Ce tome fait suite à Walking Dead, Tome 23 : Murmures (épisodes 133 à 138) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 139 à 144, initialement parus en 2015, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Charlie Adlard, encrés par Stefano Gaudiano, avec des nuances de gris appliquées par Cliff Rahtburn.


Aux alentours de la communauté appelée le Royaume, Ezekiel est en train de prendre un peu d'exercice en débitant du zombie à l'épée. Alors qu'il vient d'en pourfendre plusieurs, il s'arrête pour accueillir dignement Rick Grimes qui est venu lui rendre visite. Le soir, ils papotent, comme deux vieux amis, installés sur une terrasse avec vue sur l'océan, évoquant le prix des marchandises et les absents, une absente en particulier. Dans la colonie Hilltop, Maggie Greene évoque la fugue de Carl Grimes pour rejoindre les chuchoteurs, le fait qu'il n'ait pas été retrouvé, mais aussi la crainte que les chuchoteurs ne prennent sa filature comme une forme d'acte de guerre. Ça ne rate pas : Carl Grimes est pris par surprise par un groupe de chuchoteurs alors qu'il était en train de se reposer. Il n'a pas d'autres choix que de les suivre.


Le lendemain, Rick Grimes et Ezekiel attendent au port, l'arrivé du navire qui ramène les prises de pèche, mais aussi la grande absente des jours précédents. Ezekiel transpire à grosses gouttes à l'idée de se retrouver face à elle. Rick Grimes la retrouve avec plaisir et ils papotent ensemble (également comme deux vieux amis). Rick l'interroge sur son choix de vie, et en apprend plus sur le sort de ses filles. À la colonie Hilltop, Gregory est interrogé par une autre personne quant aux actes qu'il a commis. Il raconte une histoire assez convaincante, mais qui ne tient pas entièrement debout. Il se fait passer pour la victime d'un odieux complot, dans lequel on lui fait jouer le rôle de bouc émissaire. Maggie Greene n'a pas le choix : elle doit entendre les autres personnes mises en cause dans l'agression dans elle a été victime.


Le lecteur avait été subjugué par le tome précédent, dans lequel les convictions sociales et les valeurs morales de Rick Grimes se retrouvaient poussées dans leur dernier retranchement avec l'existence d'une communauté aux principes diamétralement opposés aux siens. Bien sûr, Robert Kirkman n'avait pas pu s'empêcher d'ajouter une pincée de Roméo & Juliette, en faisant en sorte que Carl Grimes se retrouve attiré (et plus si affinité) par Lydia, la fille d'Alpha, celle qui mène le groupe des chuchoteurs. Il suit donc la fugue de Carl avec intérêt et apprécie que le scénariste abrège le jeu de cache-cache et qu'il se fasse capturer rapidement. Mais pas de chance, il ne délivre finalement pas beaucoup d'informations supplémentaires sur ce groupe. Lydia en avait déjà donné beaucoup dans le tome précédent, au cours de sa période de captivité. Le lecteur se surprend donc à chercher des informations supplémentaires dans les dessins. Il y a effectivement un dessin en double page, saisissant, dans lequel Carl Grimes découvre le camp des chuchoteurs depuis une légère surélévation. Cela donne au lecteur une idée des activités pratiquées par ces individus, des techniques qu'ils emploient. Il a la confirmation qu'ils se livrent au travail du tannage des peaux, et il comprend qu'il s'agit des peaux des zombies, destinées à devenir des habits pour les vivants, des secondes peaux. En restant observateur, il voit les chuchoteurs se déplacer comme des zombies. Il est frappé par le regard magnétique d'Alpha quand elle enlève la seconde peau qui lui sert de masque.


Le lecteur apprécie que ce fil de l'intrigue se déroule plutôt paisiblement, car cela conforte l'impression ressentie dans le tome précédent : les principes de reconstruction de société tels que prônés et mis en œuvre par Rick Grimes reposent sur la valeur que tout le monde doit pouvoir être inclus. Le lecteur reporte alors son attention sur la composante comédie dramatique du récit. Il a le plaisir de revoir de nombreux personnages : la grande absente, Ezekiel, Maggie Greene, Dante, Dwight, Negan, Olivia, Rick Grimes, Andrea. Il se laisse emporter par le ton de comédie de situation de plusieurs passages. Il voit Ezekiel déconfit de la tournure des événements, s'interroger sur la manière de reconquérir son amour. Il sourit en le voyant boire les paroles de Pete, un ancien compagnon d'arme d'Ezekiel. Il sourit à nouveau en voyant l'ardeur et la promptitude de Dante pour se rendre serviable auprès de Maggie Greene. Il n'arrive pas à réprimer un sourire pour accompagner celui qui illumine le visage de Negan, tout en se demandant comment Adlard et Gaudiano arrivent à rendre ce sourire communicatif, venant d'un tel individu.


