'il développe vis à vis des parcmètres.
Dans le même temps la ville apparaît également comme un espace de vie loin des standards aseptisé de la période précédente.
– Les murs des rues montrent des signes d'usure et de décrépitude.
– Les trottoirs accueil des poubelles et ordures.
– Chats et chiens vaquent à leurs occupations.
– Le décors des rues garde la trace du passage des habitants. Le Gag n°874 (1981) laisse ainsi apparaître un graffiti détournant la mention « Défense d'afficher » en « Défense d'effacer les graffiti » signe que les habitants résistent à l'aliénation du cadre urbain.


La voiture.
Même si elle affiche une indéniable dimension parodique la voiture détient, dans la saga, une importante fonction symbolique de réussite sociale.


L'homme d'affaire de Mesmaeker affiche sa réussite sociale en roulant dans de grosses voitures américaines.
Gag n°269 octobre 1963
Fantasio : « Bonne nouvelle mon vieux Gaston ! De Mesmaeker m'a téléphoné.. Il va venir me montrer sa nouvelle voiture... et je suis sûr... … qu'il va signer les contrats car il est content, CONTENT ! »


Le rédacteur en chef Fantasio se sent humilié d'arriver à une réception dans le panier d'un vélo piloter par Gaston, le standing des invités s'incarnant dans de rutilantes limousines (Rolls Royce, Mercedès, Alfa Roméo) (gag n°386 décembre 1965) .


La taille des voitures semble proportionnelle au rang social de leurs propriétaires. Petit tacot minable pour Gaston, énormes voitures de prestige de type américaine pour De Mesmaeker, vis à desquelles Gaston ne cesse tout au long de la saga d'entretenir un secret ressentiment. Ressentiment qui s'exprime par de nombreuses catastrophes inconsciemment provoquer par Gaston dont les limousines font les frais.
– La voiture reçoit une boule de bowling sur le toit (gag n°269 octobre 1963) .
– La voiture est emboutit par un géant de fonte acheté par Gaston (gag n°322 1964 qui fait immédiatement suite à l'acquisition de la voiture).
– Le fatras empilé sur le toit du tacot se déverse dans la décapotable de Mesmaeker tellement imposante quelle déborde du cadre de la case n°346 mars 1965 .
– En heurtant la décapotable de Mesmaeker, celle ci se trouve projeter dans une presse et réduite à un cube (gag n°367 1965) .


plus tard c'est par l'acquisition d'un jet privé que l'homme d'affaire exhibe sa réussite.


Avant l'acquisition de sa voiture Gaston laisse plusieurs fois transparaître son désir de voiture.
– Quand Fantasio demande à Gaston d'acheter une douzaine de voitures miniature il commande de véritables voitures voitures.
Gag n°275 1963
Gaston : « … Ben ce n'est pas chez Citroën qu'il fallait écrire ? Ce qui est possible , c'est que j'ai oublié le mot ''miniature'' »


– Il fabrique un engin pour descendre les étages sur les rampes d'escalier qu'il baptise voiture.
Gag n°216 1962 :
Gaston : « En somme, les ascenseurs c'est les transports en commun, verticalement... Eh bien, moi j'ai ma voiture maintenant. »


Désir de voiture de la part du héros qui s'explique psychologiquement par le besoins de reconnaissance d'un personnages qui redoute sans cesse de se sentir infantiliser, comme en témoigne la colère qu'il éprouve vis à vis des remontrance que les autres membre de la rédaction lui font.
Pour Gaston la possession d'une voiture apparaît comme un signe indispensable d'intégration dans le monde des adultes.
Sitôt acquise il s'empresse de présenter sa voiture à Fantasio son rédacteur en chef avec lequel il entretient des rapports de type clown blanc, auguste. Tout à sa joie, il ignore les sarcasmes de ce dernier.
Gag n° 321 1964 :
Fantasio : « C'est sérieux ? Vous l'avez achetée !?
Gaston : Oui... D'occasion, tu sais !... Le gars, ça lui fendait le cœur de s'en séparer...
Fantasio : … ça ! C'est tout ce qui lui restait de ses aïeux.
Gaston : Oh! Il ne poussait pas à la vente...
Fantasio : ...fatigué de pousser sans doute... »


La voiture est a ses yeux l'outil indispensable pour séduire Melle Jeanne.
Gag n° 288 1964 :
Gaston : « Et si j'avais une voiture, ce soir, pour vous conduire au ciné ; moiselle Jeanne, hm ? Hm ?...
Jeanne : Vous avez toujours de bonnes idées vous, monsieur Gaston ! »
Avant de posséder sa propre voiture, il se démène au téléphone pour s'en faire prêter une et fini par arriver au commande d'un bulldozer.
Une autre fois il l'emmène en promenade sur une moto qu'on lui a prêté (Gag n°729 1972) .
Tout au long de la saga la petite voiture ne cesse de faire lien entre Jeanne et Gaston, notamment au cours des longues promenades qu'ils font ensemble. Dans l'habitacle de la petite voiture ils développent une intimité au cours de laquelle Jeanne parle et Gaston rêveur ne dis rien (gag n°547 janvier 1969) .


