Ce tome fait suite à Walking Dead, Tome 22 : Une autre vie (épisodes 127 à 132) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 133 à 138, initialement parus en 2014/2015, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Charlie Adlard, encrés par Stefano Gaudiano, avec des nuances de gris appliquées par Cliff Rahtburn.


Carl se réveille dans sa chambre à la colonie Hilltop. Les toilettes sont occupées, il retourne dans sa chambre et relit la lettre d'Anna qui lui demande de lui répondre. Pendant ce temps-là dans la communauté d'Alexandria, Andrea répond aux questions des individus qui se sont introduits dans sa maison : Magna, Connie, Yumiko, Luke et Kelly. Dans une maison voisine, Rosita Espinosa finit par lâcher le morceau à Eugene Porter qui accuse le coup. À la colonie Hilltop, Rick Grimes fait ses au revoir à son fils Carl et accepte de se charger d'une lettre pour lui. Dans une zone sauvage un peu éloignée, Dante se retrouve à discuter avec un chuchoteur, alors que d'autres l'entourent avec une attitude agressive. La cheffe du groupe lui promet que lui et les siens apprendront à les craindre.


En effectuant sa ronde de surveillance aux alentours, Paul Monroe croise le groupe de Darius. Il apprend que le groupe de Nathaniel n'est pas rentré de sa patrouille. Il exige de Darius et de son équipe qu'ils repartent séance tenante à leur recherche, et il les accompagne. Carl reprend son apprentissage professionnel auprès d'Earl, le maréchal ferrant. Après sa journée de travail, il retrouve Sophia, la fille adoptive de Maggie Greene. Ils décident de manger ensemble. Le groupe de Darius et de Monroe se font attaquer par un groupe de chuchoteurs.


Dans le tome précédent, le lecteur avait apprécié que Robert Kirkman fasse faire un bon de 2 ans à l'intrigue, déplaçant ainsi l'enjeu du récit vers une phase plus complexe de la reconstruction d'une société. Rick Grimes a clairement indiqué qu'il souhaitait tirer les leçons des erreurs de la société avant l'épidémie de zombies, et réinstituer des valeurs morales. Carl Grimes a décidé de se séparer de son père pour apprendre un métier et être utile à la société. Il existe plusieurs centres d'activité (Alexandria, Hilltop et d'autres). Le lecteur sait très bien que le chemin vers la reconstruction sera semé d'embûches car la série repose sur des coups de théâtres et des phases de combat. Dans le tome précédent, le scénariste avait introduit un nouveau groupe de survivants aux mœurs bizarres, et au nombre non précisé. Le lecteur sait bien que la catastrophe et imminente, mais dans le même temps, il croise les doigts pour que la reconstruction d'une société puisse continuer à avancer.


Effectivement, les auteurs n'ont rien changé dans leur narration. Pour commencer, le lecteur retrouve cette forme particulière de soap opéra dans laquelle il est invité à suivre le déroulement de la vie de plusieurs personnages, à travers leurs joies et leurs peines, et bien sûr quelques incompréhensions. Comme à leur habitude, l'équipe n'hésite pas à charger la barque pour être sûr de retenir l'attention du lecteur. Ce tome se concentre sur plusieurs situations et plusieurs personnages, et il fait la part belle à Carl Grimes. Dans le tome précédent, il apparaissait apaisé et prêt à prendre son autonomie à s'éloigner physiquement de son père pour devenir un citoyen enrichissant sa communauté, participant à l'intérêt général. Ce passage à l'âge adulte passe également par les premières fois, en particulier celui des relations amoureuses. Jamais avare en rebondissement, le scénariste n'hésite pas à développer, pas une, ni deux, mais trois relations amoureuses potentielles, et bien sûr elles sont toutes compliquées. Il y a Anna, certainement une brave jeune femme, mais éloignée de Carl Grimes par la distance, puisqu'ils ne se trouvent plus dans la même communauté. Il y a Lydia, l'une des chuchoteuses très à l'écoute de Carl, mais pas forcément bien dans sa tête, et en plus dans une communauté qui ne souhaite pas cohabiter avec celle des groupes liés à Rick Grimes.


