Dans un monde idéal, la dernière planche de Mister Blueberry aurait été la fin la plus mémorable et la plus gonflée de l'histoire des grandes séries de la BD franco-belge : en effet, tuer le héros est une chose, mais le tuer d'une balle dans le dos, à l'ombre d'un couloir obscur et alors qu'il vient de passer l'album entier à plumer les pigeons le cul sur une chaise, sans même se défendre lorsqu'attaqué, et par un gamin apeuré plutôt qu'un dur-à-cuire de la trempe de ses adversaires du passé, ce n'est même plus de "l'infernal culot" comme dirait feu Jean-Michel Charlier, c'est de la démence pire que ce qui agitait le spectre aux balles d'or !


Hélas, simple twist ou changement de programme, deux ans plus tard sortait déjà la 25ème aventure de Blueberry : Ombres sur Tombstone. Notre "héros" ne pouvait mourir de manière aussi ignominieuse, pas vrai ? (soupir)… eh bien non, en effet. Dès la page d'ouverture nous apprenons qu'il s'en est sorti. "C'est un miracle", s'exclament les témoins de la scène. Avec plusieurs balles entre les omoplates, c'est le moins que l'on puisse dire ! Mais l'ami Blueb' a beau être indestructible, même lui est bien obligé de rester au lit pour se rétablir… que faire ? Pas de problème, se dit le "scénariste" Giraud, après tout il est resté assis tout le long du tome précédent, alors on va y remédier exactement de la même manière : par une sorte de double histoire parallèle.


Sauf que dans Mister Blueberry, les deux histoires en question (la partie de poker d'un côté, les péripéties de Campbell et Billy de l'autre) s'imbriquaient parfaitement, elles se complétaient et avaient été conçues comme telle. Dans Ombres sur Tombstone… pas tellement. À ma droite, nous avons donc les préliminaires du fameux duel à OK Corral, le plus célèbre de l'histoire de l'Ouest sauvage. Le problème, justement, c'est que cette histoire étant archi-connue, Giraud ne trouve rien de mieux pour la pimenter que d'y impliquer de loin les Indiens, puisque dans sa version les Clanton ont attaqué une diligence et un convoi d'or en se déguisant en Apaches, alors que dans la réalité il s'agissait d'une simple rivalité familiale. Ce n'est pas une si mauvaise idée en soi, mais comme nous le verrons lors de l'album suivant, elle ne résiste guère à un examen plus poussé…


À ma gauche, nous avons donc notre ami au nez cassé et aux omoplates en purée, qui probablement par ennui plus qu'autre chose, se décide soudainement à raconter un pan de son passé à Campbell ; en l'occurrence, comment il est arrivé dans l'Ouest juste après la Guerre de Sécession. Cette version vient contredire celle établie dès Fort Navajo, où Blueberry devait sa mutation à l'aigreur du général Graig, version plus tard corroborée par le préambule de Ballade pour un Cercueil, mais on ne va pas bouder notre plaisir pour autant car cette intrigue-ci est plus prenante que celle des frères Earp et Clanton.


En effet, on y redécouvre un Blueberry autrement plus conforme à l'idée que nous nous faisions de lui : alcoolique, débraillé, indiscipliné, casse-cou, il est alors atteint de ce que nous appellerions aujourd'hui un "syndrome post-traumatique". De fait, ce Mike-là fait bien la transition entre celui de La Jeunesse de Blueberry, marqué par cinq années de guerre horrible, et le fringant Bébel de l'Ouest de Fort Navajo. Car il a beau être au trente-sixième dessous, cela ne l'empêche pas de flirter avec la charmante Caroline Younger, ni de provoquer le père de cette dernière, révérend raciste et démoniaque. L'ambiance est également intéressante en ce qu'elle rapproche le cadre classique de l'Arizona de 1867, théâtre des début du personnage chez Pilote (Mâtin quel journal!) de l'aspect plus glauque et poisseux que Giraud a conféré à la série sur les derniers albums.


L'ensemble est donc décousu, car tout amateur de western qui se respecte sait déjà tout du règlement de comptes à OK Corral, cette partie du récit ne bénéficiant d'ailleurs guère des bouffonneries d'Ike Clanton ni des amourettes de Billy, mais l'intrigue concernant le passé de Blueberry, à défaut de lever un voile inattendu sur le personnage, rappelle ses grandes heures au lecteur nostalgique que je suis, et rien que pour cela je ne saurais donc trop cracher sur son "retour d'entre les morts". Malheureusement, je ne peux en dire autant de ce qui allait suivre…

Szalinowski
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le 2 avr. 2019

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