Ce tome est le deuxième d'une trilogie qui propose une version du personnage, indépendante de toute autre, ne nécessitant aucune connaissance préalable. L'histoire est parue d'un seul tenant sans prépublication, initialement en 2018, faisant suite à Wonder Woman Terre Un - Tome 1 (2016) qu'il faut avoir lu avant. Le récit a été écrit par Grant Morrison, dessiné et encré par Yanick Paquette, et mis en couleurs par Nathan Faibairn. La collection Earth One propose également une nouvelle version de Superman (par JM Straczynski & Shane Davis), Teen Titans (par Jeff Lemire & Terry Dodson), Batman (par Geoff Johns & Gary Frank), Green Lantern (par Gabriel Hardman & Corinna Bechko). Le tome se termine par 10 pages d'études graphiques de Paquette.


Pendant la seconde guerre mondiale, une femme venue du monde des hommes met le pied sur Themyscira : Paula von Gunther. Elle est accueillie sur le rivage par Hippolyta qui lui demande ce qu'il l'amène sur l'île, prête au combat. Von Gunther commence par répondre en allemand, puis passe au grec ancien. Elle vient ici prendre possession de l'île au nom d'Adolph Hitler. Elle et quelle armée ? demande la reine des amazones. La réponse est immédiate : la glorieuse armée du troisième Reich, bien sûr, alors que des soldats allemands débarquent d'un bateau à fond plat et que Von Gunther plante un drapeau avec la Swastika sur le sol de l'île. Hippolyta formule un unique avertissement : tout homme vivant qui pose le pied sur Themiscyra est soumis aux lois d'Aphrodite. Soit ils font demi-tour immédiatement, soit ils ne reverront jamais leur foyer. Von Gunther est certaine d'avoir la supériorité avec des soldats équipés d'armes à feu : elle déchante vite. Elle en appelle à l'intervention du sous-marin. Celui-ci est neutralisé par un aéronef invisible.


Dans la ville de Themyscira, Diana demande à Althea ce qui est en train de se passer, pourquoi elle entend des bruits d'armes à feu, comme lors de l'épreuve des balles et des bracelets. Elle comprend par elle-même que l'île subit une attaque et enfreint les ordres de sa mère : elle se dirige vers le champ de bataille, pour une fois qu'il se passe quelque chose. Elle se rend aux écuries où elle place le harnais sur le dos de Jumpa, son kanga. Pendant ce temps, les amazones ont vaincu avec facilité. La reine prononce sa sentence : les hommes seront transportés sur le monde d'Aphrodite où la reine Desira et ses filles de Vénus aux ailes de papillon les purgeront de leur pulsion à se battre. Ils apprendront à se soumettre à l'autorité aimante. Quant à Paula, elle n'est pas entièrement décidée. Celle-ci en profite pour se ruer sur elle, et lui arracher la gaine magique d'Aphrodite. Elle se saisit alors d'un rocher qu'elle s'apprête à abattre sur la tête d'Hippolyta à terre : ce sera la pierre tombale de cette reine de rien. Deux amazones arrivent sur leur aérocyle pour sauver leur reine : Paula leur envoie le rocher. Une demi-douzaine d'amazones l'attaque et elle les envoie valser à terre. Elle fanfaronne qu'elle est la fille ultime de l'empire millénaire d'Adolf Hitler. Elle a le souffle coupé quand Hippolyta lui enserre le cou par derrière et lui fait littéralement mordre la poussière. Elle reprend sa gaine dont elle ceint la taille de Paula ce qui a pour effet de charger chaque cellule de son corps avec des courants vitaux qui harmonisent le cerveau, encourageant l'obéissance. La prise de conscience est rude pour Paula von Gunther : elle était au service d'hommes faibles et cruels et elle-même était faible.


Si le premier tome pouvait laisser planer un doute, celui-ci confirme qu'il s'agit d'une histoire complète en trois parties, car de nombreuses résolutions manquent à l'appel. Avec le premier tome, le lecteur état resté sur une impression d'histoire gentille qui ne se prenait pas trop au sérieux, au cours de laquelle le scénariste n'hésitait pas à insérer des piques provocatrices. Le lecteur s'attend donc à en retrouver quelques-unes. Il y a bien sûr le concept de soumission à une autorité aimante, en provenance directe de la vision de William Moulton Marston (1893-1947, créateur de Wonder Woman), Leon Zeiko qui déclare qu'il n'a jamais rencontré une femme qu'il n'ait pas pu briser, la question de l'acceptation des transgenres dans la communauté des amazones, le bondage avec le lasso, ou encore Diana déclarant qu'elle redonnera leur place aux femmes même si elle doit pour cela soumettre les hommes. En fait Grant Morrison n'en fait pas des tonnes : il se montre même plutôt mesuré. Alors que Diana et Leon Zeiko discutent pendant huit pages sous une tente militaire, cela ne vire pas à un exposé sur le féminisme. Les deux interlocuteurs évoquent plutôt la manière dont une femme d'une grande beauté et d'une grande force peut être perçue en venant prôner un amour universel au nom d'une matriarchie adorant des dieux grecs. S'il fallait vraiment chercher une faute de goût, elle se situerait dans l'emploi d'un groupe de terroristes sans caractéristiques, fournissant la chair à canon nécessaire pour un combat spectaculaire de dix pages, des ennemis sans consistance, prêts à l'emploi, oubliés dès le combat terminé, même si le dessinateur se montre très inspiré, avec un costume oriental pour Wonder Woman du plus bel effet.