La possession d'une automobile confère à Gaston une importance sociale et privé.
– Il peut véhiculer les chefs de la rédaction (Fantasio et Prunelle).
– Il transporte Melle Jeanne et lui apprend à conduire (gag n°358 1965) .
– Il est très fier de sa voiture au point de se fâcher quand Fantasio émet des critiques à son encontre.
Gag n°332 1964 :
Gaston : « Qu'est-ce que tu dis ? Elle avance comme QUOI, ma voiture ??... // …comme une TORTURE RHUMATISANTE ?! C'est bien ça ? // C'est bon ! SORS DE MA VOITURE ! »


Dans la même logique l'attribution de connaissances mécanique automobile lui confère une certaine aura, on lui demande conseil (gag n°450 1967) . Au début des années 60, le tacot de Gaston semble renouveler, grâce à un traitement parodique qui rappelle la parodie astérixienne (cf: Astérix commentaire général), l'image de la voiture individuelle comme symbole du nivellement sociale vers une classe unique qui émerge au sortir de la deuxième guerre mondiale où l'auto cesse progressivement d'incarner un fantasme aristocratique .


Malgré les satisfactions amoureuses et sociale que lui procure son automobile Gaston semble ne pas avoir cesser d'éprouver la frustration par rapport au luxe des voitures de grand standing. Sans cesse il cherche à embellir son automobile, dont il parle comme d'une personne, pour la faire ressembler à une voiture de sport.
– Adjonction d'une bande de damiers réalisé à partir de mots croisés.
Gag n°327 1964 :
Gaston : « Avoue que ça lui va bien ce petit air sport, quoi ! »


– L'installation d'une antenne en attendant d'avoir l'argent d'acheter un autoradio.
Gag n° 884 janvier 1982 :
Gaston : « Jules ! Woah ! Je viens d'installer mon antenne. Une occasion Mais hoo ! Impeccable ! Et quand j'aurai de nouveau des économies, j'achèterai une auto-radio... […] // ...Moi je trouve que ça donne à toute la voiture un chic, une allure moderne, quoi ? »


– Il tente d'acquérir une voiture de sport (M.G.) présenté comme une occasion exceptionnelle qui se révèle être un modèle d'exposition inutilisable (n°421 1966 “Des Gaffes et des dégats” p. 3).
– L'adjonction d'une statuette de l'agent Longtarin sur le bouchon de radiateur est justifier par le fait que « ce serait permis aux propriétaires de Rolls et pas moi ?!? » (Gag n°786 décembre 1973 ). Le même argument est utilisé quand la mouette se poste sur le bouchon du radiateur.
Frustration dont l'origine semble se trouver dans la crainte qu'éprouve Gaston vis à vis d'une possible infantilisation de la part des autres, comme en témoigne sa colère face aux rebufades qu'il éprouve de la part des autres membres de la rédaction.


Gag n°238 1963 :
Gaston : « J'en ai assez ! On me traite COMME UN ENFANT ici !! »


Cette crainte d'une infantilisation de sa personne par les adultes s'illustre dans le tacot de Gaston que son aspect et sa taille assimile souvent à un jouet.
Gag n°532 1968 :
Jules : « Ah ! Génial ! Quand tu tombes en panne avec celle dessous tu continues avec celle du dessus ? Hi Hi Hi !...
Gaston : Sot ! C'est l'auto à pédales de mon neveu... »
L'ironie de Jules assimilant dans un même ensemble la voiture réel et la voiture jouet n'échappe pas à Gaston qui rectifie immédiatement la différence en soulignant la différence entre sa voiture et le jouet. La suite du gag ne lui donne pas raison puisque l'agent Longtarin en verbalisant de la même manière les deux véhicule annule cette différence et rejette la voiture dans le même ensemble d'objets jouets (Longtarin verbalise la voiture de Gaston, la voiture à pédale et un patin à roulette sans faire aucunes distinction). La colère de Gaston qui devient tout rouge n'y fait rien, sa voiture se trouve rejeter du coté de l'enfance par un Longtarin exubérant à l'enthousiasme enfantin.


Au file de la saga la vision de la voiture évolue d'objet d'émancipation et d'intégration sociale, elle devient outil d'aliénation à l'image des embouteillages qui envahissent les rues réduisant à néant les capacités d'action des protagonistes (Gag n°885 1982 « La saga des gaffes » p. 35) .
En 1968, De Mesmaeker troque ses voitures de luxe contre un jet comme symbole de prestige social . Le rapprochement interclasse que suggérait le partage du même statut d'automobiliste disparaît, la possession d'un jet apparait totalement inaccessible (même sous une forme dégradé et simplifié) aux classes populaires incarnées par Gaston. Gaston exprimera une fois de plus sa frustration en abattant l'avion avec une fusée de sa fabrication.


