Une école d'assassinat pour adolescents en pleine croissance

Il s'agit du premier tome d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2014, écrits par Rick Remender, dessinés et encrés par Wes Craig, avec une mise en couleurs de Lee Loughridge.


L'histoire se déroule en 1987, à San Francisco. Marus Lopez Arguello est un adolescent qui vit dans la rue. Il a perdu ses parents dans un accident tragique et dérisoire, cause directe d'un choix de gestion de l'administration de Ronald Reagan. Il vit de menus larcins, côtoie les SDF, fréquente la soupe populaire et dort à même le trottoir.


À l'occasion de la procession du jour des morts (en novembre), il se retrouve impliqué dans un coup de filet de la police. Il reçoit l'assistance d'un groupe de jeunes de son âge, organisés et violents dont la belle Saya sur sa moto, et Willie Lewis qui l'a prévenu dans la foule. Cette première rencontre aboutir à l'assassinat d'un policier et à la proposition d'intégrer une école d'assassins appelée Kings Dominion Atelier of the Deadly Arts (dirigée par Maître Lin).


Dans l'introduction, David Lapham explique que Rick Remender a certes imaginé une intrigue mélangeant suspense, action et violence, mais qu'il a avant tout su recréer une époque, avec ses références culturelles (les groupes de musique de l'époque) et un état d'esprit (celui des lycéens manquant d'assurance, souffrant de solitude, se mettant à l'écart du reste du groupe, etc.). Dans la postface, Rick Remender donne quelques éléments biographiques, expliquant que les déménagements réguliers l'ont contraint à répéter ce schéma dans lequel il se retrouvait dans la position du nouveau devant intégrer un établissement où les élèves se connaissent déjà. L'occurrence la plus difficile est quand il est passé de skater dans une grande ville, à une petite bourgade de campagne.


Remender réussit un amalgame impressionnant entre les comportements adolescents et un récit d'action musclée et brutal. L'intégration de Marus se fait à marche forcée, au milieu de d'adolescents ayant à cœur de montrer leur dureté et leur cynisme (donc en conspuant et raillant le nouvel arrivant), tout en n'étant pas sûr d'eux. Il sait mettre en scène avec intelligence les comportements hérités des parents, le sentiment d'appartenance, le poids des conventions de leur classe sociale et ethnique, la manière heurtée de faire connaissance entre 2 adolescents (chargée d'émotions et d'élans non maîtrisés).


Craig Wes conçoit des dessins de nature réaliste avec des exagérations de nature expressionniste, éloigné de l'esthétique des superhéros. Pour commencer, il y a des personnages de toute morphologie, de toute ethnie, et les adolescents ressemblent vraiment à des adolescents, pas à de jeunes adultes, ni à de grands enfants. Craig exagère de temps à autre les expressions des visages pour mieux mettre en évidence l'intensité des émotions ressenties par les personnages. De même il accentue un geste au-delà du réalisme pour montrer la vivacité d'un adolescent, mais aussi la focalisation de sa concentration dans ce seul geste, ce seul mouvement. Wes Craig s'avère un dessinateur idéal pour donner corps au thème principal du récit. Il transcrit à merveille l'attitude des adolescents se donnant un genre pour masquer l'inconfort qui accompagne cet âge.


Du fait de la nature de l'intrigue, Remender dépeint également des comportements agressifs, et à risque. En particulier, à l'occasion d'une escapade, Marus lèche des buvards de LSD en quantité. Il s'en suit un trip hallucinogène, rendu avec un savoir-faire impressionnant. Remender et Wes trouvent le ton juste pour rendre compte des hallucinations, des remarques déplacées et absconses proférées à haute voix, de la logique intérieure du personnage, du trouble de sa perception allant de déformations visuelles à une logique délirante. Les auteurs rendent compte avec une incroyable justesse de la sensation de défonce, du fonctionnement perverti du cerveau, du côté psychédélique (impression que des facettes de la réalité se dévoilent soudain grâce à un fonctionnement amélioré des sens), sans omettre la paranoïa latente à avoir l'impression de voir des choses dissimulées, de faire se relier des faits, d'accéder à une réalité supérieure interdite au commun des mortels.


"Deadly class" reste avant tout une histoire d'action, avec un centre de formation d'un genre très particulier. Quand les élèves sont envoyés en travaux pratiques, les citoyens innocents en pâtissent. La première épreuve pratique consiste à assassiner un SDF qui l'aurait mérité du fait de crimes commis dans sa vie passée. Remender montre toute la difficulté de passer à l'acte, de s'assurer d'avoir bien tué sa victime, de prendre toute la mesure de la transgression effectuée. Il ne glorifie pas la violence, il ne fait pas de ces voyous des héros. Le lecteur prend en sympathie ces jeunes mal dans leur peau, et utilisés par des adultes, mais il ne peut pas cautionner leurs crimes.


Lorsque la violence éclate, Wes Craig prend soin de montrer que les individus ont conscience de la nature de leurs actes, qu'ils hésitent avant de commettre l'irréparable, et qu'une fois portés les coups occasionnent des blessures qui ne guérissent pas magiquement d'une case à l'autre. La violence a des conséquences sur les individus et laisse des séquelles, tant physiques que psychiques.


Rick Remender et Wes Craig ont créé une série originale, avec un élément romanesque un peu gros (une école d'assassins pour adolescents), et des personnages agissant vraiment comme des adolescents. L'intrigue est rapide et l'action est violente. Les actes ont des conséquences, et le meurtre n'est pas réduit à une simple prouesse physique. Les dessins sont précis et expressifs, avec une mise en page innovante quand la séquence le réclame; chaque scène bénéficie d'une tonalité chromatique particulière, déclinée avec intelligence par Lee Loughridge, là encore dans un registre éloigné de la simple pyrotechnie infographique. Cerise sur le gâteau : le lecteur apprend en quoi Ronald Reagan est responsable de la situation de Marcus Lopez Arguello.

Presence
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le 17 janv. 2020

Critique lue 146 fois

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