Le lecteur se rend compte que Stefano Gaudiano a gagné en finesse et en justesse dans son encrage, car les expressions des visages se sont diversifiées et ont gagné en expressivité. En particulier ors de l'étrange dialogue entre Lydia et Carl, les dessins montrent les émotions de Lydia qui ne transparaissent pas dans ses propos. Kirkman se repose entièrement sur la narration visuelle pour relayer des émotions et des états d'esprit qui ne sont pas portés par les paroles. Le dispositif fait que les 2 interlocuteurs se parlent sans se voir, un mur aveugle les séparant. La première dissonance apparaît quand Carl confie son prénom à Lydia. Le lecteur pense qu'il s'agit pour elle uniquement de briser la glace, mais le dessin montre un sourire ambigu sur son visage. Bien sûr, Adlard consacre une case de la largeur de la page cadrée uniquement sur ce sourire pour être sûr que le lecteur ne rate l'information, dès fois qu'il soit distrait ou pas assez concentré. Alors que la conversation se poursuit, le lecteur peut voir la détresse affective de Carl qui se confie, verbalisant des énormités traumatisantes qui sont devenues son quotidien. À nouveau son visage expressif permet au lecteur de bien ressentir son état d'esprit. Pour le coup, ces expressions un peu appuyées ne semblent pas exagérées car le dessinateur et l'encreur représente un adolescent dont le comportement fluctue entre une maîtrise de soi adulte (la première scène de ce tome), et des moments auxquels il ne sait pas faire face sur le plan émotionnel. Le lecteur reçoit de plein fouet la colère de Carl (quand il fait face aux parents des adolescents agresseurs), et sa détresse quand il comprend que Lydia souhaite rejoindre les siens.


Les artistes se montrent tout aussi subtils et sensibles dans la représentation des émotions de Lydia. Il s'agit d'une adolescente ayant connu des conditions de vie tout aussi particulières que celles de Carl Grimes, sûrement plus bizarres encore mais tout aussi violentes, et qui se retrouve isolée de son entourage. Le lecteur guette avidement ses réactions sur son visage afin de savoir ce qu'elle pense, ce qu'elle manigance. Le premier sourire indique qu'elle ne se contente pas d'attendre et que son comportement comprend une part de manipulation. Tour à tour, le lecteur peut lire une grande détresse sur son visage, mais aussi la satisfaction d'avoir marqué des points chaque fois qu'elle obtient une preuve d'attention de la part de Carl. Le scénario comporte des interactions d'une autre nature entre Carl et Lydia qu'Adlard met en scène avec le même sens de la dramatisation. Étonnamment, il joue à la fois sur la représentation crue et directe (Lydia léchant la cicatrice de Carl), et sur l'ellipse visuelle (pendant un moment plus intime).


Les auteurs mettent également en scène la relation entre Sophia et Carl Grimes. Par le biais de leur langage corporel, celle-ci apparaît complètement naturelle et évidente, comme entre 2 amis de longue date qui se retrouvent. Cette relation est rendue compliquée par le comportement brutal et déchaîné de Carl suite à une agression, mais aussi par des remarques insidieuses d'autres habitants de la colonie Hilltop. Sur un ton naturel et badin, 2 d'entre eux observent que cette amitié s'apparente au rapprochement de 2 clans, celui de Rick Grimes responsable de la communauté d'Alexandria, et celui de Maggie Greene, responsable de la colonie Hilltop. Sans avoir l'air d'y toucher, le scénariste fait apparaître la question de la consolidation des pouvoirs, par la potentielle union des familles dirigeantes. Le lecteur sent que la pérennité du mode de gouvernance instauré par Rick Grimes n'est qu'une chimère. En outre la légitimité de la position de Maggie Greene est entièrement remise en question par les événements.


Tout comme Rick Grimes, Maggie Greene doit réinventer à elle toute seule les règles de gouvernance de la colonie Hilltop. En particulier, elle doit trouver le point d'équilibre entre les décisions unilatérales et les décisions collégiales. Les actes de violence de Carl Grimes nécessitent également qu'elle détermine et mette en œuvre des actions de justice. Le lecteur est soufflé par l'intensité de la violence dont fait preuve Carl Grimes grâce à des dessins concentrés sur ses gestes, plutôt que sur un voyeurisme stérile des blessures. Robert Kirkman se montre machiavélique. Au cours des tomes précédents il a montré à maintes reprises comment la violence et la cruauté des affrontements ont constitué autant de traumatismes ayant impacté la psyché de Carl Grimes. L'empathie du lecteur est donc entièrement acquise à ce personnage, ainsi que sa compassion. Mais dans le même temps, le scénariste montre la réaction des individus qui n'entretiennent pas la même relation affective que le lecteur avec ce personnage, tout aussi compréhensible parce que rationnelle. Du coup, Maggie Greene se retrouve dans une position où elle peut être accusée de favoritisme, de protéger un proche, aux dépens de la justice. Bien sûr, Kirkman en rajoute une couche en jouant sur des incompréhensions entre personnages et des mensonges. Mais le lecteur ne peut pas l'accuser de mauvaise foi car (1) il sait qu'il s'agit là du mode narratif habituel depuis le début de la série, et (2) les personnages se comportent conformément à ce que le lecteur connaît d'eux. À nouveau, Kirkman fait en sorte que le lecteur soit amené à comparer les capacités de responsable d'une communauté de Maggie Greene à celles de Rick Grimes. Comme d'habitude, seule Rick Grimes semble être capable de s'en sortir, tous les autres échouant à plus ou moins court terme.