Ce rapprochement interclasse illustré par le partage d'un même mode de transport ressemble à l'instant à la charnière du XIX° / XX° siècle où paysans aisés se déplace en attelage à l'instar des bourgeois propriétaires . Dans les 2 cas le rapprochement concerne une période assez brève (les bourgeois acquièrent des automobiles et les hommes d'affaire voyagent en avion) et possède des limites. Les paysans de la III° république attèlent leur jument d'élevage tandis que le bourgeois possèdent des chevaux spécialement dédié (dressage, sélection) à leur transport, il existe entre ces deux types de traction hippomobile une différence aussi sensible que celle séparant le propriétaire de Cadillac (ou à fortiori de Rolls Royce) du conducteur de 2 CV Citroën ou 4 CV Renault. Rapprochement et différence de standing social matérialisé par l'automobile qu'illustre le film de Maurice Delbez « A pied à cheval et en voiture » (1957) où un petit employé acquière une 4 cv d'occasion pour que sa fille puisse épouser un fils de famille fortuné.


Au cours des années 30, la possession d'une automobile constitue un marqueur de prestige social qui différencie les classes , à l'instar des parents instituteur du narrateur de « La communale » de J. L'Hote l'acquisition d'une automobile apparaît comme un cas de promotion sociale, un signe de notabilité, qu'il faut faire accepter par son environnement.


Au tournant des années 70 la voiture de Gaston apparait de moins en moins comme un symbole d'intégration et devient de plus en plus un signe de marginalité, néanmoins la voiture demeure longtemps un objet de désir qui fascine.


– Gaston consacre un part de sa créativité inventive à mettre au point des gadgets automobile comme un siège éjectable pour voiture de sport (gag n°325 1964) .
– Il emmène Mlle Jeanne assister à une course automobile .
– Plus tard certains des bricolages de Gaston visent à adapter sur sa voiture des innovations techniques derniers cri (airbag) qui se révèlent finalement désastreuse. Tentative que l'on peut interprété comme une tentative désespéré de rattrapage vis à vis du fossé qui se creuse a nouveau entre les classes aisés et les classes populaires.


La voiture s'assimile dans ce cas à un jouet qui sert à imiter l'objet des adultes, la voiture gag alors son propriétaire au monde de l'enfance. Fonction jouet de la voiture du héros qui est révélé par le fait qu'elle lui louée par la production d'un film.
Cependant


– D'autres de ses bricolages témoignent d'une recherche d'alternative automobile.
– Rotor éolien .
– Gazogène.
– Dispositif antipollution.
– Ballon de stockage des gaz d'échappement .
– Mise au point d'une voiture-lit .

– L'automobile de Gaston ne s'intègre pas dans le cadre de la civilisation automobile, Gaston est obligé d'aller en province pour trouver des pièces de rechanges.


Au cours des années 70 la voiture et la ville apparaît de plus en aliénante et semble se faire l'écho de la culture contestataire de la politique du tout automobile (gag n°420 1966) .


Le harcellement constant de l'agent Longtarin à l'égard de l'auto de Gaston peut s'interpréter comme l'indice d'une déviance que l'agent de police garant de l'ordre s'acharne à réprimer.


– Gaston résiste en combinant auto et vélo pour échapper aux embouteillages .
Evolution de Melle Jeanne.


Aliénation du quotidien.


La rédaction comme une prison.

Dès le début de la série l'espace est perçu comme un enfermement. Les personnages ne cessent de sa heurter contre les les murs, le problème de l'ouverture et la fermeture des portes fournit le prétexte à de nombreux gags. Nombres d'expériences de Gaston aboutissent à des explosions qui semble trahir le secret désir du héros d'abattre les murs de son cadre quotidien qu'il pressent comme oppressant. De multiples fois Gaston exprime sa frustration nombres de ses inventions affichent le but de lui fournir le succès qui lui permettra de quitter son emploi.


**L'évasion impossible.**

– L'échappement de la réalité quotidienne semble impossible, où qu'il aille Gaston retrouve des membres de la rédaction auxquels il se heurte sans cesse.
« Gaston 9 » P 44 1/ 2 :
Gaston (rencontrant Prunelle et de Mesmaeker dans la rue) : « Oaah !. Qui voilà ?! Le monde est petit... »


– Les espoirs d'évasion de Gaston se heurtent sans cesse aux murs de la rédaction.
– Les rêves de Gaston l'emmènent très loin (sur des iles paradisiaques, dans l'espace) mais se concluent immanquablement par un retour au travail.


Le sommeil et les rêves.
Le sommeil apparaît pour Gaston, au début de la série, à la fois comme un refuge et comme un moyen de résistance par l'inertie dans un deuxième temps (deuxième partie des années 60) les siestes du héros semblent moins fréquentes, même si elles apparaissent toujours plus élaborées.
Le gag n° 739 1972 met en scène une grotte creusée dans une masse de bouquins, cette grotte de livres à laquelle on accède par un souterrain s'assimile à un nid tiède et douillet, baigné de lumière et de musique douce, dans laquelle Gaston dort dans un état de béatitude qui frappe jusqu'à ceux qui le découvre. Quiétude d'un lieu qui s'assimile à une régression fœtale.


