On ne doit pas s’attendre à ce qu’une série qui traite du vieillissement, de la mort et de l’immortalité (provisoire) soit marrante à chaque coin de page. Là, par exemple, la copine de Dallas, Maria (brune plantureuse, mais je n’aime pas trop son nez un peu fort) veut mourir alors qu’elle a les moyens de se payer une cure d’immortalité. Evidemment, Dallas et Stileman trouvent ça idiot du début à la fin. Et les motifs que donne Maria d’en finir sont quand même moyennement crédibles : « J’ai vécu plus d’un siècle. C’est plus qu’assez. Je veux savoir ce qu’il y a de l’autre côté. »

Suspect. D’abord, « vivre plus d’un siècle ». Le traitement de Stileman ne serait-il pas vraiment rajeunissant ? Car cette lassitude qu’éprouvent les vieillards à avoir beaucoup vécu vient de ce que leur mémoire n’élimine plus en temps utile les souvenirs superflus et déprimants. Trop vécu, c’est le sentiment de ceux qui ne sont plus en mesure d’éjecter les souvenirs qui leur pèsent. Les jeunes n’éprouvent pas ce sentiment, parce que leur machine à oublier, qui fait tout le charme et la crétinerie de leurs inconséquences, fonctionne à plein rendement. Parce qu’ils éteignent (inhibition extinctive) les souvenirs excédentaires et inutilisables. Cette fonction d’élimination décline avec les désordres de l’âge. Le jour où ce que tu as vécu occupe davantage tes pensées que ce que tu voudrais vivre, tu es vieux, et le vacarme de tes souvenirs commence vraiment à te gonfler, en partie parce qu’il tourne en rond. Donc, si le traitement de Stileman produisait tous les effets de rajeunissement, il restaurerait également la fonction d’extinction. Visiblement, il y a un raté chez Maria.

Deuxième moitié de l’argumentation : « Je veux savoir ce qu’il y a de l’autre côté. » Parce qu’elle s’imagine que, que l’Au-delà existe ou pas, elle va trimbaler dans l’outre-tombe ses facultés d’observation et d’apprentissage ? Un cerveau pourri se régénère rarement, même pour satisfaire une curiosité féminine. Bref, pas claire, la Maria. Déprimée, sans doute. Ce ne sont pas ses angoisses métaphysiques (planches 44 et 46) qui suffisent à expliquer ni son envie de mourir, ni sa décision finale.

A partir de ce fondement douteux (mais il faut bien prendre le lecteur à la gorge par un sentiment tragique), l’intrigue se fait policière : une histoire de trafic de drogue nouvelle, la « shéroïne », dont les personnes addictes souffrent de symptômes de manque particulièrement affreux (planches 15-16). On apprécie beaucoup le coup tordu au moyen duquel les trafiquants contaminent Dallas Barr et sa copine. Fallait y penser.

Les « méchants » de l’affaire sont des mafieux, visiblement australiens (kangourou et Opéra de Sydney planche 9, signalétique assez lourde...) ; l’un a la tête de Mick Jagger patibulaire (planche 10), et l’autre, dans la tradition des James Bond, est affligé d’une anomalie physique (ici, une prothèse oculaire électronique). Les paramètres d’analyse physiologiques du bon Stileman semblent, comment dire ?, un peu sommaires par rapport aux finalités de l’analyse (planches 32-33).

Le résumé de l’épisode précédent tient en une seule vignette, la première. La « République Conche » des Keys semble bien aussi fantaisiste et éthylique que son prototype du XXe siècle.

Le bleu-crépuscule des premières planches, dans lesquelles le décor est parfois carrément éliminé, favorise le romantisme des retrouvailles entre deux super-vieillards rajeunis qui s’accouplent nus sur le sable et sous les palmiers (planches 6 et 7). L’île qui les accueille porte un joli fortin hexagonal (planche 6) qui ne doit pas relever de la fiction : il est la reproduction quasi exacte de Fort Jefferson, sur la micro-île de Garden Keys, dans le Parc Naturel de Dry Tortugas, dans les Keys (Lat. 24° 37’ 42 Nord, Long. 82° 52’ 23 Ouest). Le Paris de 2076 a toujours Notre-Dame sur son île (planche 24), mais les Champs-Elysées sont cernés de plus en plus près par d’orgueilleux gratte-ciel d’affaires qui ridiculisent l’Arc de Triomphe (planche 27).

Marvano ne lésine pas sur les décors : nacelle en forme de test d’oursin suspendu dans une dépression du sol (planche 13) ; la fille mafieuse s’habille carrément en pharaonne, mais on n’avait pas encore inventé les soutifs à l’époque ; spectacle de danse travestie en 3D dans une pièce par holographie (planches 30-31) ; architecture recherchée du QG de Stileman à Sydney (planche 43).

Au total, un bon suspense avec des mécanismes efficaces et bien rodés. Mais quelques accrocs à la vraisemblance scientifique et psychologique.
khorsabad
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le 4 mai 2013

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