Tintin au repos
Magnifique comédie de moeurs, cet épisode est aussi celui où Hergé s'est fixé le plus de limites. Il a réussi la gageure de tenir le lecteur en haleine pour une histoire où il ne se passe rien, car...
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le 7 nov. 2020
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BD franco-belge de Georges Remi (Hergé) (1963)
Magnifique comédie de moeurs, cet épisode est aussi celui où Hergé s'est fixé le plus de limites. Il a réussi la gageure de tenir le lecteur en haleine pour une histoire où il ne se passe rien, car c'est une aventure sans en être une. C'est un grand jeu de psychologie, on assiste à une démystification des héros, un bouleversement des personnages. Le déroulement du quotidien, le vide de l'action, la stagnation de l'intrigue, l'absence de méchant ou de trafic quelconque, finissent par provoquer le suspense (en dépit d'un décor unique et du contexte du huis-clos), car le lecteur est toujours dans l'attente qu'un événement imprévu va survenir pour chambouler ce calme inhabituel dans une aventure de Tintin. Tout ceci fait la force du récit.
La vraie vedette, c'est Moulinsart. C'est le havre de paix, réservé au repos entre 2 aventures, mais Tintin s'y morfond, il est désoeuvré. On le voit errer à travers les pâturages des romanichels en quête d'un exploit à accomplir mais qui ne survient jamais ; il se cache dans le grenier pour satisfaire sa soif d'aventure avortée ; il court après des paparazzi pour se rappeler qu'il est un homme d'action ; il surprend la petite faiblesse de Wagner pour se prouver qu'il adore jouer les détectives... Hergé pousse même l'ironie de lui faire lire L'île au trésor, page 43, roman d'aventure par excellence. Autant d'éléments qui mettent le héros mal à l'aise et qui nous étonnent car on n'a pas été habitués à voir Tintin aussi statique et aussi occupé à ne rien faire.
Même Haddock qui d'habitude aspire au repos, finit par s'ennuyer, d'une part à cause de son immobilité en fauteuil-roulant, d'autre part à cause de la présence envahissante de la Castafiore qui le malmène et se mêle de tout. Véritable castratrice et reine de cette histoire, elle n'épargne personne, ni Haddock dont elle déforme le nom 16 fois et lui prodigue ses conseils vestimentaires, ni Tintin en qui elle est plus distante que dans d'autres albums, ni Nestor qu'elle traite comme un véritable larbin, ni ses "gens" Irma et Wagner (voir la séquence où elle engueule tout le monde pages 41 à 43) ; même Lampion le casse-pied, trouve à qui parler puisqu'elle lui claque la porte au nez. Bref, elle déstabilise tout le monde, seul Tournesol isolé dans sa surdité, semble échapper à tout ça, et tombe même sous son charme.
Les Bijoux, c'est aussi l'album où l'on y parle le plus, le dialogue y est plus abondant en raison du manque d'action qui d'habitude s'explique mieux par l'image. La chute de l'histoire est aussi une chute au sens propre, avec le répétitif de la marche cassée qui est en partie l'oeuvre de ce fumiste de Boullu. Pour tout ça, cet album est, en dépit de l'appellation "aventure" de Tintin, le plus achevé d'Hergé, son chef-d'oeuvre, mais c'est aussi celui qui dérouta le plus son public, peu familiarisé avec le sédentarisme de ses héros. Hergé l'a d'ailleurs précisé lors de ses entretiens avec Sadoul : J'ai pris un malin plaisir à dérouter le lecteur en me débarrassant de la panoplie traditionnelle de la bande dessinée : pas de mauvais, pas de véritable suspense, pas d'aventure au sens propre.
Graphiquement, Hergé est au summum de son art, son dessin est celui de la maturité, il n'a pas eu besoin de redessiner cet album, tout y est pensé, pesé et revendiqué ; on y trouve peu de gags en fait, surtout des situations comiques, la séquence la plus drôle étant celle où Tournesol déboule l'escalier en fauteuil-roulant et bouscule le docteur dont la voiture est tout en bazar. Un album indispensable dans toute bédéthèque de Tintinophile.
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le 7 nov. 2020
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