Par la force des choses, le lecteur ne peut pas se retenir de chercher des éléments plus intellectuels puisqu'il s'agit d'une œuvre de Grant Morrison. Il y en a bien un ou deux, mais il faut faire preuve d'une attention soutenue pour les relever. Lors d'une réunion secrète dans un sous-sol, des responsables militaires avec casque de réalité virtuelle sur la tête évoquent le risque militaire posé par Wonder Woman. Au cours de l'échange, l'un d'eux mentionne que les amazones semblent avoir maîtrisé la radiation orgone comme source d'énergie. En surface, c'est une remarque en passant sur un élément d'anticipation farfelu. En y regardant de plus près, c'est une référence à la théorie du psychiatre et psychanalyste Wilhelm Reich (1897-1957) : l'orgone serait l'énergie de la Vie, la puissance du rapprochement sexuel serait alors d'origine électrique. Au cours de la lecture, le récit se présente autrement. Tout commence par le débarquement de soldats nazis sur l'Île du Paradis, avec un affrontement en règle, contre les amazones et leurs armes fantastiques. Viennent ensuite une course entre un jet dernier cri de l'armée américaine et l'avion invisible de Diana, un combat contre des terroristes, une nouvelle démonstration de Balles contre Bracelets, et un combat physique entre Paula von Gunther et Diana. Un récit superhéros pur jus. Le scénariste pioche avec élégance dans la mythologie du personnage : des éléments déjà présents dans le tome 1 (par exemple les kangas ou l'avion invisible, la coercition de type bondage avec le lasso), mais aussi d'autres comme la reine Desira sur le monde d'Aprhodite, apparue pour la première fois dans All-star Comics 14 en 1943.


Le lecteur se laisse donc plutôt emporter par l'histoire premier degré décomplexée avec attaque de nazis, et manipulations psychologiques de Diana par un maître en la matière, une nouvelle version d'un ennemi récurrent du personnage. Il se laisse prendre d'autant plus facilement au jeu que les planches sont magnifiques. Yanick Paquette reste investi à chaque page, avec visiblement le temps nécessaire pour les soigner. Il joue à nouveau avec les bordures de case : parfois classiques, parfois des arabesques, évoquant le sigle nazi du double S lors de l'attaque de l'Île du Paradis, parfois sous forme de câble entortillé quand Diana est en communication télépathique avec sa mère avec le projecteur, parfois en forme de lasso, avec même une calligraphie arabe le temps d'une page. Les femmes sont toujours aussi sublimes et toujours aussi fortes, mise en valeur pour leur force et leur classe, ne s'en laissant compter par aucun homme. Paula von Gunther est à la fois une femme fatale fascinante, et une caricature aryenne. Diana est splendide du début jusqu'à la fin, y compris en djellaba. Paquette s'amuse un instant en montrant Hippolyta au bain, sa nudité masquée par une statue de femme dénudée, la beauté classique sculptée. Les personnages masculins ne sont pas en reste que ce soit l'assurance virile sans être macho de Steve Trevor, ou la séduction vénéneuse de Leon Zeiko. Enfin, c'est un plaisir que de retrouver Beth Candy bien en chair, et toujours aussi confiante en elle, non sans raison. Le lecteur pardonne donc facilement au dessinateur la facilité d'avoir affublé Paula de talons aiguille aussi hauts, accessoire toujours peu pratique pendant les affrontements physiques.


L'histoire est donc avant tout un divertissement, et le scénariste a pris soin de concevoir des scènes dans des environnements variés, pour éviter tout risque de monotonie visuelle. Les pages se tournent toutes seules, et le lecteur n'y prête pas forcément attention, mais l'artiste soigne également ses décors. Le lecteur peut ainsi admirer une belle plage de Themiscyra, un sous-marin allemand, les bâtiments de la capitale de l'île, les gratte-ciels de New York, une ville détruite par la guerre au Moyen-Orient, un site industriel militaire fabriquant des armures de combat, le salon de Leon Zeiko, ou encore l'intérieur d'un Algeco. La mise en scène bénéficie de l'emphase propre aux affrontements de superhéros. Les auteurs poursuivent ainsi dans le même mode narratif que le premier tome : Diana représente une certaine forme de culture isolationniste et féminine qui se confronte à une autre culture fort différente. Sa motivation n'est ni dans la conquête, ni dans l'affrontement : elle souhaite devenir un lien entre ces deux cultures dans une démarche de curiosité et de compréhension. Pour autant elle ne reste pas sans rien faire devant l'injustice, la persécution et la maltraitance, avec déjà la conscience aigüe qu'à elle toute seule, elle ne peut régler que des cas particuliers, et pas faire progresser une société.


Le lecteur se lance avec curiosité dans ce tome 2, souhaitant découvrir comment évolue la mission de Diana dans le monde des hommes. Il retrouve la narration visuelle si plaisante et si riche de Yanick Paquette, très agréable à l'œil, sans être dévalorisante pour les personnages féminins, ce qui aurait été un contresens impardonnable. Il retrouve également Grant Morrison en mode direct, conscient des écueils liés à un personnage comme Wonder Woman, s'en tenant à raconter une histoire simple, très superhéros dans l'esprit, en intégrant nombre de conventions propres à ce genre, des méchants nazis aux bizarreries de la sororité de Themiscyra. Il se tient à l'écart de toute ironie, et de toute forme militante, tout en glissant une ou deux provocations gentilles savoureuses. Le lecteur est de tout cœur avec Diana et souffre avec elle dans les épreuves et les trahisons.

Presence
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le 6 juin 2021

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