Opération Ironclad - Commando Colonial, Tome 1 par Sejy

Miam, miam ! Ça y' en a de la bonne bande dessinée là missié... Que personne ne s'énerve ! L'occasion était irrésistible. Trop pour ne pas céder à une petite provoc facile en ravivant notre souvenir du langage cliché que prêtait aux autochtones colonisés l'un des pères de la ligne claire. Mais c'était surtout l'opportunité d'évoquer l'œuvre de ce même papa. Car en parcourant Commando colonial, il m'est difficile d'ignorer ce picotement nostalgique, cette agréable sensation, l'impression de replonger dans un récit à la façon Hergé ou condisciple. Oui ma bonne dame ! Son dessin attachant, sa lecture limpide et son histoire foisonnante font de cette série un vrai divertissement, de la cuisine populaire comme on savait en mijoter dans le temps ! La gratifiant d'une vision moderne, d'une approche beaucoup plus originale, et tout en demeurant les fidèles légataires d'un incontestable classicisme, Bruno et Apollo se réapproprient définitivement cette tradition franco-belge.

La Seconde Guerre mondiale... Madagascar... Regard posé sur l'océan Indien, plus tard vers l'Antarctique, la scénographie dégage un point de vue tout de suite plus exotique. En marge des boucheries de l'Europe, le cadre faussement calme et récréatif semble avoir laissé cette saloperie sur le pas de la porte lorsque débarquent clandestinement Maurice et Anselme. Un duo attachant aux motivations quelque peu divergentes, dont les origines créoles et l'obligation militaire les embringuent dans un conflit qui ne semble pas entièrement le leur. Pourtant, ils sont bien là, avec une mission : convaincre les sympathisants gaullistes locaux de se rallier à la France libre. La tâche va s'avérer plus ardue que prévu et les péripéties mouvementées vont s'enchaîner...

Entre empoignades explosives et mitraillages en règle, appétits mercantiles et velléités indépendantistes, huis clos sous-marin oppressant ou manoeuvres politiques sournoises avec leur lot de volte vestes à rendre jaloux un Brachetti au meilleur de son art, le scénario déploie son sérieux, son rythme trépidant et sa virilité [mode Juvet on] où sont les feeeemmes ? [mode Juvet off]. Une représentation savoureuse de l'aventure avec un grand A, étoffée d'une relecture humaniste contemporaine plus réaliste. Ici, pas de héros, mais des hommes quelquefois héroïques. Et si l'essentiel se déguste avant tout dans l'abondance de situations palpitantes et l'alternance d'intrigues, la profondeur de l'histoire triomphe par la galerie de personnages qu'elle délivre, leurs échanges souvent ambigus et le romantisme désabusé qui s'en dégage. La trajectoire de nos deux protagonistes croisera celles d'autres gens rattrapés par la guerre. D'autres individus, indécis, engagés ou bien indifférents, qui, invariablement, auront des choix à faire. Une étonnante collection de portraits humains, tiraillés entre ce que le devoir et la morale exigent, ce que les circonstances proposent et ce que l'intérêt revendique.

Au final, une fiction dense, dynamique et captivante qui ne s'affranchit jamais des contraintes de la fidélité historique et se risque à maintes reprises sur les sentiers de l'humour et du cynisme. Une aventure plus que crédible dont la narration habile et fluide s'appuie sur la pertinence d'un trait ultra dépouillé et un sens du mouvement exacerbé. Cette ligne économe, enjouée et tout en rondeur, exalte également une douceur, une résonnance mélancolique qui soulage la gravité et fournit son équilibre à l'œuvre. C'est enfin le moment où il ne faut pas oublier de citer Laurence Croix, la « barbouilleuse », et en profiter, au passage, pour féliciter le génie qui lui a offert ses premiers crayons de couleur. Quel talent ! Quelle inspiration ! Sa colorisation simple ou parfois plus stylisée libère des rendus somptueux et des ambiances totalement immersives. Un must.


Commando colonial montre qu'il existe encore des choses à dire sur la guerre et d'autres façons de la raconter, nous délivrant quelques sursauts de mémoire intelligemment enrobés d'un réel plaisir bédéphile.
Sejy
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le 18 août 2011

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Sejy

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