Le réalisateur Benh Zeitlin est un peu touche-à-tout dans le milieu. En témoigne son premier film, Les Bêtes Du Sud Sauvage, qu'il a mis en scène, co-écrit, et pour lequel il a participé dans la composition de la bande-son. Indirectement, cette versatilité me fait penser à Nick Cave, même s'il n'est jamais derrière la caméra, et au très récent Des Hommes Sans Loi. Eh bien, si le film de l'Allemand n'a pas les mêmes gros noms au casting, ni le même financement, il se montre tout aussi remarquable d’authenticité.

Propulsé dans ce bayou fictif de Louisiane du Sud, l'on y découvre une communauté pauvre, insalubre, à l'écart du monde, non pas par fatalité, mais par choix. Ils refusent presque le monde moderne, la ville, et s'occupent eux-mêmes de leurs soucis, sans quémander d'aide. Et qu'il y ait la tempête Katrina qui menace de s'abattre sur eux ne fait pas frémir les plus bornés qui refusent de s'en aller. Parmi ces fortes têtes, on y trouve nos deux protagonistes principaux. Il y a d'abord Wink, excellemment interprété par l'amateur Dwight Henry. Dans la volonté constante d'afficher une façade forte pour sa fille, Hushpuppy, il est intentionnellement dur envers elle, essayant d'écarter de quelconques sentiments de filiation et la reniant presque par instants. Perturbé, malade, caractériel, il n'hésite pas à mentir ou cacher la vérité à sa fille pour ne lui montrer que le monde sans pitié qu'il veut qu'elle voit.

Mais Hushpuppy a, elle aussi, un caractère bien trempée, et elle est obstinée. Tout cela, la jeune et brillante actrice de six ans (au tournage) qu'est Quvenzhané Wallis, le retransmet sans limite à travers son jeu qui force l’admitation. Et même si on l'entend davantage en voix off que dans les scènes du film où elle ne lâche qu’une ou deux phrases, ses expressions font d’elle un grand personnage. Dans son regard, on ne n’y lit pas qu’un banal miroir du script. On y lit toute une histoire, toute une croyance, une ambition, tout un idéal. La petite interprète un rôle avec plus de profondeurs qu’on ne lui accorde dans un premier temps, rendant son personnage attachant, et son innocence rend compatissant. Hushpuppy va découvrir le monde par elle-même, et doit y faire face avec le plus grand courage. Ainsi, son innocence troublante va très vite se transformer en maturité, et Quvenzhané transmet ce cheminement avec brio.

Les Bêtes Du Sud Sauvage tire également avantage d’une réalisation extrêmement intimiste et brute. Filmé sur pellicule, c'est en partie tout ce qui donne son âme à ce long-métrage, évitant d'offrir une image super esthétique, et conservant ce grain adéquat au côté rêche de cet environnement de nature farouche, de saleté, d’interactions sèches et sans pincettes entre les personnages.
L'autre aspect qui profite énormément à la réussite de l'œuvre, c'est d'avoir cette caméra à l'épaule. Elle bouge beaucoup et suit principalement Hushpuppy, s’imposant majoritairement comme reflet de sa vision du monde extérieur et de son état d'esprit du moment. Au plus proche de ses acteurs, Benh Zeitlin apporte ce côté intimiste, sincère absolument nécessaire. Si bien que l’on parfois l’impression de suivre un documentaire sur la vie de ces gens. Les cadrages ne sont pas précis, la focale non plus et la caméra se trouve souvent placée entre des branchages, des débris, juste dans le dos des acteurs, ou sous leur nez, et divers éléments se trouvent parfois dans le champ, laissant vraiment apparaître cette optique réaliste, cette impression de vraiment partager la vie des personnages, et de pouvoir comprendre leurs émotions. D'ailleurs, ce ne serait pas étonnant que beaucoup de scènes ait été improvisées (hormis l’axe principal scénarisé) tant les jeux semblent spontanés, justes, et tout simplement naturels.

Au bout du compte, on ne sait pas vraiment où le film va, où il veut nous emmener, ni quel est son but vis-à-vis de l’histoire, mais on se laisse porter par ces personnages bien vivants, les évènements qu’ils traversent, et leur mode de vie. Leur aventure est fascinante, prenante, et navigue entre les émotions, de la liberté au confinement, d’une joie innocente à des reproches cinglants, de cette envie de reconnaissance au délaissement affectif. Tout y est abordé, le film lorgnant quelques moments sur le fantastiques, ce qui permet de faire passer quelques séquences un peu grosses (la virée des enfants en mer) ou en deçà (l’hôpital, à mon goût). Le long-métrage de Zeitlin touche, emporte dans son univers, et laisse tout de même à réfléchir sur des phrases intelligentes récitées.
Effectivement, il y a quelques métaphores métaphysiques qui jonchent la narration d’Hushpuppy surtout. Des thèmes, comme la présence des Aurochs (rappelant alors Max Et Les Maximonstres), qui semblent juste être introduits et conclus et, à moins d'être fort en interprétation ou pour lire entre les lignes, il faudra aller chercher les explications du réalisateur pour comprendre qu'ils symbolisent soit cette enfance propice à s'imaginer un monde fantastique qui laisse place à l’âge adulte, soit cette relation avec la nature d’abord vue comme violente, puis qui finit par être comprise et permet à la fillette d’être alors en paix avec.

Enfin, la composante indispensable à la création de l’atmosphère si intense du film, c’est sa bande-originale. Écrite par le réalisateur, accompagné de Dan Romer, cette musique est tout simplement magique, laissant ressortir la part fantastique par le biais d’hymnes tonitruants, claironnants et victorieux. Les schémas se partagent entre profusion de synthé solennel, acoustique folklorique, percussions fortes, piano gracieux, violons sensibles, et autres instruments traditionnels, dans un ensemble dynamique, qui émerveille et dépayse. Des rythmes légers, festifs et joyeux aux textures plus sentencieuses, avec ce sentiment de grandeur qui renvoie au travail sublime de Martin Phipps sur le documentaire Britain In A Day, la bande-son draine complètement les émotions, apportant sensibilité et poésie, sur fond de sonorités cadiennes. Assurément une des plus belles BO de 2012 ; étonnant qu’elle n’ait pas fini dans la sélection des Oscars.

Avec sa première réalisation, Benh Zeitlin affiche l’extrême richesse des films indépendants. Créée avec le cœur, interprétée par des acteurs qui en étaient à leur première expérience devant la caméra, et brillamment orchestrée, cette œuvre respire d’honnêteté et de vigueur. L'histoire de cette communauté, et surtout de la protagoniste, est rendue vivifiante, et terriblement saisissante au travers d'un parallèle onirique avec la nature, digne de Terrence Malick. Les Bêtes Du Sud Sauvage rassemble ainsi tous ces petits éléments en une cohésion fascinante, qui ne manque pas de laisser pensif plusieurs heures durant.
AntoineRA
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Créée

le 1 mars 2013

Modifiée

le 2 mars 2013

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AntoineRA

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