La fin du monde selon LVT
"Melancholia" est le premier film de Lars von Trier que j'ai l'occasion de voir, et c'est le plus objectivement possible que je me suis rendu au cinéma : on oublie les différents avis, les "il aurait dû avoir la palme", "c'est qu'un nazi ce mec", "c'est un putain de génie", bref on tente de juger par soi-même.
Le film peut se diviser en trois segments : un prologue, une première partie intitulée "Justine" et une seconde, "Claire". Le prologue aurait gagné à plus de sobriété, malgré la beauté de quelques images -surtout les plans cosmiques sur les deux planètes- et le côté tragique qu'apporte la prolepse. Une version épurée, moins longue, aurait encore mieux rempli son rôle esthétique et dramatique. La première partie se suit sans trop de déplaisir, mais reste un peu plate : oui c'est bien filmé, caméra à l'épaule, dans de beaux tons dorés qui donnent l'impression d'évoluer en plein rêve ; oui les acteurs sont bons ; oui l'atmosphère s'installe, on sent venir le dérèglement intime et astral, étroitement liés, et c'est là le plus grand intérêt de cette partie ; mais on a l'impression désagréable et persistante que LVT veut nous montrer ce qui va être le coeur du film, avec de grands effets de manche, à savoir le personnage de Justine. C'est un peu lourd, un peu pompier par moments. Vient la seconde partie : soudain le film respire, s'émancipe des tons chargés de la partie précédente, s'épanouit dans les couleurs pâles -vert, bleu, gris- et offre presque une heure de grand cinéma. La narration est impeccablement maîtrisée, les acteurs en nombre réduit semblent même être meilleurs, chaque plan aère le film d'une beauté simple, calme, une beauté d'apocalypse tranquille à venir ; chaque image allie sérénité et angoisse jusqu'à l'anéantissement final. La planète Melancholia fascine, emplit tout l'écran, belle et menaçante.
On a souvent fait le parallèle entre le film de LVT et celui de Malick, parallèle il est vrai assez facile : deux films imparfaits, tour à tour trop démonstratifs et brillants ; d'un côté, le pessimisme le plus profond qui prend des allures de salut, une vision presque impatiente de la fin du monde, dont on peut se demander après coup s'il tient de la pose ou de la réelle "croyance ; de l'autre, une lumière créatrice aveuglante, des éclats de rayon d'une beauté folle, une narration qui se plie aux murmures des voix off, une longue genèse qui oscille entre l'universel et l'intime. Et si ma préférence va largement à "The Tree of Life", force est de constater les splendeurs astrales de "Melancholia".
Un très bon film, mais une moitié de chef d'oeuvre.