Miss Hokusai
6.4
Miss Hokusai

Long-métrage d'animation de Keiichi Hara (2015)

Hokusai (1760 – 1849) était un peintre connu et respecté au Japon qui vécu à Edo (l’ancienne Tokyo) et qui créa de très nombreux dessins, allant de « moineaux sur des grains de riz » aux peintures de 30 mètres de long en passant par la fameuse « Grande Vague de Kanagawa« .
Un artiste réputé qui n’est toutefois pas le centre d’intérêt de ce long-métrage; comme son nom l’indique, MISS HOKUSAI nous parle de la fille du peintre (O-Ei de son prénom/surnom) vivant forcément dans l’ombre de son père mais en fin de compte, tout aussi talentueuse.


Il y a dans MISS HOKUSAI une volonté de « dépeindre » une époque singulière et lointaine comme celle de l’ère d’Edo, en retranscrivant au mieux ce qui y était la vie quotidienne. Pour cela, Keiichi Hara compose chaque photogramme avec un souci maniaque du détail, rendant le quartier et ses divers lieux – marché, bordel, ou encore le fameux pont communautaire, tous très vivants.
Paradoxalement, il y a une opposition entre la précision de cet environnement et la caractérisation des personnages – hormis O-Ei. Celle-ci est, très étrangement, éloignée de l’aseptisation générale de l’animation japonaise, d’ailleurs observable chez la plupart des autres protagonistes du film (le lover, l’obsédé, la jeune ingénue, le mentor, etc. clichés de mangas)
O-Ei possède quant à elle ce physique distinctif qui la rend immédiatement unique: sourcils épais, traits durs, soucieux, et angoissés… Ces traits lui donnent un caractère très marqué, mais avant tout visuel, peu émotionnel; la personnalité d’O-Ei n’est jamais présentée par le dialogue ou les situations contextuelles mais plutôt, très progressivement, par les interactions qu’elle entretient avec les autres.
Ces « autres » sont bien sur les différents protagonistes (son père Tetsuzo, ses « amis », sa jeune sœur aveugle…), mais également l’aura de son père – qui est très distincte du personnage, et enfin l’art du dessin.
Si les interactions avec les deux premiers restent fonctionnels dans un premiers temps, la compréhension et la maîtrise du processus créatif est ce qui sort véritablement MISS HOKUSAI de son manque d’empathie. Peindre est ainsi représenté comme un combat mené contre des forces surnaturelles, divines, obscures, psychologiques, intérieures ou même élémentales; comprendre ces forces, c’est maîtriser cet art. Hors, cela demande un certain abandon dans l’immatériel et l’inconnu, une certaine confiance en soi… Et une certaine expérience du réel ! Keiichi Hara illustre ces véritables épreuves avec maestria, en mélangeant plusieurs styles d’animation (un peu comme dans le dernier Takahata) pour un résultat impressionnant, à la fois onirique et visuellement puissant.


C’est donc dans ces moments ou O-Ei cherche à maîtriser un dessin particulier que l’on apprend véritablement à la connaître.
Par extension, ce gain d’expérience très progressif donne plus de consistance à ses interactions avec les autres protagonistes; O-Ei apprend à découvrir ces subtilités qui façonnent l’être humain sous les apparences. Parallèlement, les personnages que nous pensions très caractérisés deviennent de plus en plus profonds; enfin, la maîtrise de l’art pictural permettra à O-Ei de prétendre à une légère rivalité avec son illustre papa, via un dialogue artistique d’égal à égal.
Ces interactions prennent donc de l’ampleur, jusqu’à fusionner complètement et ainsi façonner le propos du film: ce qui construit une personnalité relève autant de sa propre perception du monde que de ce que les autres nous apportent. MISS HOKUSAI milite ainsi pour un certain lien social à travers l’acharnement au travail, discours sans doute un peu naïf mais toujours d’actualité. Utiliser l’image comme O-Ei (et Tetsuzo) est un moyen d’y parvenir, de même que pour Keiichi Hara, réaliser un film sur ce sujet est un moyen de faire passer un message. Intelligemment, sujet, medium et mise en scène se rejoignent et transforment un film aux prétentions moindres en geste humaniste et fédérateur. Jolie morale malgré tout.


Critique par Georgeslechameau pour Le Blog du Cinéma

LeBlogDuCinéma
7
Écrit par

Créée

le 31 août 2015

Critique lue 681 fois

4 j'aime

Critique lue 681 fois

4

D'autres avis sur Miss Hokusai

Miss Hokusai
mxmxm
6

La Femme emportée par la vague

Il est difficile de deviner à quoi s’attendre quand on évoque Keiichi HARA ; après des années de fidélité au personnage de Doraemon et à la série Crayon Shin-Chan, HARA s’est illustré au cinéma en...

le 3 sept. 2015

15 j'aime

Miss Hokusai
sseb22
7

De la vague à l'âme

Miss Hokusai retrace une tranche de vie de O-Ei et sa famille, O-Ei étant la fille du célèbre peintre japonais connu sous le pseudonyme d'artiste Hokusai (l'un de ses 30 pseudonymes !). Keiichi Hara...

le 22 sept. 2015

11 j'aime

Miss Hokusai
Christoblog
4

Joli et inconsistant

J'avais trouvé très intéressant et original le précédent film de Keiichi Hara, Colorful. Je m'attendais donc à être enthousiasmé par Miss Hokuzai, porté par une critique très...

le 13 sept. 2015

10 j'aime

1

Du même critique

Buried
LeBlogDuCinéma
10

Critique de Buried par Le Blog Du Cinéma

Question : quels sont les points communs entre Cube, Saw, Devil, Frozen et Exam ? Ce sont tous des films à petit budget, dont le titre tient en un seul mot, et qui tournent autour du même concept :...

le 21 oct. 2010

43 j'aime

4

The Big Short - Le Casse du siècle
LeBlogDuCinéma
7

Critique de The Big Short - Le Casse du siècle par Le Blog Du Cinéma

En voyant arriver THE BIG SHORT, bien décidé à raconter les origines de la crise financière de la fin des années 2000, en mettant en avant les magouilles des banques et des traders, on repense...

le 16 déc. 2015

41 j'aime

Un tramway nommé désir
LeBlogDuCinéma
10

Critique de Un tramway nommé désir par Le Blog Du Cinéma

Réalisé en 1951 d’après une pièce de Tennessee Williams qu’Elia Kazan a lui-même monté à Broadway en 1947, Un Tramway Nommé Désir s’est rapidement élevé au rang de mythe cinématographique. Du texte...

le 22 nov. 2012

36 j'aime

4