L'eau rance du Québec et la sécheresse du cœur

Ma mini-thématique du moment est donc au film d'auteur semi-décevant.
Après La loi du marché, brûlot social sur fond d'une prestation exemplaire de Vincent Lindon mais malheureusement torpillée par une mise en scène un peu sale (encore un phobique du trépied et de la steadycam) et des enjeux transparents ou inexistants selon votre bonne humeur, voici donc venir ce Laurence anyways.


Le Dolan a souffert d'un handicap malheureusement commun mais difficile à complètement ignorer : le marketing environnemental. Quand plusieurs personnes de votre entourage, et surtout une qui compte beaucoup, vous vend le film à l'avance. À qualités égales, une attente forte desservira une copie assez moyenne à la base, là où des espoirs presque nuls peuvent sublimer un petit métrage gentillet.


Dans le fond, c'est une histoire d'amour élégamment menée. Les sentiments sont forts, le couple atypique et j'ai trouvé l'écriture du personnage de Fred (Suzanne Clément, encore une fois solaire dans ce film) juste et originale ce qu'il faut.
Le déséquilibre vient donc, vous l'aurez deviné, de Laurence. Proprement imbuvable dans les quinze à vingt premières minutes, il oscille par la suite entre le misérabilisme un peu ténu, l'extravagance compensatoire un tantinet caricaturale parfois mais toujours extrêmement fatigante pour l'auditoire, et un égocentrisme aussi insupportable et irritant que justifié.
Cet homme a trente ans de frustrations et de mensonge (à lui-même ou aux autres) à digérer, à exorciser, et il entend bien le faire au mépris complet de son entourage. Quitte à opter pour la victimisation quand les coups durs vont tomber (et ils n'y manqueront pas, au sens propre comme au figuré) et que lesdits proches lui fermeront la porte.


Je déplore par ailleurs, à l'instar du Brizé, des tics de caméra mais aussi des accès de folie furieuse grandiloquente propres à ce Dolan. Si je concédais quelque gimmicks un peu démagos dans Mommy, c'était la plupart du temps au service de l'histoire, la plupart du temps pour des scènes d'une durée raisonnable, et la portée des fantaisies visuelles restait acceptable. On sombre ici au contraire dans la facilité un peu crasse, avec des couleurs qui bavent comme dans un Only God Forgives, et des mouvements de caméra dignes d'un film de fin de cursus pour un étudiant en cinéma. Regardez ma grosse maîtrise, oh hé vous me voyez filmer là ? On dirait Adjani en train de jouer, oui...
Ça déconcentre beaucoup, j'ai même dormi un peu je le reconnais, parce que 2h40 c'est parfois long quand on fait pause sur le récit pour composer ses plans roses et bleus. Bref, délayer ainsi le propos n'apporte rien, bien au contraire. Et il ne s'agit pas juste de prendre le temps, ce qui est dans certains cas justifiable, voire agréable ; non il y avait pour moi des séquences entières qui ne racontaient rien, elles étaient là parce que Xavier voulait les faire. C'eût à l'extrême rigueur été excusable pour un premier film, ce que Laurence anyways n'est pas.


Et puis il y a de petites fulgurances. La scène de la salle de classe. Ou celle du restaurant. Retour à la sobriété de la mise en scène, des choix artistiques judicieux voire classieux, des dialogues ciselés au service d'acteurs en état de grâce font de ces petites bulles de génie autant de raisons poussant le spectateur à vouloir aller jusqu'au dénouement.
Car les questionnements ne manquent pas. Passons outre les lieux communs, ce film interpelle notamment sur un sujet traité à moultes reprises, mais peut-être jamais vraiment comme cela. La relation amoureuse, ses composantes, son alchimie, et peut-elle perdurer dans le schéma apparemment dysfonctionnel qui nous est exposé ?


Je ne répondrai évidemment pas à cette question, et vous invite malgré tout à aller chercher la réponse en voyant cette œuvre.
Pour imparfaite qu'elle soit, je l'estime sincère. Bien que brouillonne, elle véhicule des sentiments et émotions profonds et universels. Elle oblige à l'introspection et m'a, ce n'est pas anecdotique, obligé à formuler un constat diffile à admettre : les transsexuels continuent de me mettre mal à l'aise au cinéma comme dans la "vraie vie" , et cela a pu influencer mon ressenti, c'est même plus que probable.
C'est selon moi la preuve que les films comme Laurence anyways sont certainement trop rares, et qu'il faut absolument les regarder.

SeigneurAo
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le 29 mai 2015

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SeigneurAo

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