Ce tome fait suite à Southern Bastards Tome 1 (épisodes 1 à 4) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 5 à 8, initialement parus en 2014/2015, écrits par Jason Aaron, dessinés, encrés et mis en couleurs par Jason Latour. Il commence par une introduction de 2 pages rédigée par Ryan Kalil, un joueur professionnel de football américain dans l'équipe des Carolina Panthers. Il évoque le difficile poste de linebacker (secondeur) dans une équipe de football américain.


Il y a une quarantaine d'années de cela, Euless Boss s'entraînait sur le terrain de football américain de Craw County pour réussir à faire partie des joueurs sélectionnés pour intégrer l'équipe de la ville. Il n'était pas apprécié des autres adolescents, en particulier d'Elmore et de Thurman Green. L'entraîneur Jim Forrester ne le tenait pas en haute estime et pensait qu'il n’intégrerait jamais l'équipe. Au temps présent, Euless Boss a revêtu un pantalon de costume, une chemise et une cravate pour se rendre à un enterrement. Esaw Goings et Eugene Maples sont venus le chercher, et Esaw lui demande si c'est vraiment une bonne idée qu'il se montre en public. La batte de baseball dont s'est servi Euless pour tuer son adversaire est encore sur la table de cuisine. Le shérif Hardy le regarde d'un drôle d'œil en le voyant arriver pendant le service religieux, devant le cercueil lors de la mise en terre. La maison de repos a amené monsieur Buhl dans son fauteuil roulant. Euless Boss lui présente ses condoléances pour la mort de son neveu. Il lui promet également que le shérif va s'employer à trouver le coupable. Monsieur Buhl le remercie pour ses paroles attentionnées, et encore plus quand il se rend compte qu'il s'agit de l'entraîneur de l'équipe de football américain de la ville.


Après le départ des quelques personnes venues se recueillir, Euless Boss indique à Esaw Goings qu'il va payer la pierre tombale. En répondant à une de ses questions, il lui indique que ce n'est pas le premier homme qu'il ait tué. Une quarantaine d'années plus tôt, Euless Boss continue de s'entraîner sur le terrain. Après chaque séance, Elmore et sa clique viennent lui rappeler qu'ils ne veulent pas de lui dans l'équipe et le rouer de coups pour bien se faire comprendre. Au temps présent, Euless Boss se fait emmener en voiture par Esaw Goings jusqu'au grill BBQ. Il évoque son voisin Albritton, le maire de la ville et sa femme, les jumelles Compson propriétaires de la banque, Piney Woods (chasseur à l'arc), le shérif Hardy, le gang de Mobile, l'équipe adverse de Wetumpka County. Au grill BBQ il se change pour sa tenue d'entraîneur. Il place la batte ensanglantée en hauteur et paye une part de tarte à chacun des clients. Au temps passé, Euless Boss continue de s'entraîner après la fin des entraînements en se jetant contre le dispositif de poussée. Il se fait interpeller par Big, un noir aveugle qui a pour job de nettoyer le terrain et de ramasser les ballons, et qui lui dit qu'il n'a aucun avenir dans le football, et aucune chance d'intégrer l'équipe de Craw County.


Le premier tome se terminait mal pour l'un des principaux personnages de l'histoire, à la grande surprise du lecteur. Il contenait un épilogue promettant une vengeance bien sentie, à nouveau engendrée par un lien de père à enfant. Jason Aaron prend son lecteur à contrepied en consacrant ce tome à l'histoire personnelle d'Euless Boss, l'entraîneur actuel de l'équipe de football américain de Craw County. Ce tome est constitué pour les 3 quarts de retour dans le passé lorsqu'Euless Boss adolescent met toutes les chances de son côté pour intégrer l'équipe de football de Craw County, et pour un quart de séquences au temps présent également focalisées sur Euless Boss. Au cours du tome 1, le lecteur a eu le temps de s'habituer aux dessins de Jason Latour et a adapté en conséquence son horizon d'attente. Il note que cette fois-ci il a réalisé la mise en couleurs dans son intégralité et qu'il conserve son approche conceptuelle avec une teinte majeur, souvent le rouge pour les scènes du passé, parfois un marron boueux, et plus rarement un vert de gris cafardeux. Le lecteur y voit l'expression de l'état d'esprit du personnage sur lequel se focalise la scène, ou de l'ensemble des personnages présents. Il s'agit d'un dispositif narratif très efficace avec une forte charge émotionnelle.


