Il s'agit d'une bande dessinée de 62 pages, en couleurs. Elle est initialement parue en 2016, écrite par Jean-Baptiste Thoret, dessinée et mise en couleurs par Brüno. Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s'est fixé comme but d'explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s'agit donc d'une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.


Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle s'ouvre avec un avant-propos de David Vandermeulen de 5 pages, plus une page de notes. Il commence par évoquer les noms de Dirty Harry Callahan, Bonnie Parker et Don Corleone, puis ceux de réalisateurs comme George Romero et Don Siegel. Il rappelle que les films américains des années 1970 ont longtemps été considérés avec une forme de dédain en France, dans les revues grand public, que le terme même de Nouvel Hollywood n'est apparu qu'en 2002 dans la traduction du titre d'un livre effectuée par Alexandre Peyre, et que la majeure partie des réalisateurs de cette époque n'ont pas réussi à effectuer la transition des années Reagan. Il évoque ensuite les partis pris qui président au choix des bornes chronologiques de ce Nouvel Hollywood, entre 1954 et 1983, en fonction des experts.


La bande dessinée commence avec une citation de Hunter S. Thompson, extraite de Las Vegas parano (1972), évoquant l'air du temps sur la côte Ouest des États-Unis à cette époque-là, avec un biker en train de regarder le désert, évoquant Peter Fonda dans Easy Rider (1969) de Dennis Hopper. L'exposé établit ensuite l'état du cinéma américain de 1950 à 1967, le règne des studios, leurs PDG vieillissants, les grosses productions n'arrivant plus à attirer les foules dans les salles obscures, le décalage grandissant entre les événements sociaux agitant le pays, et les habitudes de production hollywoodiennes. À quelques mois d'intervalle, sortent alors 2 films emblématiques d'un renouveau : (1967) d'Arthur Penn et Easy Rider de Peter Fonda. Mais dans ce deuxième film, Peter Fonda improvise une ligne de dialogue qui s'annonce prophétique : on a tout fichu en l'air. Le fil revient alors à l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas, et au film amateur tourné par Abraham Zapruder qui capte l'assassinat. Puis sont évoqués The Swimmer (1966) de Frank Perry et Seconds (1966) de John Frankenheimer. Viennent ensuite Bonnie and Clyde, Rosemary's Baby (1968) de Roman Polanski, etc. L'exposé se termine avec la fin de l'ère du Nouvel Hollywood, l'avènement des blockbusters, et l'élévation de ces films à un statut de frontière romantique de la cinéphilie et des cinéastes d'aujourd'hui.


On peut compter sur David Vandermeulen pour écrire un avant-propos qui contextualise le thème. Il commence par évoquer des films ou des noms de personnages qui sont passés à la postérité, et inscrits dans l'inconscient collectif. Puis il resitue l'invention du terme Nouvel Hollywood, en 2002 pour la France. Il prend le temps d'évoquer comment ces films du Nouvel Hollywood étaient considérés par la critique établie en France, c’est-à-dire regardés au mieux comme des films de série B, au pire de série Z. Les idées ainsi remises en place, le lecteur est prêt pour effectuer le plongeon dans l'exposé très dense de Jean-Baptiste Thoret. Il comprend vite que l'auteur ne fait pas semblant : il s'agit d'un exposé docte et savamment construit qui a été confié à un dessinateur pour l'illustrer. Il n'y a donc pas de séquences de cases décrivant une action, ou d'utilisation de dispositif séquentiel racontant une histoire. L'artiste Brüno est plus qu'asservi à mettre en images un exposé, il est cantonné à illustrer une présentation magistrale sur le Nouvel Hollywood. C'est flagrant dans les choix de construction de page. C'est explicite quand Brüno se retrouve à dessiner la silhouette du scénariste en train de pérorer devant l'écran vierge géant d'un drive-in. Certes l'auteur apparaît sous la forme d'un avatar à l'apparence simplifié, mais il est bel et bien en train de faire un cours magistral.


Le lecteur plonge donc dans un exposé dense et docte, à la construction chronologique, avec des digressions non chronologiques quand un élément contextuel nécessite des précisions. L'exposé commence par une évocation du type de films que produisait les studios hollywoodiens avant le Nouvel Hollywood, et le manque de succès relatif de ces films à grands budgets. Puis il évoque les mouvements sociaux et la transformation de la société américaine durant la décennie des années 1960, à commencer par la guerre du Vietnam et le mouvement hippie. L'auteur rentre ensuite dans le vif du sujet en évoquant un film de 26 secondes réalisé par Abraham Zapruder, estimant que ces images forment l'un des films les plus célèbres de tous les temps et qu'elles ont influencées les cinéastes de toute une génération. Il s'agit d'un film amateur montrant l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas. Ce film montre la réalité comme jamais auparavant, un événement traumatisant pour le peuple américain et une violence crue. Par la suite, Jean-Baptiste Thoret passe en revue l'œuvre de nombreux réalisateurs associés au Nouvel Hollywood avec leur film emblématiques (2 ou 3 pour une poignée d'entre eux) par ordre à peu près chronologique, avec quelques interruptions thématiques. Le lecteur découvre ainsi ou retrouve Frank Perry (The swimmer, 1966), John Frankenheimer (Seconds, 1966), Arthur Penn (Bonnie and Clyde, 1967), Roman Polanski (Rosemary's baby, 1967), le producteur Roger Corman (né en 1926), Peter Bogdanovitch (La cible, 1968), Dennis Hopper (Easy Rider, 1969), etc. Le dernier film à être cité et commenté comme s'inscrivant dans le Nouvel Hollywood est Taxi Driver (1976) de Marti Scorcese.


