Publiée durant deux ans de 1941 à 1943, et se terminant avec le dernier numéro de Spirou, arrêté par les Allemands pour faute d'avoir accepté un gérant officiel, voici la toute première aventure de Jean Valhardi, sur une histoire de Jean Doisy, découpée et dessinée par Jijé (la fiche du site indique Mouminoux comme auteur, c'est bien sûr stupide, le futur Dimitri avait alors 14 ans à peine, confusion qui vient sans doute de sa participation aux décors de la série des 60's...).


Inspirée d'un fait divers réel, l'histoire commence sur les chapeaux de roues avec un jeune orphelin qu'une bande de villageois déchaînés veut lyncher au plus vite. Le héros, jeune homme athlétique intervient aussitôt. Il est enquêteur pour une compagnie d'assurance et s'intéresse de près à une épidémie d'incendies que les pécores voulaient mettre sur le dos du petit miséreux...


De façon improbable, l'histoire ne tardera pas à se poursuivre en Afrique du Nord, enfilant avec bonheur 90 pages d'aventures rocambolesques, qu'un album comme la corne du rhinocéros a l'air d'avoir bien assimilé...


Certes, au début des années 40, l'école franco-belge est parfois maladroite, et, en dehors de Hergé, les bandes dessinées manquent encore de maturité. Néanmoins, cette aventure toute primitive se lit avec un bonheur rare... Pour cela, il faut remercier Vittorio Leonardo qui a accomplit un travail de restauration fantastique. Sur plus de cinq années et avec des milliers d'heures de travail, le coloriste de génie à su rendre au Maître le cachet que le temps et la perte des originaux rendait presque inatteignable. Le dernier volume en date de la superbe intégrale que Dupuis édite : Tout Jijé, 1942-1943, 1944-1945, magnifique double volume de 300 pages publié en décembre dernier, permet aux admirateurs de Jijé de goûter enfin une oeuvre qui n'existait plus que chez les bouquinistes spécialisés cotant jusqu'à 1000 euros l'exemplaire...


Valhardi poursuivra ses aventures et sera même repris en 1956 par Jijé lui-même, pour la série la plus célèbre. C'est en l'honneur du héros qu'André Valardy a trouvé son nom se scène, par exemple. Vous avez sans doute déjà aperçu cet humoriste qu'on appelait l'homme-caoutchouc, c'est le type qui, dans La Chèvre, a l'idée saugrenue de miser sur la malchance de Pierre Richard pour retrouver la malchanceuse fille de son patron. Il n'y avait qu'un Belge pour choisir ainsi son pseudonyme...


Rendons enfin hommage à un des plus grands génies de la bande dessinée, le fondateur de l'Ecole de Marcinelle, un homme qui a sans doute plus fait pour la BD que n'importe qui d'autre en son temps. Celui qui accueille chez lui Willy Maltaite alors âgé de 15 ans et qui le formera, gratuitement, pendant des années, lui apprenant le dessin, mais aussi la sculpture et l'encourageant vers la peinture, sa vraie voie. C'est lui aussi qui lui trouvera chez Dupuis ses premiers boulots quand le besoin de travailler se fera sentir, et c'est peu de dire que Will n'existerait pas sans lui.


Maître à l'ancienne, formateur familial, il recevra chez lui en apprentissage lors des années suivantes Franquin et Morris et leur montrera le métier. Plus tard, il fera de même avec Jean Giraud, dont le Blueberry doit tout à Jerry Spring, ce qui n'empêchera pas le maître, fier de son élève, de lui dessiner à l'occasion quelques couvertures...


La guerre et ses contraintes force Dupuis, installé en Belgique à racheter les droits de Spirou au Français Robert Velter, les déplacements devenant trop risqués. Jijé, qui avait déjà tâté du héros par intermittence et qui, de toutes façons, dessine presque tout dans la revue, reprendra le personnage, non sans lui offrir un camarade farfelu sous le nom de Fantasio, sur une idée dévoyée de Jean Doisy...


Créateur des époustouflantes biographies de Don Bosco, Charles de Foucault, Christophe Colomb ou encore Baden Powell, Jijé est aussi celui qui, débordé par sa gigantesque et désastreuse adaptation des Evangiles, laissera à la nouvelle génération tous ses héros, en 1946. Date révolutionnaire aux éditions Dupuis.


A Franquin la lourde charge de récupérer Spirou, à Eddy Paape la suite de Jean Valhardi, à Victor Hubinon celle, éphémère, de Blondin et Cirage, extraordinaire création de 1939 où deux enfants, un blond et un noir, vivent ensemble, et sur un pied d'égalité, des aventures trépidantes...


De retour dans les années cinquante, celui qui fut le maître de toute une génération sera toujours là pour remplacer au pied levé un de ses anciens élèves, Uderzo, pour Tanguy et Laverdure, et un Hubinon mort trop jeune pour Barbe-Rouge...


Aussi modeste que son génie était immense, Joseph Gillain nous quittera en 1980, laissant une oeuvre majestueuse et une trace indélébile à l'encre de Chine dans l'histoire du neuvième art.

Créée

le 10 juin 2011

Modifiée

le 22 juil. 2012

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Torpenn

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