Les rêves de Gaston évoluent au fil de la saga.
– Il rêve de gloire sportive.
– Il associe ensuite Melle Jeanne à des rêves de type robinsonades dont l'évolution témoigne des mutations du personnage.
– Dans les premiers rêves Gaston se met en scène dans des exploits de dompteurs de requins où il s'identifie aux standards du modèle héroïque (Gags n°799, 800, 804 janvier-février 1974 ).
– Plus tard les rêves de Gaston exprime clairement ses désirs à l'égard de Jeanne (Gag n°882 1982) (cf : vision de la femme).


Gaston et les femmes.


Présentent assez tôt dans le personnel de la rédaction, les femmes y occupent un rôle hiérarchiquement inférieur, elles sont standardiste, secrétaire, documentariste et femme de ménage.
Les postes de décision et les travaux artistiques sont exclusivement tenu par des hommes, même la femme de ménage Mélanie Molaire est chapeauté par le concierge Jules Soutier. Tandis que le patronyme de personnages masculins sont désigné par un patronyme s'assimilant à un nom de famille (De Mesmecker, Prunelle, Lebrac), les personnages féminins sont désigné, à l'exception tardive de Mélanie Molaire , par un prénom agrémenté d'un Mademoiselle. Titulature qui tend à les ravaler au rang de personnage mineur.


Infériorité sociale des femmes qui apparaît comme le pendant d'une réalité familiale. En effet tandis que Gaston semble libre de toute attache familiale, le gag n°372 (septembre 1965) révèle la soumission de Jeanne à ses parents quand en pleure elle révèle à Gaston l'interdiction de sortir édicté par sa mère.


A l'exception de Jeanne les personnages féminins dépassent rarement le stade de la silhouette. Seule Melle Sonia sort ponctuellement de l'anonymat au cours de la deuxième partie de la série notamment en suggérant qu'elle entretient une relation amoureuse avec le dessinateur Lebrac.
– Elle prend les spasmes de Lebrac en proie aux affres du piment pour une démonstration d'adresse virile à son égard (« Le géant de la gaffe ») qu'elle rattache à l'archétype masculin ''Tarzan''.
Gag n°688 (octobre 1971) « Le géant de la Gaffe »
Sonia (en pensée) : « Il fait Tarzan pour m'éblouir le grand sot »


– Lebrac propose de lui parler dans le creux de l'oreille ce qui suggère que le propos envisagé peut être potentiellement sensuel (Gag n°571 1969) .
– Le fait qu'ils soit également bronzés au retour des vacances suggère qu'ils les ont passé ensemble dans la proximité des corps sur la plage (Gag n°579 septembre 1969) .
Éléments qui suggère l'existence d'une relation sexualisé entre elle et Lebrac.
– Elle participe, au premier rang, à une manifestation écologique pour défendre un pied de lierre qui pousse sur un parcmètre, au cours de laquelle elle proclame le pouvoir de l'amour.
Gag n°870 (1981) « La saga des gaffes » p. 28.
Sonia : « Le lierre c'est comme l'amour : ''Je meurs où je m'attache'' »


– Elle collabore à l'élaboration d'un robot anti-parcmètre (Gag n°883 1981) .


Activités qui donne de Sonia, à partir des années 70, l'image d'une femme sexualisé émancipé de la tutelle masculine qu'elle traite en égal comme en témoigne le gag n° 868 (décembre 1980) où elle bat Gaston au jeu vidéo.


Les relations entre Gaston et Jeanne n'affichent aucuns signes de conjugalité et diffèrent de celle que suggère l'attitude de Lebrac et Sonia.
– Ils ne partagent pas de logement.
– Ils ne partent pas en vacances ensemble.
– Quand Gaston raccompagne Jeanne chez elle, il ne pénètre pas chez elle.
L'épisode du camion de pompier à grande échelle que Gaston emprunte à son copain Jacob (allusion à l'échelle de Jacob?) (Gag n°372, septembre 1965) est révélateur à la fois de l'intériorisation des interdits sexuels édicté par les parents (en l'occurrence la mère de Jeanne qui lui a interdit de sortir de sa chambre) et du désir que Jeanne et Gaston éprouvent l'un pour l'autre. Détourné l'interdit parental n'est pas transgresser (Jeanne reste dans sa chambre à sa fenêtre tandis que Gaston juché sur l'échelle de pompier joue aux dés avec elle). La nature de leurs relations demeure sous le regard du public gage de sagesse.


– Leurs relations ne laisse pas apparaître de contacts physiques. Quand à l'occasion de la nouvelle année Gaston dépose un baiser, très chaste, sur la joue de Jeanne celle ci devient écarlate et laisse tomber son dossier (Gag n°492 janvier 1968) .
– Tout au long de la série Gaston et Jeanne ne se départissent pas d'une certaine solennité dans leurs échanges verbaux, quelque soit les circonstances, ils ne cessent pas de s'appeler 'moiselle Jeanne et monsieur Gaston.
– Leurs lieux de rencontre semblent exclure toute intimité.
– Le bureau.
– Le cinéma, le spectacle.
– Même les randonnées en voiture aboutissent souvent à des espaces ouverts où le regard d'autrui est fréquemment présent (garde forestier , pêcheur) face à ces tiers, ils adoptent une attitude de sagesse exemplaire correspondant aux cliché du couple vu par les enfants (Gaston joue au troubadour à l'orée d'un bois et ils affichent une très sage attitude au bord d'une rivière ).