Le parti pris de s'attacher à Euless Boss surprend de prime abord car c'était l'homme à abattre du premier tome. Il faut un petit temps pour que le lecteur accepte qu'il soit le personnage principal de ce tome 2, certainement pas un héros. Puis il se souvient du titre de la série qui constitue une déclaration d'intention claire, un jugement de valeur moral sur les individus qui peuplent Craw County. De ce point de vue, Euless Boss mérite pleinement ce titre. Le lecteur découvre alors l'histoire dramatique d'un adolescent désespéré. Il retrouve également de discrets éléments sublimés, comme pour ajouter une touche mythologique. Il se souvient qu'il y avait déjà un ou deux passages de cette nature dans le premier tome : la foudre s'abattant sur l'arbre ou encore l'homme seul fendant une foule attentiste pour réclamer vengeance. Il y a d'autres moments de ce type-là dans ce deuxième tome, les images comprenant une touche de spectaculaire, comme pour évoquer une mythologie ou un moment duquel naît une légende : Esaw Goings et Eugene Maples regardant Euless Boss comme un maître et un alpha-mâle, la ville rivale ennemie de toujours Wetumpka, l'entraîneur aveugle ce qui fait basculer ses conseils dans un enseignement mystique, ou encore la valeur de l'implication se mesurant au sang versé. Les dessins un peu crus montrent ces moments à la fois de manière prosaïque et factuelle, à la fois comme un moment presque comique n'eut été le degré d'investissement émotionnel des personnages, quasi obsessionnel.


Pour le reste, le lecteur observe des moments de vie d'Euless Boss montré avec un souci de ne rien enjoliver, avec une qualité de reportage quasi anthropologique. Il voit évoluer des personnages très ordinaires, très banals dans leur humanité : Euless Boss un colosse s'accrochant à sa force physique, l'entraîneur Big avec sa bedaine et un corps d'un individu résigné à sa cécité, Olis Boss (le père d'Euless) avec son visage buté et fermé allant de l'avant sans réfléchir aux conséquences pour les autres, Eugene Maples et son regard canin d'individu pas très futé mais fidèle, l'entraîneur Jim Forrester repus du petit pouvoir dont il dispose… Les spécimens d'humanité montrés sont tous marqués par leur égoïsme banal et laid. Les dessins de Jason Latour sont dépourvus de fioriture montrant crûment des visages peu avenants, exprimant des émotions soutenues et peu filtrées. Le lecteur peut voir la force de la détermination dans faille du jeune Euless Boss, sa capacité à encaisser les coups même s'il souffre dans sa chair. Il force l'admiration par son entêtement que rien ne peut ébranler. Il met toute son énergie dans sa passion, le football américain, à en faire peur. Le récit comporte des scènes surprenantes comme une orgie dans une caravane avec des coqs en liberté, ou encore une vision des citoyens importants de Craw County (le maire et sa femme, les jumelles Compson, Piney Woods un chasseur à l'arc, le gang de Mobile). Mais la scène la plus terrifiante se passe sur le terrain, comme celle du tome précédent avec la foule totalement en transe devant le match. Dans cette scène, Euless Boss adolescent joue en position de secondeur et il fonce vers les joueurs du camp adverse, flanquant un grand coup de boule casqué à un attaquant adverse, une brutalité sans retenue exprimant toute la rage d'Euless.


Jason Aaron ne fait pas semblant non plus. Il continue de mettre en scène son thème principal : le poids de l'hérédité du comportement des parents, de leur manière de traiter leurs enfants. Il est impossible de ne pas ressentir d'empathie pour le jeune Euless Boss au vu des conditions de son enfance et du comportement de son père. La trajectoire de vie d'Euless Boss est tout autant conditionnée par le comportement de son père, que celle d'Earl Tubb par le sien. Il devient même impossible de ne pas admirer Euless pour a volonté de ne pas choisir la même voie que son père, celle d'une criminalité de minable, le lecteur souhaitant de tout cœur qu'il puisse réussir dans la voie qu'il s'est choisie, qu'il puisse trouver son bonheur en s'accomplissant sur le terrain. À nouveau, il doit revenir au titre pour se faire une raison. Euless Boss se comporte comme il a toujours vu le faire : il sait qu'il doit attaquer de toute son âme sur le terrain pour instiller la peur chez les attaquants, leur donner envie de rentrer chez eux plutôt que de se retrouver confrontés à lui, leur faire souhaiter que le match se termine au plus vite. La partie de football n'est plus un jeu, c'est une question de survie. Le titre implique également qu'il n'y aura pas de fin heureuse, qu'il n'est pas possible d'échapper à son milieu socio-culturel. Comme dans le premier tome, le personnage principal du tome jette un regard critique aux autres, à la foule, aux badauds. Dans le premier tome, ils devenaient des complices d'un crime par leur inaction. Ici, ils ont peur du fait de leur inaction. Ce récit comporte également une fibre psychanalytique très forte : pour pouvoir survivre et grandir, Euless Boss doit tuer le père. Il doit également payer sa survie avec son sang. À 2 ou 3 reprises, la question de l'investissement dans le sport est posée en ces termes : est-ce que ça vaut le sang versé ?


Ce deuxième tome s'avère tout aussi dur que le premier, prenant à la gorge par ses dessins secs et burinés, et par l'histoire d'un individu misérable et malheureux, désespéré et surinvesti dans ce qu'il considère être la seule issue pour s'en sortir. Les auteurs ne font pas mentir le titre de la série ; le lecteur ressort marqué par le sort d'Euless Boss, mais aussi par la mise en nue du poids du milieu socio-culturel et de l'impact de la vie des parents sur leurs enfants.

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le 26 juil. 2019

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