Mais, bien sûr, la composante majeure de la relation entre les protagonistes de cette série réside plus dans le drame que dans la comédie. À nouveau, le lecteur est servi en la matière. Dans une courte séquence, il se retrouve à nouveau submergé par la présence de Negan, par sa posture confiante, par son visage rayonnant d'assurance, par ses phrases simples qui imposent son ascendant naturel à ses interlocuteurs. Dans cette scène, il vient de se laver, de se faire couper les cheveux, et de se raser. Il apparaît frais et dispos, renouvelé. Le lecteur comprend rien qu'à le regarder qu'il a retrouvé sa combativité. Il est consterné qu'un simple oubli lui rende bêtement sa liberté. Il ne peut pas s'empêcher de comparer le comportement de Negan à celui de Gregory, l'ancien chef de la colonie Hilltop. Comme d'habitude, il n'est pas dupe des trucs et astuces déployés par les auteurs. Il sait parfaitement qu'ils vont continuer à dresser le portrait de Rick Grimes par comparaison avec les chefs des autres communautés. Mais ça n'enlève rien à l'efficacité et à la pertinence du récit. Bien sûr que Robert Kirkman va mettre un jeu de miroir entre le comportement de Negan et celui de Gregory. Bien sûr qu'il va encore une fois contraster les choix de Rick Grimes, chef de communauté, avec ceux des autres communautés. Mais Robert Kirkman se montre plus malin que ça. Il n'alterne pas une scène sur Rick Grimes ou sur Negan avec sa contrepartie dans une autre communauté. Scénariste, dessinateur et encreur ont combiné un découpage en planche qui produit un effet bœuf, quand Rick Grimes justifie ses choix quant au sort de Negan, et lorsque le lecteur tourne la page il découvre un dessin en double page montrant le sort d'un autre personnage. L'effet produit par l'opposition de phase entre les 2 choix est multiplié par 10 du fait du dessin en pleine face qu'il découvre à la page suivante. À nouveau, Kirkman et Adlard ont retourné à leur avantage, leur propension à utiliser des mises en scène les plus chocs possibles, et ça marche.


Malgré tout de séquence en séquence, le lecteur se dit que Robert Kirkman charge un peu la barque en faisant ressortir la perfection du comportement de Rick Grimes, par comparaison avec les failles plus apparentes de Dwight et de Maggie Greene. Il ne lui faut pas longtemps pour se rappeler que Rick Grimes n'en est pas arrivé là en 1 ou 2 épisodes, ni même 10. Malgré tout à force de montrer par l'exemple que les choix de Rick sont à chaque fois plus heureux, le scénariste semble dire au lecteur, que seul des individus d'exception peuvent devenir des chefs de communauté légitimes et respectables. Comme d'habitude, le discours de Kirkman se révèle plus nuancé. Lorsque Rick Grimes pénètre sur le territoire de ceux qui se faisaient appeler les sauveurs du temps de Negan, le lecteur découvre que Dwight semble être aux abois, écrasé par la responsabilité d'être chef. Il ne s'agit pas d'un discours condescendant vis-à-vis de ce personnage pas toujours très fiable. Le lecteur peut voir sur son visage qu'il est en souffrance, qu'il ne veut plus assumer la lourde charge de la responsabilité d'une communauté. Il n'est pas surpris de la solution que propose Rick, mais il est enthousiasmé par l'élégance avec laquelle il la présente à Dwight.


Toujours sur le versant du drame, le lecteur voit Maggie Greene lutter comme elle peut pour conserver la maîtrise des événements au sein de la colonie Hilltop. Encore une fois, il est facile pour le lecteur de voir les manquements de Maggie Green comparée à Rick Grimes. Mais les dessins montrent autre chose. Ils montrent une jeune femme décidée, au caractère bien trempée, avec la tête sur les épaules, et capable de faire la part des choses. À aucun moment, les auteurs ne la font apparaître faible, ou sous-entendent des choses du fait de son sexe. Les dessins confirment qu'elle agit avec la tête froide et qu'elle réfléchit avant de prendre une décision. Il se trouve que certaines de ses décisions ne sont pas celles qu'aurait prises Rick Grimes. Mais dans la mesure où les cases montrent que Maggie Greene est une personne à part entière, c'est normal qu'elle ne se conduise pas comme Rick Grimes, qu'elle ne soit pas un ersatz de Rick Grimes. De la même manière, il est normal que chaque communauté gère et règle ses problèmes à sa manière, évoquant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.