Situations qui s'inscrivent dans une logique de bricolage cherchant, à l'instar d'autres séries, à concilier morale et autorité des ainés avec les désirs des jeunes.


Ce refus de la sexualité s'illustre quand réunis à l'intérieur de la petite voiture recouverte de neige qui s'apparente à un cocon Jeanne parle sans cesse tandis que Gaston s'endort .
Monologue de Jeanne à travers lequel transparait son refus de la sexualité. Elle affiche son hostilité vis à vis de Sonia qu'elle qualifie de vipère et invoque sa mère dont l'influence castratrice à déjà eu plusieurs fois l'occasion de s'exercer. Elle évoque son éducation catholique et cite un oncle Gustave qui paraît avoir occupé des fonctions de père de substitution.


Tout au long de la saga les personnages ne cessent d'évoluer Gaston sort progressivement de son narcissisme qui l'amenait à se projeter dans un rapport gémellaire avec son effigie en latex, pour s'ouvrir aux autres en se constituant une petite bande qui participe à ses projets. Jeanne, peut-être encourager par le regard porté sur elle par Gaston, s'épanouit, comme en témoigne l'évolution de ses tenues et de sa gestuelle.
– Au début de la série Jeanne apparaît en jupe noire et justaucorps vert, la moindre émotion la fige dans des postures de fermeture où les bras sont resserré sur le corps, les mains jointes les doigts croisés, les cuisses resserrer.
– A la fin des années soixante elle troque sa jupe noire pour une robe de couleur moulante plus courte qui laisse souvent dépasser la dentelle d'un jupon. Physiquement elle affiche un certain déhanché qui lui donne une silhouette. Le gag n°558 (début 1969) lui permet d'exprimer sa colère quand de Mesmaeker détruit le théâtre de marionnette de Gaston.
– Au début des années 70 elle affiche une tunique courte d'inspiration indienne et des sabots a semelle compensé, elle fait preuve d'élégance en s'achetant un imper à la mode (Gag n°729 fin 1972) . En hiver elle porte des bottes noires et un manteau en peau retroussé (Gag n°750 janvier 1973) . Sa gestuelle apparaît nettement extra-quotidienne en glissant sur le verglas avec Gaston elle laisse son corps s'exprimer.
– A la fin des années 70, elle apparaît en jeans et chemisier (Gag n°888 fin 1982) ou vêtu d'une salopette de couleur (Gag n°878 1981) , elle a grandi au point d'être presque de la même taille que Gaston alors que le début de la saga la montrait moitié moins grande que le héros (Gag n°224 fin 1962) , elle s'affirme et s'impose à Gaston en inventant une nouvelle manière de frauder le stationnement urbain (Gag n°878 1981) « La saga des gaffes » p. 25). Situation qui sanctionne l'émergence d'une vision émancipé de la femme au cours des années 70. Le personnage féminin s'affirme désormais pleinement au coté du héros masculin comme en témoigne sa réplique de conclusion.
Gag n° 878 « La saga des gaffes » p. 25:
Jeanne : « Vous verrez monsieur Gaston : Les femmes vous étonneront de plus en plus. »


Affirmation face aux hommes qui vas de pair avec l'image d'une complète émancipation vis à vis de la tutelle psychologique des parents. En fraudant la loi du stationnement, Jeanne affirme à la fois son droit à aimer Gaston et sa volonté de ne plus obéir à une loi imposé.


Malgré cette évolution le couple Gaston / Jeanne reste confiner à un stade platonique. Une relation adulte et sexuée, n'est envisagé que tardivement et uniquement dans un cadre onirique et ne s'agit-il que de tentatives avortées.
– Naufragé sur une iles paradisiaque Gaston et Jeanne s'apprête à partager une cabane suspendu quand le réveil intervient sous la forme d'une intervention de Mesmaeker.
– Au cours d'un voyage interstellaire Gaston et Jeanne s'apprête à faire l'amour dans une capsule spatial quand une intervention de Prunelle interrompt tout (Gag n°882 1981) .
Incapacité qui à l'instar du cauchemar de Longtarin (cf fiche voiture) témoigne de la prégnance aliénante de l'univers quotidien. Si le couple formé par Jeanne et Gaston se rapproche, par bien des traits, d'autres couples suggérés comme Valérian / Laureline, Natacha / Walther, Yoko Tsuno / Vic il n'en demeure pas moins non-sexualisé.


