Il y a tellement à dire sur 20th Century Women, le nouveau film de l’américain Mike Mills. On pourrait parler de l’importante partie musicale, punk notamment, 1979 spécifiquement, et ça suffirait déjà à alimenter les débats. On pourrait évoquer le féminisme, la solitude, l’éducation, l’amour, tout est possible. Ou alors, on peut aussi tout simplement parler de tout ça, de combien le métrage est riche, précieux, infiniment aimable.


Le titre du film peut apparaître trompeur. Le centre du dispositif est effectivement Jamie (Lucas Jade Zumann), un tout jeune homme à peine sorti de l’enfance, tout juste 15 ans, élevé seul par sa mère Dorothea (Magnifique Annette Bening), une femme de 55 ans, lumineuse à travers l’épaisse fumée des cigarettes qu’elle enchaîne les unes derrière les autres, un peu fantasque, le genre de femme si complexe, forte et fragile à la fois. Aspirant pilote, Dorothea travaille dans un cabinet d’études, boursicote et relève tous les matins la valeur de ses actions au petit déjeuner : Jamie les pioche dans le journal, Dorothea les consigne dans un carnet. Quoi de plus consumériste, de plus mercantile que des actions du Dow Jones, et pourtant, Mike Mills rend ce rituel matinal éminemment romantique, baigné dans la douce lumière de Sean Porter, et mettant en scène un couple filial en symbiose. De précieux moments d’abandon pour cette femme qui se protège des sentiments jusqu’à dire au chat, un soir qu’elle attendait avec une angoisse rentrée que son fils revienne d’une virée à Los Angeles la dangereuse : « tu peux te détendre maintenant, il est rentré »…


Dorothea vit dans une grande et belle maison de la Californie du Sud, qu’elle rentabilise avec deux locataires tout aussi azimutés qu’elle. D’abord Abbie (Greta Gerwig), une jeune artiste punk qui récupère d’une longue maladie, qui aime écouter ses albums punks à plein volume en dansant comme Siouxsie Sioux, et comme si sa vie en dépendait. Tout aussi complexe, le personnage d’Abbie est richement caractérisé, et en aucun cas cantonné dans le cliché de la punk no future qui ne saurait que détruire. Sollicitée par Dorothea pour l’aider à élever Jamie, Abbie prendra sa mission à cœur et s’occupera du jeune Jamie à sa manière toute personnelle. Il est très agréable de voir Greta Gerwig s’extirper enfin de ce rôle de neurasthénique rigolote dans lequel elle s’est (joliment certes) laissée enfermer, avec les films de son époux Noah Baumbach (Frances Ha, Mistress America), dont elle est la scénariste. Ce virage vers des rôles différents, on a déjà pu le constater avec plaisir dans Jackie de Pablo Larrain.


L’autre locataire est William (Bill Cudrup), un homme lui aussi assez marginal, « le seul de la maison » comme dirait Dorothea, magnifiquement dessiné, dans un contour quasi-ectoplasmique au début du film, puis prenant de plus en plus de place dans l’histoire, à mesure que les trois femmes en face de lui semblent par moment désemparées en face de Jamie, cet autre homme en devenir, tellement en demande sans trop savoir ni de quoi ni comment. Cudrup développe un jeu solide et sans chichi, et pourtant magnétique.


Si on parle de trois femmes, c’est parce que Elle Fanning vient compléter ce trio de femmes du 20ème siècle avec le personnage de Julie. A peine plus âgée que Jamie, elle est sa meilleure amie, passe ses jours (et ses nuits) plus souvent chez les Fields que dans sa propre maison, où sa psychothérapeute de mère l’oblige à participer à des thérapies de groupes d’adolescents. Une mère déstabilisante qui amène Julie à coucher avec tout le monde sauf avec Jamie, la personne qui lui est la plus chère et qui la chérit de tout son cœur et souhaite la chérir de tout son corps, celui avec qui « trop de proximité empêche le sexe ».


Même si ce récit passablement autobiographique est l’histoire de Jamie, ces trois femmes, les personnages et les actrices, crèvent l’écran. Les dialogues fusent, sensibles, drôles, intelligents. Ces femmes de 1979, sont réellement du 20ème siècle, avec des problématiques qui ne seront jamais vraiment résolues, bien au contraire, les familles monoparentales et l’absence du père, la découverte du désir sexuel, l’ultra-moderne solitude… Annette Bening est époustouflante, hypnotisante, et tient certainement là un de ses plus beaux rôles.


En tant que réalisateur de nombreux clips, Mike Mills a su installer une ambiance musicale aux petits oignons, avec des morceaux aussi variés que In a Sentimental Mood de Benny Goodman, le magnifique The Big Country des Talking Heads ou encore et surtout différents morceaux punk allant de Buzzcocks à Souxsie & the Banshees en passant par le groupe punk féministe des Raincoats ou encore les célébrités locales des Black Flag. Un score éclectique et pourtant très cohérent, un vrai régal pour les oreilles si on peut dire.


Après le très beau récit de Beginners, déjà une autofiction, déjà un bijou, 20th Century Women est un autre merveilleux film de Mike Mills qu’on aurait tort d’ignorer en cette période où il y a une pléthore de bons films. C’est un cadeau de sensibilité mais aussi de bonne et belle humeur, il serait dommage qu’il ne soit reçu que par trop peu de cinéphiles, 6 dans la salle en ce qui concerne l’auteur de ces lignes. Un vrai gâchis.


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Bea_Dls
9
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le 4 mars 2017

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3 j'aime

Bea Dls

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