Le drame continue également de se développer du fait de l'histoire personnelle des protagonistes. La revenante expose son drame personnel, et son besoin d'expier sa faute pour sa tranquillité d'esprit. Le lecteur peut sourire devant son accoutrement de pirate, mais il a vite fait de la reprendre au sérieux. Il suit donc, avec une forme de détente, les tribulations de Carl Grimes, convaincu en son for intérieur qu'il arrivera à s'en sortir, que le scénariste ne va pas lui refaire le coup de la mise en danger vital, ou du rôle d'otage. Effectivement, Robert Kirkman préfère poursuivre le développement de la personnalité de Carl Grimes. Il suffit de le regarder pour comprendre que la phase d'adolescence touche à sa fin et qu'il devient un jeune adulte. Il prend ses responsabilités, il s'attache encore à des conceptions romantiques de sa relation avec Lydia. Le scénariste et le dessinateur énoncent clairement que son visage atteste qu'il est le représentant d'une nouvelle génération qui n'a quasiment connu que la vie avec les zombies. Une fois encore, il confronte son père sur la manière dont celui-ci le regarde et le considère. Au fil des épisodes et des tomes, le lecteur a vu Carl grandir et il comprend qu'il se révolte, qu'il exprime sa frustration à essayer d'exister dans l'ombre de son père. Charlie Adlard joue tout autant avec le regard du lecteur, représentant tantôt Carl de face pour montrer son visage défiguré, tantôt de profil pour lui rendre une apparence normale. L'imprécision dans la représentation de sa blessure ne la rend pas moins évidente ou atroce, empêchant le lecteur de la minimiser ou de la relativiser.


Dans la dernière partie du récit, le drame prend une ampleur inattendue. Robert Kirkman se livre à un coup de théâtre changeant radicalement la donne, comme il en a le secret. L'effet choc est préparé à l'échelle d'un épisode entier, mais le lecteur a quand même du mal à croire ce qu'il découvre. Alors même qu'il a encore le gros plan sur la tête du pendu à l'esprit, il ne s'attend pas à une telle surprise. La révélation de l'ampleur de l'horreur abjecte du crime commis se fait progressivement. En plus, le scénariste prend la peine de donner une identité à chacune des victimes, qu'elle fasse déjà partie des personnages connu, ou qu'il s'agisse d'un nouveau personnage. Il a conçu une mise en images d'une efficacité diabolique. Le lecteur prend connaissance de 12 des individus exécutés à raison de 3 par page pendant 4 pages. Chaque page est construite de la même manière, 3 bandes verticales de 2 cases. La case supérieure occupe les 2 tiers de la hauteur et présente la tête de l'individu mis à mort, la case du bas (un tiers de la hauteur) le présente dans son activité quelques heures plutôt. L'effet est saisissant, et le dispositif est exécuté avec l'approche pragmatique habituelle du dessinateur. Les auteurs n'ont pas fini d'écœurer le lecteur, par l'inventivité de la cruauté humaine. Ils n'ont pas fini non plus de l'épater par leur capacité à donner vie à des personnages n'apparaissant que le temps d'une page.


Le lecteur peut réagir de 2 manières : estimer qu'il s'agit d'un retournement de situation facile exclusivement destiné à choquer et à relancer la dynamique du récit, ou alors il peut s'interroger sur les raisons d'un tel acte. La thématique principale du récit reste inchangée : reconstruire une société et endosser les responsabilités d'un chef de communauté. Depuis le début, Rick Grimes constitue le seul individu capable de construire dans la durée, et depuis le début son succès repose sur ses valeurs implicites, et l'acceptation progressive desdites responsabilités. Le personnage ne s'est pas construit en 1 épisode ou en 1 tome, et il lui a fallu du temps pour accepter ce rôle, essentiellement en ayant constaté ses propres capacités après coup. Depuis plusieurs tomes, le scénariste a fait ressortir ces valeurs, par comparaison avec les autres responsables de communauté. Le carnage atroce de la fin de ce tome renvoie aux valeurs de la communauté qui a commis cet acte barbare. Une fois remis de sa surprise, après s'être rappelé que ce choc s'inscrit dans la narration habituelle de Kirkman & Adlard, le lecteur se demande ce qu'il signifie quant aux valeurs de la communauté qui l'a perpétré.


Même si la vie ne s'écoule pas comme un long fleuve tranquille dans ce tome, il commence plutôt calmement, laissant le temps au lecteur de reprendre contact avec de nombreux personnages, et de profiter avec eux de la fête de la communauté d'Alexandria. Même la fugue de Carl Grimes fait figure d'escapade pas trop risquée lui permettant d'affirmer son autonomie. La comparaison systématique entre la gouvernance de Rick Grimes et les autres responsables de communauté semble indiquer qu'il existe des alternatives pour tous ceux qui ne sont pas Rick Grimes. Le dernier épisode rappelle que l'horreur est susceptible de prendre le lecteur au dépourvu, et les personnages. Il développe la thématique des valeurs d'une société d'une manière cruelle et conflictuelle.

Presence
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le 24 juil. 2019

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