La Proie nue
7.1
La Proie nue

Film de Cornel Wilde (1966)

Après le plaisir coupable Green Inferno qui ne parvenait pas vraiment à dépoussiérer le genre cannibale malgré sa fibre nostalgique, découvrir La proie nue a quelque chose de grisant (un petit merci à Congo Flint pour sa suggestion). Grisant de par sa violence particulièrement barbare pour un film à grand public, et grisant de par son honnêteté et sa spontanéité (près des 3/4 du film sont muets, les enjeux de survie requérant le silence), qui cherche aussi à s'affranchir idéologiquement des canons raciaux qui forment son univers.


La proie nue n'est pas viscéralement un film raciste, mais un film dans un univers raciste. Il charge d'abord le portrait des colons blancs fomentant leurs projets d'exploiter l'Afrique et ses habitants (avec le commerce d'esclaves, un peu gros) au cours de leur safari pendant lequel ils équarrissent de l'éléphant à tour de bras. Pour tout dire, je me sentais assez mal à ce stade, pensant me trouver devant un film anti-blanc complètement manichéen dans sa dénonciation. Puis arrive l'attaque du convoi et la capture des colons blancs. Et dire que la cruauté de la tribu belliqueuse est impressionnante n'est pas de trop. S'arrangeant toujours pour évacuer le gore de son image, le film se lance dans une série de sévices qui n'ont rien à envier à l'exploitation cannibale des années 70 (que le film précède avec une assurance qui force le respect) et amorce enfin la chasse à l'homme promise dans une tradition qui sera empruntée par Mel Gibson dans son Apocalypto (la séquence du jeu de tir). Passé cet amorçage violent, le film se lance dans sa logique de chasse à l'homme et de survie, avec suffisamment d'impartialité pour nous convaincre de sa bonne foi. Si blancs et noirs sont tous les deux des peuples racistes, la Nature est impartiale et les règles de survie (prédateurs, techniques de chasse, rareté des points d'eau...) sont les mêmes pour tous. Et comme il s'agit de survie, la notion de racisme disparaît progressivement des actes des personnages. Si le colon part avec son optique de blanc en territoire étranger, il devient vite un homme pourchassé par d'autres qui ne peut compter que sur ses bricolages et son expérience pour survivre. Ainsi, il tue plusieurs de ses poursuivants en mode guerilla avec des pratiques pas très loyales, mais efficaces, car il faut survivre à cela. Côté tribu, les chasseurs noirs sont un peu personnifiés, et leur logique d'amusement se transforme vite en vengeance personnelle quand les premiers chasseurs sont éventrés (oui, on ne fait pas dans la dentelle avec les armes blanches). C'est une dimension plus tribale qui anime alors le film, qui abandonne le monde civilisé pour revenir à des pulsions essentielles.


Le film conserve toujours une certaine distance avec le racisme qu'il cherche un peu à dénoncer, comme en témoigne la séquence du village massacré (c'est aussi violent qu'Apocalypto à ce stade), pendant laquelle le héros intervient, piégé et tentant le sacrifice pour sauver un enfant planqué dans des broussailles, pour aller tuer quelques mercenaires et mettre la pagaille pour couvrir sa fuite. Le récit perd toutefois un peu de sa subtilité en montrant l'entraide entre notre héros et le gamin sauvé, petit portrait d'une "cohabitation" pacifique malgré les différences qui sonnent un peu trop l'optimisme (la fleur... pfff). Il n'avait pas besoin de forcer le trait jusque là, il parvenait à être suffisamment subversif en montrant beaucoup de noirs tuer d'autres noirs pour des objectifs souvent reliés au colonialisme. Le surjeu des acteurs noirs n'est pas à mettre sur le compte d'un racisme camouflé (c'est un peu comme Tintin au Congo), on peut un peu pinailler en revanche sur la psychologie du héros (qui a intégré les pratiques coloniales pour acheter les tribus indigènes et préparer le terrain des vrais exploitants blancs, son respect apparent des locaux étant aussi motivé par l'aspect pratique).


Un peu caricatural, mais indéniablement efficace grâce à sa violence et son impartialité (avec un montage hélas un peu aléatoire lors des affrontements (coupes franches pas toujours très agréables)), La proie nue est un survival à l'ancienne qui peut se montrer cruel et impressionnant, et qui propose une immersion complète dans l'enfer de l'Afrique plus efficacement que n'importe quel recoin d'Amazonie. Cela manque certes de poitrines et de maquillages cracra, mais le sérieux de cette entreprise permet au film de conserver toute son ampleur et de servir d'ancêtre à la mode des cannibales avec déjà toute l'imagerie exotique (dont de très nombreux stock shots animaliers) qui leur est associé. Ne manque que les descriptions sérieuses des codes sociaux des tribus (car ici, c'est plus drôle que fidèle).

Voracinéphile
7
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le 9 nov. 2015

Critique lue 423 fois

2 j'aime

Voracinéphile

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