Avec son troisième film, Xavier Dolan n'est plus un phénomène, mais il surprend toujours. Oublions qu'il n'a que 23 ans et considérons qu'il joue désormais dans la cour de ceux qui comptent, c'est à dire ceux qui travaillent la grammaire narrative et visuelle afin de continuer à nous raconter des histoires, mais autrement.

Avec Laurence anyways, le cinéaste canadien impose un style devenu sien. Il n'est plus ce jeune type agaçant mais déjà talentueux qui piquait les ralentis de Gus Van Sant ou de Wong Kar-Wai, les montages cut des Godard et Resnais des années 60, les couleurs queer de Gregg Araki. S'il faisait ses gammes avec le post-adolescent mais brillant J'ai tué ma mère puis le délicieux et subtil Les amours imaginaires, il passe ici à la vitesse supérieure en nous proposant un récit romanesque dense et touffu, entreprise ambitieuse dont il sort vainqueur après avoir pris bien des risques.

Le style Dolan, ce serait donc un curieux mélange de cinéma d'avant-garde et de clips, d'humour québécois et de noirceur romantique, un objet difficile à définir mais homogène, construit, légitime. L'audace est davantage dans la forme que dans le fond même si le sujet de Laurence anyways est en lui-même assez gonflé. On sent que Dolan n'hésite pas et s'autorise tout, même s'il risque de se casser la gueule. Mais comme il ne se casse pas la gueule, les plus beaux plans du film sont aussi les plus audacieux. Ils pourraient être gratuits et poseurs, leur réussite les rend essentiels.

On l'a dit, et c'est la volonté affichée de Dolan, Laurence anyways est un film romanesque. Fred et Laurence forment un couple auquel on croit dès les premiers instants. La complicité qui les lie est tellement évidente et juste que les tourments qui les attendent vont nous cueillir avec la même justesse. La bataille qu'ils vont engager, lui pour être lui-même, c'est à dire femme, elle pour tenter de le suivre, va s'étendre sur plus de dix ans d'un récit cahotique dont la caméra de Dolan va restituer toute la complexité. Entre les engueulades filmées caméra à l'épaule et les parenthèses musicales beaucoup plus baroques, le style Dolan s'impose sur la durée et nous tient du début à la fin. Ajoutons à cela un scénario solide dont certaines scènes clés évitent les réponses attendues. Fin dialoguiste, le jeune québecois s'impose en cinéaste complet.

Et puis Dolan est aussi un formidable directeur d'actrices. Après Anne Dorval dans J'ai tué ma mère (qui fait une brève apparition ici), Monia Chokri, fabuleuse dans Les amours imaginaires et à nouveau géniale ici, Nathalie Baye qui excelle en mère décalée, Suzanne Clément (déjà présente dans J'ai tué ma mère) sorte de québecoise latine aussi brûlante que brûlée, illumine le film de mille feux. À ses côtés, dans un rôle difficile et pas forcément sympathique (l'une des marques de fabrique de Dolan, encore une, étant de nous proposer des héros pas forcément cute), Melvil Poupaud réussit à donner vie (et corps) à ce(tte) Laurence pour le moins spécial(e)... On frémit en imaginant ce que l'insupportable Louis Garrel initialement prévu en aurait fait.

Ce n'est pas tous les jours qu'on peut suivre l'évolution d'un jeune cinéaste. En trois films, Xavier Dolan a assis un style, une manière de faire. Son cinéma n'est pas à proprement parler un cinéma d'invention, mais plutôt un cinéma de relecture de la modernité. C'est en tout cas un cinéma riche et de plus en plus dense. On attend la suite avec grande curiosité.
pierreAfeu
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Créée

le 21 juil. 2012

Modifiée

le 22 juil. 2012

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