Ne jugez pas un livre à sa couverture, peut-être mais dans ce cas précis la couverture simili cuir « nécronomiconesque » sied parfaitement au contenu de cette anthologie dédiées aux « Chefs d’œuvre de Lovecraft ».


Gou Tanabe (parfois orthographié Gô Tanabe) que je découvre ici a réalisé une adaptation de haute volée des écrits du maître du fantastique. Le trait fouillé et méticuleux du mangaka rappelle un peu Taniguchi, ou alors c’est juste que Le sommet des dieux est dans un décor similaire, avec une emphase toute particulière sur les ambiances sombres et une évidente admiration pour la gravure. Les « montagnes noires » gagnent ainsi (enfin) une vraie dimension cinématographique quand elles contrastent avec le désert glacé les entourant de même que la présentation des Anciens entre végétal et animal, sans ostentation, fera sans doute frémir l’amateur de bébêtes qui est en nous. Au titre des (rares) défauts, les visages de ses personnages sont cependant peut-être un poil lisse même si le Professeur Lake et ses compagnons d’infortune demeurent largement convaincants.


En consacrant deux tomes – de ce que j’ai compris – aux Montagnes Hallucinées, l’auteur prend le temps d’installer une ambiance et ne limite pas son récit à une simple illustration des scènes les plus connues. Des pages entières sont ainsi entièrement consacrées à un paysage ou une ballade en avion, le tout début contient même une série de doubles pages aux dimensions cosmiques qui flattent clairement la rétine tout en posant les thèmes Lovecraftien. Dans les plus petits détails, l’utilisation de cases noires en fin de pages pour marquer une ellipse est une excellente idée.


Connaissant le texte sur le bout des doigts, difficile de l’évaluer avec un regard neuf mais les rares transgressions m’ont semblées particulièrement justifiées par le format : l’expédition scientifique commence par un flash-forward puis est présentée avec le même soin que dans la nouvelle, de quoi aider à capter le sentiment d’angoisse que la solitude d’un campement en plein antarctique inspire sans jamais oublier l’horreur encore inconnue vers laquelle nos personnages avancent. Si la nouvelle adoptait la forme d’un témoignage d’un survivant de l’expédition, le manga adopte au contraire un ton extradiégétique qui lui sied particulièrement bien. Gou Tanabe ne s’est pas contenté d’une bête transposition, la réécriture par petites touches bien senties du matériau d’origine, entre immense respect et transgressions nécessaires à la narration, est d'une intelligence rare.


Dommage que l’édition en mode prestige, à peu près deux fois plus cher qu’un manga classique (une quinzaine d’euros) ne propose pas des concepts art ou une interview du mangaka mais il s’agit d’un simple avis de collectionneur qui trouvera toujours un moyen de râler. A l’inverse de la saga Providence d’Alan Moore qui réinterprétait les écrits et les thèmes du maître, Gou Tanabe nous propose une adaptation fidèle au possible à laquelle Ki-oon rend hommage à travers un tome particulièrement beau. Une indéniable réussite.

AlcideJortom
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le 12 oct. 2018

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AlcideJortom

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