« Un bon prestidigitateur a toujours plus d’un lapin dans son
chapeau. »



Ainsi parle Alejandro Jodorowsky de son héros autant que de lui-même, l’auteur a l’indécence de se glorifier autant que la décence de prévenir : il n’est là que pour le spectacle, il s’agit bien plus d’en mettre plein la vue que de tenir un discours narratif solide. Constamment émerveillé des richesses de l’infini, le scénariste partage ses délires sans autre prétention que celle d’ouvrir le chemin des rêves.


Le récit reprend où l’avait laissé le cliffhanger du tome précédent, où le père et le fils se préparent à s’affronter : duel en multiples queues de poisson, final dramatique au chantage et sentiments exacerbés. Encore une fois, il semble n’y avoir rien de plus grand pour les héros de cette série que



le sacrifice de l’honneur face aux froideurs de l’intelligence artificielle.



Le trait de Juan Gimenez est toujours riche et précis, les détails pullulent et les tableaux stellaires sont des plus captivants. Le postulat de ce personnage sans tête, orné d’un chef robotique laisse au dessinateur le loisir de multiplier les visages du héros et certaines cases, immanquablement, semblent être inspiratrices des célèbres casques de Daft Punk, dont la musique accompagne à merveille les délires visuels de l’œuvre.


Niveau scénario, c’est le schéma qui s’applique. Après la victoire contre son génial géniteur, Tête-d’Acier se rend indispensable à l’Imperoratriz lors d’un unique fait d’arme,


victoire facile sur des envahisseurs vampires affamés de matière cérébrale et qui n’ont donc aucune prise sur lui.


Mais l’insensibilité de la machine, sa force, est aussi sa faiblesse puisque le voilà indigne, si fermé aux passions, de prétendre au titre de Méta-Baron : il lui faut apprendre l’amour.



Le guerrier part en quête de poésie.




« La beauté est plus forte que la mort. »



L’épisode de l’accomplissement lie dans un nouveau délire la tête du sage poète sur le corps du valeureux guerrier.


Alejandro Jodorowsky semble toujours sortir les solutions adéquates de son chapeau, d’une magie inopinée, mais la densité lui échappe et de la simplification qu’il en fait naissent des épisodes trop courts, inapprofondis, où le sens du discours, s’il existe, se perd. Au final, malgré la légende, il y a parfois l’allure du synopsis qui vient gâcher l’implication du lecteur avec une impression de survol inachevé. De mécanique qui nous échappe.


Conquête amoureuse impossible et nouveaux sacrifices, Tête-d’Acier l’Aïeul respecte à la fois la légende des Castaka et le schéma du scénariste : album de transition dense mais par trop haché, c’est encore l’incroyable et impressionnante richesse de l’œuvre de Juan Gimenez qui séduit avant tout le lecteur. La réalité graphique que l’artiste donne précisément aux délires de l’imagination chaotique, mégalomane et déterminée d’Alejandro Jodorowsky embarque l’œil avec plaisir dans ces univers décousus juxtaposés au petit bonheur sur



une trame familiale épique et légendaire de par l’intensité quantitative de ses épisodes plus que dans l’intensité dramatique.



Même si le scénariste connait les ficelles de la prestidigitation narrative comme en atteste l’utilisation régulière de cliffhangers finaux destinés à nous ruer sur la suite, il manque à l’œuvre l’étude des passions et des emportements humains, réduits ici à la caricature.

Matthieu_Marsan-Bach
7

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le 6 juin 2016

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