Comme attendu, ce tome 4 prolonge l’action inachevée du 3. Il semble que Haldeman veuille trop en faire. Trop d’éléments nouveaux, exploitation excessive des récits imbriqués l’un dans l’autre (une image représente une certaine situation en développement, mais elle est accompagnée d’un narratif qui parle d’une autre situation qui se développe parallèlement ; le lecteur est censé distinguer les deux théâtres d’opération grâce à la couleur de fond du narratif). La fin devient carrément difficile à décrypter (planches 42 à 46).

Autre excès, lié à l’irruption massive d’éléments nouveaux : l’usage immodéré de vignettes de « breaking news » qui passent à la télé (ou ce qui en tient lieu en cette fin de XXIe siècle). Cela donne certes l’impression d’un univers hyper-électronique-télécomisé, mais c’est un peu lourd à digérer. D’autant que, de temps en temps, les personnages se baladent dans des décors holographiques sans rapport avec leur situation. Ainsi, planches 21 à 23, Dallas Barr évolue dans des images de la guerre des tranchées de 1914-1918 tout en causant attentats futuristes avec un petite culotte, une paire de seins, et tout ce qu’il y a autour d’habitude. Analogie, probablement : le futur est aussi sanglant que le passé.

D’autant que ce futur répond à la description conventionnelle des disparités extrêmes de revenus selon les quartiers : planche 26, dessin classique du centre-ville à gratte-ciel high-tech protégé par des barbelés dissuasifs d’une « zone extérieure » où pullulent les terroristes. Quand tu as des emmerdements dans ta vie, et que tu te dis que « plus tard, ça ira mieux », souviens-toi que nous allons droit vers ce futur : ça te permet de relativiser un peu...

Faire gaffe à la première vignette : elle est datée de 2047, soit presque 40 ans avant l’action principale. Si on rate ce détail, on a du mal à comprendre.

Certes, le fond de l’action s’oriente plutôt vers une simplification des forces en présence. Dans le tome 3, on avait trois camps : Stileman-les écolos fanatiques de Earth First – et les Luna-Libertins ; ici, les deux derniers se rapprochent et semblent s’acoquiner, sauf qu’un électron libre (un androïde) semble échapper au contrôle de tout le monde, et fiche la pagaille partout.

Sans rire, une chose à laquelle on peut reconnaître les affinités entre Earth First et les Luna-Libertins, c’est la manière dont les filles sont habillées ; bon, moi, je dirais déshabillées : le seins lourds à l’air, avec juste le petit bout miraculeusement voilé, et des mini-culottes qui se croiraient déshonorées si elles n’étaient pas super-moulantes, ou des pans de tissus étroits qui pendouillent juste là où ma Maman me disait que c’est impoli de regarder les filles (planches 1, 3, 19 à 23, 27). J’aime bien ces modes de l’avenir, mais, putain, va falloir attendre longtemps avant d’y avoir droit. Ces chairs un peu insistantes pour la libido masculine ne compensent que partiellement l’univers high-tech futuriste aseptisé de tout le reste du récit ; en effet, les tenues ont beau provoquer au rentre-dedans immédiat, les filles sont si glacées et quasiment robotiques que ça modère les mauvaises pensées (mais j’en ai beaucoup en réserve).

Haldeman convoque le nom d’Alan Turing pour baptiser un curieux truc en forme de casque de moto, qui est censé contenir l’intelligence d’une personne décédée. Pourquoi pas ? Mais, attention, ce gadget va resservir rapidement dans l’action. Et Lyndon Harper nous récite une version très « grand public » de la deuxième loi de la thermodynamique (planche 9). Toujours côté Qulture (pardon !), Barr (toujours chauve, et un peu incertain sur le parti à prendre) considère comme un indice intéressant le fait qu’un personnage s’appelle « Dorian Grey ». Tout le monde n’est pas obligé d’idolâtrer Oscar Wilde au point de s’identifier avec les aventures de ce personnage…

Haldeman s’inspire généralement de points de départ scientifiques exacts, mais il est obligé de les torturer un peu pour les besoins de l’intrigue. Ainsi (planche 33), des « Immortels-pour-de-bon » sont supposés devenir incontinents ou grabataires en raison de leur vieillissement. Impossible : le vieillissement résulte d’une sénescence réplicative des cellules étendue à tout le corps (ou presque) ; donc, si tu vieillis, tu vas forcément mourir, car tous tes organes ne vont plus exister faute de cellules en état de marche. Donc, si de telles dégradations surviennent, c’est que tu n’es pas immortel du tout.

L’ambiguïté d’un récit plein de vrais-faux vieillards qui se conservent comme ils peuvent, c’est que les éléments culturels auxquels ils font référence parlent, comme par hasard, de la culture de la fin du XXe siècle, comme si les 80 ans supplémentaires qu’ils ont vécu ne leur avaient apporté aucune culture ; ainsi, Stileman fait allusion à R2D2 (planche 7) (je voudrais pas être irrévérencieux, mais, même aujourd’hui, R2D2 n’est plus de la première fraîcheur) ; de même, ses références diverses sont Hitler, Saddam, Pol Pot (planche 27), Goebbels (planche 39), comme par hasard de vieux trucs du XXe siècle. Le vieux Stileman n’est visiblement pas dépourvu de ressources au combat (planches 30 à 32).

Stileman, certes cupide, n’en est pas moins sensible au problème démographique que son traitement d’immortalisation génère (planche 40) ; cela pose un vrai problème : pendant combien de temps va-t-on considérer que le fait de mettre au monde autant de gosses qu’on veut est un droit de l’homme, sur une planète où la pénurie de tout ou presque s’accélère d’année en année ?

Marvano remplit son contrat pour les décors : Grande Barrière de Corail en Australie (planche 3), vues sous-marines (planches 4 à 7). Un Paris futuriste avec des pyramides scintillantes autour de l’Arche de la Défense (planches 11 et 13) (il y a même un Astroport Chirac à Paris – ça, ça me paraît peu probable dans le futur). Belle aile volante (planche 19). Superbe restaurant aérien en anneau torique gonflable (planches 24 à 26). Chambre de Stileman, avec un lit polygonal encastré dans le sol (planche 28).

En appendice, « Nam Days », un portfolio avec textes : Dallas Barr au Vietnam. Pas très utile au reste.
khorsabad
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le 26 mai 2013

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