La vision explicite de la sexualité n'intervient dans la série que dans le cadre éditorial, échappant aux contingences de la presse enfantine, d'une planche de promotion pour Amnesty International où au cours d'un cauchemar entièrement rouge Gaston assiste impuissant au viol de Jeanne. Scène qui peut se rattaché à la réminiscence d'une scène primitive traumatisante.


La mise en scène des relations entre Jeanne et Gaston semble débuter au cours du milieu des années 60 quand Gaston abandonne une partie de son comportement narcissique pour s'ouvrir vers les autres. Le premier gag mettant en scène Jeanne et Gaston voit celui ci l'envisager comme un simple objet
Le double gag 505-506 (début 1968) qui voit Gaston couvé des œufs de tortue marine témoigne la permanence des pratiques autoérotiques de celui-ci et exprime le désir de conserver une unicité sexuelle où il serait à la fois mâle et femelle, père et mère.
Quand il décide de couver les œufs, suite à l'interdiction d'utiliser une couveuse électrique, Gaston s'affirme dans des fonctions de mère. La page suivante montre Gaston tournant nerveusement autours de la couveuse remise en marche fumant cigarettes sur cigarettes attendant l'éclosion des œufs à la manière d'un père dans la salle d'attente d'une maternité. Ses mots lors de l'éclosion révèle son angoisse face à Prunelle qui endosse le rôle de sage-femme.
Gag n°506.
Gaston : « Je veux les voir on me cache quelque chose ! »


Vision de la famille.
La série semble sanctionner l'effacement de la tutelle parentale, alors que d'autres séries se peuplent de substituts parentaux, l'univers gastonien semble caractérisé par l'éffacement du référent paternel qu'est Monsieur Dupuis qui n'apparait jamais et intervient peu et de moins en moins. Une autre figure comme le fermier Gustave se trouve rapidement dévalorisé.


Gaston un héros classique?
L'énergie inventive et les origines inconnues de Gaston permet de le rattacher à la tradition du conte de fée où le jeune héros prend une revanche sur le coup du sort de sa naissance en accédant aux plus hautes fonctions .


L'irruption de Gaston Lagaffe dans l'univers de la rédaction du journal Spirou présente des similitudes avec le syndrome de l'enfant trouvé. Il apparaît d'abord en 1957 sous forme de portrait en pied dans des images entouré de traces de pas bleu. Personne ne sait d'où il vient et ne semble pas avoir été engagé (ce qui dans l'univers de la série s'assimile à un engendrement). Dépourvus de fonctions (on l'intitule ''héros sans emplois'') sa candeur semble à l'origine de son anarchisme.


La plupart des projets inventifs de Gaston témoigne d'un besoin compulsif de reconnaissance. Chacune de ses trouvailles s'accompagne d'un espoir de gloire concrétisé par des contrats et brevets lui permettant d'enfin acquérir une condition digne de lui. Attitude constante tout au long de la série. Les échecs systémiques que Gaston provoque, plus ou moins volontairement, dans la signature des contrats entre la maison Dupuis et l'homme d'affaire de Mesmaeker paraissent découler d'une logique de la jalousie semblable à celle qui conduit Gaston à s'acharner sur les rutilantes voiture de l'homme d'affaire. Le gag n°193 (début 1962) montre Gaston rêvant de gloire cinématographique en posant pour des photos dans une agence publicitaire minable.
Gag n°193 Gaston 4 p. 4.
Gaston (en pensée) : « Voilà peut-être le début de ma vraie carrière... // On commence comme ça et on se retrouve jeune premier de cinéma... »


Sa vocation musicale semble, au début de la série, avoir pour origine un désir de gloire, comme en témoigne plusieurs démonstrations qu'il effectue devant Fantasio (Gag n°116 1960 & 183 début 1962).


Gaston apparaît souvent plus proche du règne animal (comme en témoigne la faune qui l'entoure) que de l'humain. De l'enfant trouvé il semble également posséder le don de métamorphose (comme en témoigne son goût pour les déguisements ). Outre les nombreux animaux qu'il adopte (chat, mouette, souris, homard, hérisson, poisson rouge) Gaston en arrive par deux fois à couver des œufs .


La différenciation de l'enfant trouvé Lagaffe avec l'enfant trouvé Tintin réside dans l'absence d'intériorisation de cadres moraux Gaston apparaît autant destructeur que Tintin est civilisateur à ses débuts (« Tintin au Congo »). Le Tintin des débuts apparaît comme un restaurateur d'ordre, Gaston apparaît au contraire comme un destructeur, entre ses mains les objets les plus emblématiques du paraître social se trouve démantibuler, désossé, détourné voir réduit à néant.


