Autant le dire tout de suite : j'ai peu d'objectivité face aux aventures de 007. J'ai véritablement découvert la magie du cinéma en regardant Moonraker pour la première fois, et j'ai depuis vu tous les films estampillés "007", même le Jamais plus Jamais avec Sean Connery et le Casino Royale bien barré de 1969. C'est dire, j'en connais un bon rayon.
Mais mon amour pour un film s'accompagne également d'une véritable volonté de dissection, de décortication, avec un regard le plus critique, pour pouvoir aller aux fibres les plus intrinsèques de l'oeuvre et pouvoir dire : "Je l'ai compris".
Je tiens compte cependant qu'il n'y a pas 36 personnes comme, aussi on comprendra ce que l'on voudra !


Je suis allé voir 007 Spectre avec ma sœur, qui connait mon acharnement de cinéphage et surtout ma passion pour l'espion britannique. Elle s'y connait un peu aussi, mais principalement les derniers avec Daniel Craig (on n'a pas toujours ce que l'on veut !). Ayant été légèrement déçu par Skyfall, je m'attendais donc à ce que ce nouvel opus relève la barre. Le casting m'avait quelque peu laissé perplexe, et les premiers visuels étonné, mais je partais en éternel optimiste.


Je n'ai pas été déçu, bien au contraire.


Dès l'introduction, le film en met plein la vue. On avait entendu parler des problèmes qu'avait causé le tournage à Mexico, mais le résultat vaut largement l'effort. Un plan-séquence superbe (je soupçonne l'inspiration du documentaire Soy Cuba dont j'écris également une critique), un déploiement de costumes comme une envolée de corbeaux, et un hélicoptère en cascade libre au-dessus de la foule en panique. "Unique scène spectaculaire du film ?" diront les détracteurs. Que neni mon cher, il s'agit de la plus spectaculaire parmi toutes les autres du film : c'est normal, vous regardez un James Bond.


Le scénario en soi est simple, très "bondien" avec la petite touche personnelle insufflée à la saga depuis Casino Royale et repris dans Skyfall. La nouveauté, cette fois-ci, tient le discours pro-contemporain sur la surveillance, mise au goût du jour déjà dans Captain America 2 : Le Soldat d'Hiver par exemple. On modernise en rapprochant un peu plus l'intrigue vers un univers politique réaliste. De cette façon aussi, on justifie la présence d'acteurs phares dans le rôle de personnage sà la base réservé aux apparitions : Mallory le nouveau M. (Ralph Fiennes), Moneypenny (Naomi Harris), le jeune Q. (Ben Wishaw) et le trop souvent oublié Tanner (joué par Rory Kinnear, excellent dans la très gothique série Penny Dreadful).
[Il est troublant de noter que, au lendemain des événements tragiques qui ont secoués la France en novembre 2015, à une date considérablement proche de celle de la sortie du film, le discours tenus par certains politiciens se confond presque avec celui de C...]


Ce qui est intéressant dans le film, c'est également les petits questionnements philosophiques et le jeu des références auquel on peut se prêter. Essayons.


Premier postulat : 007 Spectre est définitivement un remake. On ne peut pas se tromper, surtout avec le titre. Les scénaristes ressuscitent l'organisation du mal présente dans l'intrigue de nombreux films de la période Sean Connery (par manque d'originalité ? Je ne pense pas. Le remake est dans l'air du temps, alors ne le cachons plus et arrêtons d'être snob). Meurs un autre jour était déjà un remake des Diamants sont éternels, les connaisseurs le savent. C'est d'ailleurs pour ça qu'on aime les James Bond : on sait ce qu'on va y trouver. Le cas de Spectre est encore mieux car l’élixir de jouvence est savamment disposé. J'applaudis le retour du bras droit mutique et colossal, hommage aux Oddjob et Requin. Ce n'est pas de l'archétype, mais de l'anthologie.


Deuxième postulat : James Bond est un zombie. Le personnage aussi bien que les films ne cessent de hanter de façon régulière le paysage cinématographique depuis les années 50. Il n'est pas mort lui-même, certes, mais il évolue dans un monde propre à lui, caractérisé par la violence, où les morts ne font que revenir, aussi bien de manière méta-filmique. D'ailleurs, l'intrigue de 007 Spectre part de la parole d'une morte, celle de l'ancien M (Dame Judi Dench) dans une furtive apparition.
Rappelons tout de même qu'un zombie n'est pas un mort à proprement parler, c'est un mort-vivant. James Bond vit entre ces deux frontières.


Troisième postulat : c'est un film qui fait réfléchir. La philosophie dans James Bond, on pourrait se dire que ça serait comme boire un Vodka-Martin mélangé à la petite cuillère (hérésie !). Pourtant, quand Madeleine demande à Bond ce qu'il ferait s'il arrêtait le service, ce dernier ne répond pas. La réponse est la suivante : il mourrait, tout simplement. Notre espion britannique est en effet victime du Syndrome de Porthos : s'il se mettait à réfléchir à ces actes, cela causerait sa mort, inévitablement. James Bond est un personnage qui avance tout droit et rien de plus (d'où ma pointe de déception à propos de Skyfall. Le faire revenir dans son passé, c'est assez contraire à sa psychologie).
Par contre, je reste encore interrogatif sur la référence proustienne du personnage de Léa Seydoux : Madeleine Proust. Il faut vraiment être aveugle...
[Dans Vingt ans après, la suite des Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas, Porthos est en plein dans un moment d'action, soutenant une lourde pierre qui menace d'écraser ses amis. Ceux-ci se mettent à l'abri, mais, alors qu'il tient toujours la pierre, une chose arrive : Porthos se met à penser. Et alors la pierre l'écrase et le tue.]


Daniel Craig joue cette fois-ci la carte de l'interprétation directe, brutale, presque déconnectée, comme George Lazenby ou Timothy Dalton (qui, je persiste et signe, ne sont pas les pires acteurs a avoir tenu le rôle, loin de là !). Monica Bellucci, même dans cette courte apparition, ne manque pas de sensualité. Christoph Waltz fait preuve, à mon agréable étonnement, de retenue et d'une sobriété inquiétante qui sied à son personnage sadique et froid. Grande justesse aussi pour Andrew Scott en politicien au regard d'acier. Même Léa Seydoux m'a surprise en James Bond Girl convaincante.


Quand à la technique, je n'ai jamais été autant admiratif d'un travail de mise en scène comme celui-là. La composition géniale, la photographie superbe de Hoyte Van Hoytema (apparition formidable de Blofeld), et la partition dynamique et électrique de Thomas Newman.


007 Spectre est un film classique, mais revenant à une génétique 100% Bond.

Thomas_le_Govic
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le 15 nov. 2015

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Thomas Le Govic

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