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2081
6.8
2081

Court-métrage de Chandler Tuttle (2009)

Remarque préliminaire: La critique contient de nombreux spoilers.


Cette adaptation par Chandler Tuttle de la nouvelle Harrison Bergeron (en français, Pauvre surhomme) de Kurt Vonnegut s'inscrit parmi celles qui font mentir la fameuse locution italienne Traduttore, traditore, puisque ce court-métrage ne se contente pas de rendre justice à l’œuvre qui l'inspire, mais lui donne même un souffle et une ampleur supplémentaires en nous offrant un récit de science-fiction d'anticipation inquisiteur et impeccable.


Le miroir dystopique


La dystopie présentée dans 2081 se nourrit d'une valeur qui nous est chère: l'égalité. Dans ce futur proche, les instances politiques ont pris les mesures nécessaires à sa réalisation: tous sont désormais égaux. Cependant, une telle égalité semble ne pouvoir être réalisée que par le bas, aussi la beauté, la force, l'agilité, l'intelligence (tout ce qui est susceptible de rendre S.P.E.C.I.A.L.) sont-elles bridées par des handicaps tels que masques, poids, appareils auditifs dissonants, etc. Nul ne se signale désormais par une injuste supériorité.


Sans aller dans de telles extrémités, bien éloignées du projet de la Déclaration universelle des droits de l'homme, notre société aborde avec circonspection et schizophrénie cette problématique. Nous souhaitons réduire les inégalités naturelles et sociales, tout en conservant la joyeuse émulation d'une économie de marché. L'école pour tous? C'est fort bien. Le diplôme pour tous? C'est moins souhaitable. Un travail pour tous? C'est admirable. Le travail de son choix pour chacun? On peut se demander qui s'occupera des tâches ancillaires les moins stimulantes. Des implants neuronaux pour compenser des handicaps? Merveille! Une humanité à deux vitesses, entre hommes augmentés et hommes naturels? Aïe! Sans résoudre le délicat équilibre à obtenir pour articuler égalité, mérite et entreprise, 2081 nous conte ce que nous devenons quand la diversité est étouffée, quand le génie et le talent sont criminalisés, quand l’État orchestre avec cynisme la médiocratisation de l'humanité.


La révolte par la beauté


Harrison Bergeron, génie et colosse, s'est évadé de la cellule où il croupissait. Comme tout protagoniste de récit dystopique qui se respecte, il souhaite réveiller les consciences, montrer à chacun ce qu'il a perdu, permettre une révolte salvatrice. Mais que faire lorsque les plus simples, comme Hazel, ne peuvent comprendre? Comment faire lorsque les plus avisés, comme Georges, ne peuvent plus aligner deux pensées? Si la raison est condamnée, il faut se faire entendre en prenant son auditoire par les sens, par les tripes. Aux esprits rapetissés de son temps, accoutumés à louer la médiocrité, il rend, pour un instant, avec panache, l'expérience flamboyante du beau. Habilement, mais au prix fort, il fait monter sur scène l’État totalitaire, le contraint à montrer son vrai visage. Chacun et chacune voient ainsi cet ennemi saccager à nouveau ce que pouvait, jadis, l'humanité. C'est par ce double choc, esthétique et émotionnel, qu'Harrison espère restaurer le bon sens de ses contemporains et leur permettre de se libérer des chaînes dont ils se sont volontairement chargés.


Le retour?


La leçon de 2081 est proche de celle de 1984: il est trop tard. Le sursaut espéré n'aura pas lieu. La machine a gagné; qui a broyé, broiera. Et on ne peut empêcher de sentir son cœur se serrer devant ce père qui ne comprend pas que son fils lui est à nouveau enlevé, à jamais pour cette fois... et de se demander si quelque chose d'important ne nous échappe pas à nous aussi.

Créée

le 14 oct. 2015

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NotQuiteDead

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