Le roman familial d'un rédaction.
Un univers clownesque.
La dramaturgie mise en scène durant les premiers temps de la série partage de nombreuses similitudes avec la mécanique du comique clownesque. Sans qu'il soit, pour l'instant, possible d'établir un lien direct entre Franquin et l'univers circadien, on constate de nombreux points communs entre la série des débuts et le monde des clowns qui au début des années 60 brille encore de ses derniers feux.
– Dépouillement du décor.
– Simplicité dramatique des situations qui découlent, la plupart du temps, du développement d'une logique poussé jusqu'à l'absurde de situations simple et quotidienne, à l'image de Gaston comptant, sous l'œil narquois de Fantasio, les bouteilles disposées en cercle sans pouvoir s'arrêter (Gaston 4 p.8).
– Immobilité temporelle, qui amène les personnages à ne conserver aucune trace du passé.
– Utilisation de leitmotivs verbaux et dramatiques (le ''M'enfin'' dont Gaston ponctue la plupart de ses action ressemble dans sa fonction dramatique au ''Sans blague'' de Grock qui termine sa carrière dans les années 50).
– La réutilisation d'accessoires et de situations déjà utilisé peut renvoyer au comique de reprise des augustes de soirée. Comique de répétition qui se retrouve également par les nombreuses apparitions de Gaston dans les pages du journal (couvertures, gags de bas de pages...).
– Graphiquement la rondeur des visages et la rondeur des nez renvoie au grimage des clowns.


La saga fait plusieurs fois référence au monde du cirque.
– Fantasio prépare un numéro de lanceur de couteau.
– Fantasio détourne l'histoire de Guillaume Tell pour duper Gaston, thème que détourne également une entrée des Fratellini également repris dans la séquence des clowns du film de Charlie Chaplin « Le cirque » (1929).
– Gaston met au point un numéro de corde à sauter en velo qu'il envisage de présenter à un directeur de cirque.
– Gaston met au point un numéro de dressage d'escargot qu'il présente à un impresario vétu d'une peau de bête à la manière d'un dompteur.
– L'aventure « Bravo les brothers » (14/10/65 – 03/03/66) met au prise Spirou Fantasio et Gaston à un trio de singes artiste de cirque dans les murs de la rédaction.


**Le duo Gaston et Fantasio.**

Psychologiquement le personnage de Gaston ne cesse d'évoluer tout au long de la série. Les premiers gags le montre très replié sur lui même en proie à un penchant pour le sommeil qui frise l'autisme. Les rapports Fantasio / Gaston sont empreint d'une grande violence et relèvent du duo clown blanc (Fantasio) auguste (Gaston) auquel ils empruntent à la fois l'économie de moyen en décors et accessoires (majorité de fond unie absence de profondeurs champs) et la simplicité des intrigues d'un comique de situation et la violence des rapports. Vis à vis d'un Gaston / auguste enfant, Fantasio dans un rôle clown blanc s'assimile plus au grand frère de Gaston qu'à un éventuel substitue paternel. Dépourvu de la puissance et de l'autorité du père Fantasio s'essaye sur Gaston à en copier l'attitude.
– Il a pour lui des attentions qui dépasse les simples rapports professionnels comme de l'envoyer à la campagne (Gag n°315 « Gare aux gaffes du gars gonflé » p.15).
– Il lui fait la morale, y compris par des référence religieuse.
Gag n° 200 Gaston 4 p. 12 :
Fantasio : « Car vous savez bien, Gaston, que LA FOI TRANSPORTE LES MONTAGNES »
Exhorte que Gaston prend au pied de la lettre en lui apportant une montagne (de courrier). L'utilisation comme ressort comique de la confusion entre sens propre et sens figuré est également présent dans le Gag n°198 et constitue un classique de la mécanique du comique clownesque .


– Il morigène sans cesse Gaston à chaque catastrophe qu'il provoque.
– L'exaspération de Fantasio le pousse parfois dans une logique d'imitation de la toute puissance paternelle à vouloir supprimer Gaston de la manière la plus violente. Les gags 139 et 142 (mars 1961) montrent Fantasio en furie étranglant Gaston.


Plusieurs gags du début de la série met le duo Gaston Fantasio au prise avec une effigie de Gaston en latex grandeur nature. Avec ce double Gaston ce jumeau entretient un rapport fusionnel quand Fantasio s'avise de le peindre en blanche pour les distinguer l'un de l'autre (gag n°120 juin 1960) il barbouille accidentellement de peinture et rétabli immédiatement la gémellité de départ. Similitude gémellaire non biologique qui psychologiquement trahit une régression au stade oral passif où le névrosé retrouve les fantasmes auto-érotique de sa prime enfance et n'entretient plus aucuns contacts avec l'extérieur comme en témoigne son penchant pour la sieste. Le Gaston latex par sa fonction miroir figure là ses tendance autoérotique, le gag n°133 l'entremêlement de Gaston avec son double en latex compose un être bicéphale qui terrifie Fantasio. L'hostilité de Fantasio à l'égard du double latex peut également se lire comme l'expression de la frustration qu'éprouve Fantasio vis à vis du comportements autoérotique de Gaston les tentatives d'étranglement de Fantasio vis à vis de Gaston pouvant se lire comme une tentative de viol naissant de la frustration d'un désir homosexuel refoulé . Sentiments de Fantasio à l'égard de Gaston qui se révèle par l'embarras où l'émotion qu'il témoigne vis à vis des émotions de Gaston (ex: gag n°136 1960 & n°201 début 1962 ).


