Le temps des vacances est celui de l’insouciance, des disputes sans importance, des rencontres folles où tout semble possible. Le temps s’est arrêté dans ce coin de Normandie, terre d’accueil des voyageurs de passage.

La maison des deux jeunes femmes se transforme en paradis terrestre ; libres et sans contraintes, elles passent du vert protecteur du jardin au blanc lumineux de la plage, terrain de la séduction et de la tentation. Mais c’est volontairement que Marion et sa jeune cousine Pauline s’abandonnent aux premiers garçons de passage qui s’intéressent à elles. Pauline, plus en retrait, s’initie progressivement aux joies et aux tristesses de l’amour en suivant les agissements de sa grande cousine faussement ingénue. Les deux femmes vont faire l’expérience de la déception et du malheur ; trompés par les hommes rencontrés, elles préfèrent partir plutôt que de rester languir plus longtemps sur un terrain qu’elles ont déjà exploré suffisamment.

Les fêtes galantes

Le film se veut volontairement très allégorique. Le sujet des vacances n’est qu’un prétexte pour parler de la tentation terrestre. Comme dans la Genèse, le serpent, représenté ici par Henry, s’insinue dans le quotidien des vacancières. Tel Dieu disant à Adam et Ève de ne pas consommer le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, Pierre, l’éternel amoureux, à force de mise en garde, ne parvient qu’à renforcer la curiosité de Marion qui préfère prendre des risques plutôt que de vivre une existence paisible aux côtés de son vieil ami.

Car c’est bien l’imprévisible qui vient s’opposer à la monotonie de la vie dans le film : Pierre vient tous les jours faire de la planche à voile alors que Henry est plus dominateur, sans cesse à l’affut, son programme n’est pas défini. Dans ce film aux allures de représentations théâtrales, toutes les paroles et les gestes se transforment et viennent s’intégrer au jeu de la séduction. Les dialogues sont en effet faussement négligés mais derrière chaque mot transpire un calcul, une mise à distance nécessaire pour apprécier la réaction de l’autre. Même quand Pauline et sa cousine sont seules, elles ne sont pas complètement honnêtes l’une envers l’autre.

Une fable sous le signe du héros

Par sa mise en scène, Eric Rohmer réinterroge le mythe d’Hercule à la croisée des chemins. Dans ce mythe, rapporté par Xénophon dans ses Mémorables, Hercule doit choisir entre le Vice et la Vertu, entre la séduction facile et la voie difficile mais glorieuse de la raison. Ce choix est éludé par Pauline.

L’amour est au centre du film ; les personnages ne font qu’en parler et tourner autour. D’un côté, Marion défend l’idée que l’amour doit être immédiat, une passion ravageuse et brûlante qui nous laisse démunit. De l’autre, Pierre pense que l’amour se construit progressivement, la fidélité et le don de soi permettant au couple d’avoir une durée dans le temps. Pauline, quand à elle, ne fait pas de différence entre l’amour et l’amitié, elle ne cherche pas à prendre l’une ou l’autre de ces voies, elle se laisse aller. Ces vacances sont pour elle une manière de gagne en maturité. Devant le déni de Marion, la vérité crue de Pierre, la séduction ravageuse de Henry, elle ne cède pas.

La question de l’amour n’est pas le seul point de dissension du film puisque la vérité et le mensonge sont aussi étroitement liés ici. La vérité, incarnée par Pierre, est triste et sans attrait. Toute relation est bâtie sur une inégalité qui vient de toute manière perturber la bonne entente du couple. A quoi bon chercher à révéler cette vérité ? Faut-il pour autant tomber dans le piège facile d’une séduction hypocrite ?

Et si on allait à la plage ?

Pauline à la plage s’inscrit dans la série Comédie et proverbe de Rohmer. La morale du film est, comme dans toute fable, ironique et pourrait être entendue par la phrase de Chrétien de Troyes du début : "Qui trop parole, il se mesfait". A cela vient s’ajouter l’opposition forte entre les générations : les « jeunes » ont une relation bien plus authentique, plus libre que celle des « vieux » qui eux sont passés maîtres dans l’art de la duperie. Le masque de la tromperie ne s’est pas imprimé sur le visage de Pauline qui conserve toujours une certaine candeur et une pureté relative. Profitons des vacances et, comme Pauline, allons à la plage pour le pire et le meilleur.
FrançoisLP
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le 16 mai 2014

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FrançoisLP

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