Alain Ayroles lâche le XVIIe siècle et les héros anthropomorphes de Cape et de crocs pour le Grand siècle espagnol. Il ne nous propose pas moins que le second tome, jamais écrit, des aventures de l’escroc Pablos de Ségovie. Le misérable avait été abandonné par Francisco de Quevedo sur un vaisseau en partance pour le Nouveau monde.
Pablos est lâche, malchanceux et prêt à toutes les bassesses pour survivre. Que celui qui n’a jamais eu faim lui jette la pierre ! Pablos est l’archétype du héros picaresque. Le mot signifie « misérable, mais futé » en espagnol. Cet anti-héros, faussement autobiographique, lutte vainement contre un déterminisme social écrasant. L’auteur y exprime une morale pessimiste, satirique, mais aussi réaliste, décrivant, sans fard, les turpitudes de son temps.
En bon tragédien, Ayroles bâtit son scénario en trois actes. La première partie est conforme à l’héritage de Quevedo. La reconstitution historique est parfaite, ses innombrables personnages, fussent-ils secondaires, sont parfaitement croqués en quelques scènes. Comment oublier sa sorcière de mère, l’oncle bourreau, l’esclave révolté ou l’orgueilleux alguazil ? Le scénariste sait se taire, ne nous propose-t-il pas de longues séquences silencieuses... Pablos est jeté à l’eau, rossé ou raillé. Il ne doit son salut qu’à sa capacité à faire rire à ses dépens, puis à la charité d’un nègre marron, d’un prêtre coriace ou d’un hidalgo ruiné.
Ayrolle a choisi le meilleur des dessinateurs. Juanjo Guarnido est le père espagnol de l’extraordinaire Blacksad et un maître de la couleur directe. Ses États-Unis des années 1950 étaient magnifiques, ses Indes espagnoles sont somptueuses. Vous retrouverez avec plaisir ses gueules de fauves aux dentitions assassines dans les cruels conquistadors assoiffés d’argent et de sang. Le monde est implacable pour les pauvres. Les nobles espagnols s’acoquinent avec les chefs indiens. Tous courent après l’or, la puissance... et l’Eldorado... Guarnido nous offre une visite, furtive, du site mythique.
Ayrole est diabolique. Les seconds et troisièmes actes prennent le lecteur à contrepied. La chance tournerait-elle pour ce pauvre Pablos ? Une lecture indispensable...