Pour chaque film, Jean-Baptiste Thoret ne se contente pas de citer le titre et le réalisateur. Il résume l'intrigue en quelques phrases s'il estime l'information pertinente. Il en effectue un commentaire lapidaire axé sur un thème ou sur ce en quoi le film se démarque de la production des années précédents, ou sur ce en quoi il reflète un événement de l'époque, ou une évolution socio-culturelle significative. Le lecteur se rend compte qu'il plonge dans un exposé aussi synthétique que dense, avec un rythme soutenu. Il peut y a voir un film et un réalisateur par page, ce qui constitue chaque fois un développement en lui-même. Les commentaires font qu'il ne s'agit pas d'une longue litanie de films ressemblant à un catalogue. Au fil des pages, le lecteur constate également que l'auteur revisite une partie de l'histoire des États-Unis, de l'assassinat de JFK à la montée de la contre-culture et sa récupération par des individus l'ayant pervertie ou utilisée sans vergogne. Thoret déroule son exposé en phase avec son sujet, évoquant les films comme autant de signaux ou de témoignages d'une époque riche en bouleversement. Il met en lumière une industrie en pleine mutation, contrainte de donner les rênes à une nouvelle génération en phase avec la jeunesse, en opposition avec les générations précédentes. Lorsque nécessaire, il rappelle un élément culturel comme l'instauration du Code Hays (code de censure en vigueur de 1934 à 1966, appliqué aux productions cinématographiques), ou encore la manière dont le cinéma hollywoodien avait intégré une forme de racisme naturel invisible, le massacre de Sharon Tate par Charles Manson en 1969.


Avec un exposé d'une telle qualité et d'une telle compacité, Brüno ne dispose pas de beaucoup de marge de manœuvre pour penser et réaliser ses illustrations. Il est également contraint par le format un peu petit de cette bande dessinée. Il utilise des cases avec ou sans bordure, ainsi que de nombreuses illustrations pleines pages, parfois composées d'un seul dessin, parfois une composition à partir de plusieurs images. Le lecteur peut s'interroger sur l'intérêt des dessins dans une telle entreprise de vulgarisation. S'il est honnête, il reconnaît bien volontiers que c'est vraisemblablement le format qui l'a décidé à lire un ouvrage sur un tel sujet, c’est-à-dire le fait qu'il s'agisse d'une bande dessinée. Ensuite Brüno réalise des dessins simplifiés, avec des contours un peu arrondis, très agréables à lire et à regarder, ces caractéristiques facilitant la fluidité de la lecture, contrebalançant les pavés de texte. Dès la couverture, le lecteur constate également que l'artiste n'a pas son pareil pour réaliser une image iconique de chaque film évoqué. Ces images sont tellement évidentes à la lecture, qu'elles semblent relever d'une facilité accessible à tout le monde. En fait, elles prouvent la dextérité de l'artiste réussissant à faire croire au lecteur qu'il regarde une image du film, alors qu'il s'agit bien de tâches noires sur le papier.


De page en page, le lecteur reconnaît au premier coup d'œil des images passées dans l'inconscient collectif, sans aucun effort. Bien sûr qu'il s'agit de Peter Fonda, dans Easy Rider, de Martin Luther King en train de faire un discours, d'un gremlin assis aux côtés de Joe Dante, de Linda Blair en train de léviter au-dessus de son lit, de Clint Eastwood avec son Magnum 44, ou encore des figurines de la Princesse Leia pour le merchandising sans borne de Star Wars. En considérant les alternatives potentielles, le lecteur comprend mieux ce qu'apportent les dessins. Un exposé sans image aurait été beaucoup plus aride et aurait fait appel aux connaissances du lecteur, le réservant de fait à des lecteurs s'étant déjà intéressé à ces films, disposant d'une culture préalable en la matière. Sans dessins, cet ouvrage n'aurait pas atteint son objectif de vulgarisation. Il aurait également été possible d'envisager le même texte illustré par les affiches des films concernés et pas des images tirées desdits films. Le lecteur imagine sans peine les difficultés pour obtenir les droits d'utilisation desdites images, ainsi que le budget à prévoir en conséquence. Le choix de la bande dessinée permet de faire coexister sans difficulté des films dont la propriété intellectuelle est détenue par des studios différents et concurrents. En outre, il permet d'établir une unité visuelle dans l'exposé en ramenant tous les films dans le même type de dessins, ce qui n'aurait pas été possible avec des images de films qui les auraient plus singularisés. Enfin, Brüno sait capturer l'atmosphère iconique de chaque film avec une justesse quasi surnaturelle.


Ce septième tome de la petite bédéthèque des savoirs tient sa promesse de faire découvrir le Nouvel Hollywood en bande dessinée. L'auteur Jean-Baptiste Thoret a décidé d'en donner pour son argent au lecteur, avec un exposé dense, solidement argumenté, passant en revue les principaux réalisateurs de cette période, et contextualisant leur œuvre par rapport au contexte socio-culturel et aux habitudes précédentes en matière cinématographique. Brüno apporte de la fluidité à l'exposé, renforce son unité et ait surgir des images iconiques, même si la dimension séquentielle de la narration est entièrement portée par le déroulement de l'exposé, et pas par les images.

Presence
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le 12 avr. 2019

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