L'intégration du personnage en latex au sein du duo Gaston Fantasio se révèle riche en situations dramatique d'une part le mannequin cristallise une part de la violence qui anime le duo (Fantasio le boxe (n°132), lui plante une punaise dans le nez (n°159) et fini par tenter de l'éliminer deux fois (n°123 et n°175)). Le jeu de quiproquo que génère la confusion Gaston / latex génère des situations dramatique confinant à l'absurde.


Monsieur Dupuis – Monsieur Loyal.

A l'instar du Mr Loyal qui du bord de la piste surveille et supervise les jeux du clown blanc et de l'auguste, Monsieur Dupuis le patron-propriétaire du journal de Spirou possède à tout moment d'arrêter le jeu et dispose d'une autorité toute puissante, tout en restant constamment hors champs. S'il n'apparait jamais physiquement dans le dessin, Monsieur Dupuis détient une autorité éminente et dicte ses ordres par téléphone à ses subordonnés (Fantasio, Boulier) qui tremblent en l'entendant, il possède le pouvoir de renvoyer tous les membres de la rédaction ce qui dans le cadre de la fiction équivaut à un droit de vie et de mort (Gaston se trouve renvoyer quand Mr. Dupuis découvre la vache qu'il a installer dans les locaux de la rédaction ). Les membres de la rédaction entretiennent vis à vis de lui des sentiments filiaux, à la manière de fils par rapport au père.
– Fantasio s'adresse à monsieur Dupuis à la manière d'un élève caftant à un maitre d'école.
Gag n°121 (Gaston 3 p. 5).
Fantasio : « MONSIEUR DUPUIS vous êtes témoin : Gaston s'amuse à patiner à roulette SUR SON BUREAU. »
– Prunelle incite Gaston à penser à travailler pour Monsieur Dupuis.
– Les membres de la rédaction s'entendent pour lui cacher certains faits (comme notamment l'installation d'une vache par Gaston dans les locaux de la rédaction (décembre 1960) jusqu'à ce qu'il le découvre lui-même).


Mr Dupuis paraît obéir à une logique étrangère aux membres de la rédaction.
« Gaston 4 » p 20 1/1, 2 :
Dupuis (au téléphone) : « … Oui, il faut confier certaines responsabilités à Gaston... Je lui ai donné un catalogue et un budget... Afin qu'il choisisse lui-même une armoire pour son bureau... Qu'en pensez-vous Monsieur Fantasio ?
Fantasio : Que c'est vous le patron... »


De même on ne comprend pas que le grand patron ne s'occupe pas lui même de la signature si problématiques des contrats de Mesmaeker, tandis qu'il finance certaines inventions farfelus de Gaston.
Prunelle : « Je ne comprend pas comment il a pu convaincre Dupuis de financer son invention pour gagner du temps »


Au fil des années 60 la série évolue sensiblement Gaston s'ouvre aux autres en constituant une petite bande qui partage ses projets, son penchant pour la sieste s'atténue. Le statut du sommeil change insensiblement de fuite narcissique face à la réalité il devient manifestation hédoniste du plaisir. Au début de l'année 1963 (gag n°237) commence de manière fort sage l'idylle entre Jeanne et Gaston. L'activité inventive de ce dernier évolue de plus en plus vers la recherche d'une reconnaissance publique, tentative qui réussi ponctuellement quand Gaston obtient un témoigne de plus en plus d'une ouverture vers le monde extérieur. Autant d'éléments qui rattache Gaston vers le modèle psychologique du bâtard.


Graphiquement l'ouverture du personnage au monde extérieur se traduit par la multiplications des lieux d'interventions du héros (rue, vacances, campagne) même si l'espace de la rédaction reste dominant. Le décor prend de l'importance les murs jaunes de la rédaction se garnissent de d'illustrations qui sont autant de références aux autres séries. La variété des cadrage et l'importance croissante prise par la perspective intègre le personnage dans l'ensemble d'une monde complexe qui gagne en réalisme et avec lequel il se trouve contraint d'interagir .


Le remplacement, à partir de 1968, de Fantasio par Prunelle comme alter égo du héros entérine à la fois un recul de la violence et un recul de l'affectivité. Vis à vis de Gaston Prunelle agit en supérieur hiérarchique si ses réactions peuvent être, parfois, empreinte d'une rare violence elle provienne d'un sentiment de vengeance et ne semble plus l'expression d'une frustration refoulée. Prunelle ne témoigne plus de la même sollicitude que Fantasio à l'égard de Gaston leurs rapport sont d'ordre beaucoup plus professionnels et c'est désormais entre Jeanne et Gaston que les sentiments s'expriment. Dramatiquement le comique de situation de type clownesque fondé sur l'antagonisme exacerbé d'un duo fait place à un humour faisant références à l'ensemble d'un univers.


Gaston un héros avorté.
Gaston présente à la base plusieurs caractéristiques du héros classique.
– Son absence de filiation le rattache au profil de l'enfant trouvé.
– Il s'autoproclame lui-même héros.

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le 12 déc. 2020

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