Ce tome n'est pas consacré qu'à Carl Grimes ; il comprend bien d'autres fils narratifs. Bien sûr d'autres personnages font eux aussi face à des situations de comédie dramatique appuyée, à commencer par la révélation de Rosita Espinosa à Eugene Porter. Le lecteur est partagé entre une impression d'acteurs jouant de manière empruntée voire fausse, et le ressenti qu'effectivement Eugene Porter ne peut se conduire que comme le geek qu'il est, en prenant sur lui, et en adoptant un comportement qu'il juge noble, à l'aune de ses propres critères. Du coup, en ayant appris à connaître le personnage, le lecteur se dit que sa réaction correspond bien à sa nature, tout en n'étant pas dupe du fait que Kirkman utilise une grosse ficelle. A posteriori, il se souvient même qu'il avait déjà fait de même avec le comportement d'Abraham Ford. Du coup, cela peut être à la fois vue comme un recours à un artifice narratif éculé, mais aussi faire écho au fait que régulièrement des personnages calquent leur comportement sur celui des autres. Le lecteur peut aussi y voir l'émergence d'un thème sur les liens amoureux qui ne sont pas d'ordre rationnel, et une indication des choix que Carl Grimes pourra être amené à faire.


Outre le développement de Carl Grimes, l'autre thème majeur de ce tome est la prise de contact des chuchoteurs avec la communauté de la colonie Hilltop. Charlie Adlard et Stefano Gaudiano ont fort à faire pour rendre crédible le concept des chuchoteurs. Le lecteur peut y être opposé par principe, en estimant que leur existence est incohérente avec ce qu'il sait des zombies, et abandonner la série à ce stade parce qu'il juge que la direction qu'elle prend exige un surcroît trop important de suspension consentie d'incrédulité. Il peut aussi envisager l'existence des chuchoteurs du point de vue du thème principal de la série : la reconstitution d'une société. Les dessins montrent des individus en haillons, se déplaçant avec un pas traînant, n'utilisant que des outils primaires, et ayant revêtu le visage des morts vivants. D'un point de vue visuel, le lecteur est amené à assimiler les chuchoteurs aux zombies, Kirkman ayant d'ailleurs joué avec cette idée dans le tome précédent.


Avec un peu de recul, le lecteur prend conscience que les chuchoteurs ont adopté des valeurs qui vont à l'encontre de celles prônées par Rick Grimes, et reprises par Maggie Greene dans la colonie Hilltop. Des bribes d'information fiables délivrées par Lydia et du comportement des chuchoteurs lors de leurs interactions avec les habitants de la colonie Hilltop, le lecteur peut en déduire qu'ils ont choisi de remettre en cause le mode de vie précédent pour prendre en compte l'existence des zombies. Dès le début, Rick Grimes et les différentes personnes qui l'ont accompagné ou suivi ont considéré les zombies comme des nuisibles à éliminer, comme un péril mortel pour la race humaine, excluant toute forme de cohabitation. Seule l'éradication totale des zombies est envisageable. La communauté des chuchoteurs incarne une alternative incompatible avec ces valeurs. Ces individus ont pris comme un fait établi la présence sur Terre des zombies, et ont adapté leur mode de vie de manière à le rendre compatible avec cette réalité. Au-delà des pratiques d'accouplement que décrit Lydia, le lecteur établit le constat d'une impossibilité de coexistence de ces 2 modes de vie, entre ces 2 systèmes de valeur. Or le choix de Rick Grimes concernant le sort de Negan va dans le sens d'arrêter de penser en termes de confrontation, et de passer à une phase de vivre ensemble. D'ores et déjà, ces philosophies de vie incompatibles et irréconciliables testent les limites de la direction sociétale donnée par Rick Grimes. Bien évidemment, les auteurs l'indiquent de la manière la plus explicites possibles en faisant dire à la cheffe des chuchoteurs que les communautés d'Hilltop et d'Alexandria apprendront à les craindre.


Curieux de savoir dans quelle direction la série va évoluer, le lecteur découvre d'abord une comédie dramatique parfois un peu appuyée en termes visuels et du point de vue des situations, comme c'est l'habitude des auteurs. Il apprécie de voir évoluer Carl, tout en sachant pertinemment que les auteurs prennent un malin plaisir à le tourmenter et à poser les bases de situations catastrophiques. Il constate que le tandem dessinateur & encreur a gagné en nuances dans ses dessins. Il prend peu à peu conscience du dilemme cornélien que pose l'existence des chuchoteurs, aux principes fondamentaux de la société que veut construire Rick Grimes.

Presence
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le 24 juil. 2019

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