Si le sujet de ‘Laurence Anyways’ est le travestissement, l’œuvre s’articule avant tout autour d’une puissante histoire d’amour. Les relations entre Laurence et Fred prennent une telle intensité que la métamorphose de Laurence passe presque en second plan, puisqu’on pourrait remplacer le travestissement par une autre décision importante sans fondamentalement changer le cours du récit. En effet, peu scènes traitent réellement du rapport de la société aux travestis : la tension écrasante de la première fois que Laurence s’habille en femme devant ses élèves, son licenciement injuste et rageant, ou encore les paroles de Fred dans son accès de colère au restaurant. Au moins, il s’agit de scènes particulièrement fortes dans leur propos.

De plus, certains passages traitant des travestis sont plutôt étonnants. D’une part, les autres travestis que Laurence rencontre dans le film collent étrangement avec l’image qu’on a souvent des marginaux (que penser de Dada Rose en folle ?). D’autre part, et c’est plus incompréhensible, Laurence laisse éclater sa rage et se bat avec un inconnu dans un bar, alors qu’il s’agit d’un comportement typiquement masculin.

Par contre, lorsque l’on s’intéresse aux relations des personnages principaux, le film est particulièrement fort. L’œuvre parvient en effet à suivre les sentiments du couple pendant 10 années de leur vie en restant toujours très cohérente. Et si la romance est belle et plaisante par moment, elle n’oublie pas d’être dramatique. L’histoire d’amour nous offre ainsi de magnifiques passages appuyés par des effets surréalistes utilisés avec parcimonie (la lecture du recueil de poème, la promenade sur l’Île-au-noir sous une pluie de vêtement), alors que la dernière rencontre de Fred et Laurence conclue de la manière la plus logique et juste qui soit une fresque amoureuse intense.

Outre un scénario original, le réalisateur Xavier Dolan a aussi décidé de jouer la carte de l’esthétique. D’une part, il y a ce format 4:3 surprenant, qui prend son sens dans plusieurs plans, puisque la sensation de symétrie y semble plus forte (le car-washing, la lecture des poèmes par exemple). C’est le cas pour de nombreux plans d’intérieurs, où le cadrage ressemble légèrement à celui de Wes Anderson. En tout cas, le film est beau, et proposent une diversité de plans intéressantes.

Par ailleurs, la réalisation marque un grand coup avec une bande-originale excellentissime. Au-delà d’une utilisation intelligente de morceaux de musique classique, le passage sur « Fade To Grey » est formidable, et on assiste à une véritable osmose entre l’image et le son. Quant aux acteurs, Melvil Poupaud est convaincant, même si ses sourires sont censés faire figurer n’importe quelle émotion. En revanche, Suzanne Clément crève l’écran. Finalement, on ne déplorera que quelques longueurs dans l’œuvre.

Une œuvre magnifique, alors même qu’elle n’approfondit finalement pas son sujet.
Kroakkroqgar
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le 19 janv. 2014

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Kroakkroqgar

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