20 000Days On Earth est un documentaire sur le chanteur Nick Cave.

Un artiste que j’ai personnellement découvert grâce à ses compositions pour le cinéma !
Ce que je ne savais pas, c’est qu’au delà de ce premier aperçu déjà très classe, Nick Cave est un auteur beaucoup plus complet et complexe dont le vécu alimente le processus créatif, et dont la personnalité musicale tout en dualité, est une somme de son parcours autant qu’une évolution et un renouvellement constants.

20 000 Days On Earth débute par un élégant prologue. Un accéléré de la vie de l’artiste, porté par une bande-son bruyante au sein duquel règne une certaine musicalité. Contrairement à ce que son titre annonce, le film n’est pas un résumé du vécu de Nick Cave. Il s’agirait plutôt du déroulement supposé d’une simple journée, ce que pourrait être ce fameux 20 000 ème jour.

Les toutes premières scènes nous délivrent d’abord, en voix-off, un auto-portrait de l’artiste :

"À la fin du vingtième siècle, j’ai cessé d’être un être humain. Maintenant, je me réveille, j’écris, je mange, j’écris, je regarde la TV. Je me considère comme un cannibale (…) ma femme vous le dira : nous avons un accord, comme quoi chaque secret commun, chaque instant sacré, sera cannibalisé."
"Je me crée un monde : absurde, violent, fou. Un monde binaire ou héros et monstres, Dieu et colère de l’Homme, se côtoient. Et ce monde, plus je l’écris, plus il devient élaboré. Tous ceux qui le constituent, sont des versions déformées de moi-même.
Et quand je sors de ce monde, j’écris, je mange, j’écris, je regarde la TV… Et je joue avec mes gosses, et je tourmente ma femme, et j’emmagasine des expériences…. Puis j’y retourne."

Un auto-portrait illustré de la plus belle manière possible : un mélange très cinématographique entre la musique atmosphérique de Warren Ellis (et Cave) la photo classieuse d’Erik Wilson (The Double, Tyrannosaur), la réalisation d’Iain Forsyth et Jane Pollard – notamment ces cadrages mettant idéalement en valeur Cave, et allant même jusqu’à suggérer la magnifique pochette de Push The Sky Away) ; Tout concorde à impressionner durablement marquer l’œil, l’oreille et l’esprit.

Seulement cette puissante mise-en-scène n’est au final qu’un artifice, qui parfois, prend plus de place à l’écran que son sujet Nick Cave. C’est finalement le seul vrai défaut du film… Concentrons-nous donc sur le plus intéressant.

Comme la plupart des documentaires musicaux, 20 000 Days On Earth est une alternance entre captation sonores (studios / concerts) et interventions – de Nick Cave, d’autres artistes. Ce sommaire très classique est pourtant monté par Jonathan Amos (Scott Pilgrim) en une juxtaposition très fine, grande force du film : chaque moment, chaque instant, chaque situation possède en effet un contre-point, en accord avec l’auto-portrait donné par l’auteur en début de film.

L’auto-portrait lui-même, légèrement prétentieux, est contre-balancé par l’homme au quotidien, finalement très simple dans ses interactions.
La folie supposée de Nick Cave se retrouve canalisée dans ces séances de psychanalyse (filmées comme une interview !)
Ce qu’il y dit prendra également un sens différent lorsque contrasté par ces quelques conversations ou instants avec d’autres humains.

Brighton, ou habite le compositeur, et ou se déroule ce fameux 20 000 jour, est présentée sous plusieurs aspects… D’abord par l’artiste, qui associe sa prose poétique et violente à la ville, et par là présente son rapport singulier à l’endroit.
Puis visuellement, de façon très binaire mais adaptée au discours initial : parfois grouillante, parfois vide, urbaine, rurale, diurne, nocturne… Comme plusieurs facettes antagoniques d’un même personnage, à l’instar de Nick Cave.
Les nombreuses nuances présentes entre ces différentes facettes sont présentes dans la prose de Cave, dans les arrangements illustrant auditive-ment ces moments, eux mêmes composés d’antagoniques.

C’est là qu’interviennent les moments de création musicale… Eux-mêmes fonctionnant de façon symétrique : chaque chanson est ainsi présentée au moment de sa création, puis au moment de la performance. D’abord dans un espace confiné, habité par l’âme et l’humeur de Nick Cave (et dans une moindre mesure, celles de Warren Ellis, Tom Wydler, Susie Bick, et enfin des autres Bad Seeds) puis, en confrontation avec son audience.

Le premier pont entre tous ces instants, entre toutes ces versions déformées de Cave, entre tous ces lieux… C’est le souvenir.
Iain Forsyth et Jane Pollard l’ont bien compris et réussissent, par d’inventives mises en situations, à le faire naître chez l’artiste.

L’enfance de Nick Cave, son rapport à sa famille, aux femmes, à la musique, à son public, ses influences… Cela est abordé par la psychanalyse, évidemment. Chacune de ces données trouvera pourtant un contre-point magnifique dans la confrontation avec les autres :
ces artistes, Ray Wnstone, Blixa Bargeld, Kylie Minogue… viendront faire réfléchir Nick Cave différemment sur son rapport à la célébrité, à son image, sa place de leader.
L’enfance de Cave, rurale et insouciante s’oppose aux rapports avec ses propres enfants, urbains et télévisuels.
Les femmes, ne sont plus les femmes, mais Susie Bick, sa muse.
L’artiste est passé de jeune-homme-jouet-des-femmes, à manipulateur pervers de foules. Son rapport au public a changé, comme Nick Cave l’expliquera lui-même, lorsque confronté aux photos de son passé.

Le plus beau moment du film (c’est très subjectif, car pour moi, Nick Cave, est, avec Warren Ellis, l’auteur d’une des bandes originales les plus émouvantes du cinéma : L’assassinat de Jesse James par le Lâche Robert Ford - et dans une moindre mesure, de The Proposition ou The Road ; la confrontation entre les deux artistes, était ce que j’espérais secrètement voir dans 20 000 Days On Earth d’ou une émotion particulière lors de cet instant.)
Le plus beau moment du film est donc cette conversation avec Warren Ellis, d’une simplicité absolue : les deux hommes discutent dans la maison d’Ellis, d’un évènement – le concert avec Nina Simone en 99. l’évènement avait été raconté par Cave lors de la psychanalyse et est re-raconté par Ellis ; une nouvelle version totalement surprenante du même instant. Nouveau contre-point.

L’autre lien expliquant cette dualité est bien sur Nick Cave lui-même, ou plutôt sa musique. La mise en image des instants musicaux, dans 20 000 Days On Earth, passe donc par Cave, et la façon dont il habite chaque morceau. La façon incroyable dont il retranscrit en prose ses différentes facettes, la manière dont il compose sa musique.
Encore une fois en contre-point ; pianos désaccordés (ou non) et violons, mixés avec une agressive électro-rock possèdent toutefois, cette musicalité parfaite.
Plus précisément, chaque instant musical met en avant ce génie… Mais ce n’est qu’en fin de métrage que les éléments se regroupent et prennent d’autant plus de forme : les représentations sur scène, la musique et la psychologie de Nick Cave, liées, à l’image.
Passionnant.

L’inventivité du film donc là : définir la substance de la musique de Nick Cave, à travers ses interaction avec son environnement, les rencontres et évènements émaillant son quotidien ; provoquer chez l’artiste un judicieux cheminement mental, et réussir à le communiquer au spectateur

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le 27 déc. 2014

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