Critique aujourd'hui d'un film sorti au tout début de l'année 2012 qui a suscité comme rarement l'enthousiasme quasi unanime de la presse spécialisée. Take Shelter est le second long-métrage de Jeff Nichols, après Shotgun Stories, qu'on annonce déjà comme le futur Malick. Forcément, il y avait de quoi attendre impatiemment ce film! Quant à savoir si la comparaison avec l'ami Terrence est pertinente sur ce film, je dirais que ce n'est pas si évident car il y a indéniablement une touche personnelle. La ressemblance serait davantage sur un plan technique et encore, la structure narrative est bel et bien différente. Mon analyse du film ne se basera donc pas sur une quelconque comparaison avec le maître américain. Take Shelter est un thriller psychologique indépendant qui aborde des thèmes intéressants et a le mérite d'être habilement construit. Est-ce suffisant pour en faire un grand film? Verdict



Le film se situe dans l'est des Etats-unis avec pour cadre scénaristique une famille de classe moyenne vivant dans un quartier résidentiel, tout ce qu'il y a de plus paisible. Le père, Curtis LaForche, est victime d'hallucinations et de paranoïa, avec des visions apocalyptiques qu'il croit prémonitoires. De ce fait ses peurs viscérales impacteront directement son entourage proche à savoir sa femme et sa petite fille sourde de naissance. L'occasion donc d'aborder le thème de la maladie mentale, de la schizophrénie qui est un sujet assez casse-gueule nécessitant une certaine connaissance du sujet mais également une manière de mettre en scène avec crédibilité l'illustration de ces maux. Fort heureusement, on évite la description médicale lourdingue pour se concentrer davantage sur des thèmes familiaux, intimes voire même sociaux (même si ce n'est pas l'aspect du film le plus reluisant)
Nichols s'appuie sur un scenario convaincant dans son ensemble, mêlant scènes cauchemardesques à la réalité, confondant le rationnel et l'irréel avec maîtrise sans pour autant que ce soit hyper transcendant à mes yeux. Déjà techniquement ce n'est pas follement palpitant même si globalement ça reste bien réalisé. Je reviens aux scènes cauchemardesques plutôt crédibles et en même temps assez angoissantes et oppressantes. Les quelques effets spéciaux utilisés sont plutôt bons même si les oiseaux en numérique ce n'est pas le top niveau esthétique, néanmoins le tout est parfaitement crédible et rend assez bien. L'atmosphère étouffante de ces scènes est un des points forts du film.

Une fois revenu dans les scènes "réelles" le film est un peu plus calme techniquement, pour ne pas dire plat. On a le droit à de belles séquences, une belle photographie mais les plans un peu insistants sur les regards, les expressions faciales ne m'ont pas chamboulé à l'inverse d'un Leone où les gros plans sur les visages faisaient partie d'un ensemble bien rôdé, sans lourdeur aucune, sans regards insistants un peu trop présents à mon goût dans le Nichols.
Mais ça ne reste qu'un détail, globalement on sent quand même qu'on a un metteur en scène talentueux derrière la caméra. Ce qui est bien également dans Take Shelter c'est que la frontière entre rêve et réalité est très mince, ce qui donne lieu à des scènes surprenantes qui contribuent à cette ambiance particulière, presque malsaine. C'est juste dommage que le réalisateur délivre trop de détails, ce n'était pas forcément nécessaire de connaître le "mal" dont souffre Curtis. Dans Shame sorti fin 2011 on suivait l'évolution d'un personnage victime d'une addiction sans en connaître la nature profonde et ça rendait cette évolution justement très fascinante. Certes comme je l'ai souligné au départ on évite l'analyse médicale du sujet mais ce petit manque de finesse était dispensable.



Le film pointe aussi du doigt le système social américain, par le biais notamment de la fillette atteinte de surdité. Nichols sort un peu les gros sabots afin de nous montrer que la sécurité sociale aux USA ce n'est pas le top. Certes il y a une part de vérité là-dedans mais je trouve que ça frôle le hors-sujet, le film n'avait pas besoin de ça et aurait très bien pu se cantonner à l'analyse psychologique du personne principal et des répercussions de son trouble mental sur ses proches.
Le protagoniste principal est un personnage ambigu, intéressant à observer et interprété avec brio par Michael Shannon qui, je l'espère, réapparaitra davantage à l'écran dans des rôles principaux. A ses côtés la douce Jessica Chastain, déjà remarquée (et remarquable) dans The Tree of Life, qui confirme qu'elle est une valeur montante sur la scène cinématographique américaine. Les autres membres du casting ne sont pas en reste, globalement l'interprétation est de grande qualité. La qualité de l'écriture des personnages est aussi remarquable, leurs intéractions sont authentiques, les dialogues sont simples mais étudiés car les troubles qui les agitent se ressentent parfaitement.

Alors que le synopsis du film a toutes les allures du film catastrophe, force est de constater que nous sommes loin d'un Twister. Take Shelter n'est pas un simple divertissement et a clairement l'ambition d'aller loin, de viser haut. La dénomination de film catastrophe ne lui collerait même pas, nous sommes davantage dans une approche psychologique du sujet. La relation que bâtit Curtis avec sa famille est intéressante, on sent que celui-ci a besoin de sa famille, qu'elle lui donne la stabilité nécessaire mais sa peur grandissante mettra en péril cette stabilité et peut ébrêcher cette solidité famiale vorie la briser sur le long terme. L'aspect sentimental du film n'est pas celui qui saute le plus aux yeux, mais la relation amoureuse entre Curtis et son épouse prend cependant pas mal de place dans l'intrigue et est traitée avec délicatesse et authenticité. Je n'en demandais pas plus.



Le thème de la fin du monde a été souvent repris au cinéma récemment (attention je ne parle pas de 2012, le film, le nanar pur et dur du maître Roland Emmerich) mais quand on voit des films comme Melancholia ou d'autres (je ne les citerais pas car ça peut spoiler) on comprend que c'est un thème qui inspire ces temps-ci, et lorsque c'est traité avec la manière et le talent (Roland si tu me lis) ça ne peut donner que du bon. Take Shelter fait partie de ce bon, l'apocalypse se passe dans la tête du personnage et on a toujours cette impression qu'elle peut avoir lieu à tout moment dans le film même si le rationnel reprend souvent le pas sur le reste. La fin du film reste d'ailleurs ouverte quant au dénouement de l'histoire. Sorti du film on reste dans l'incertitude, dans le questionnement, c'est un point que j'admire. Nous sommes loin de la prise de tête mobilisatrice de matière grise mais ça reste très intelligent.
Si je n'encenserais pas Take Shelter comme la presse l'a fait, je ne peux qu'appuyer les nombreuses qualités dont fait preuve le film. Ce n'est pas un grand moment de cinéma à mes yeux, il subsiste encore quelques défauts mais l'oeuvre est de qualité. C'est intéressant, plutôt envoûtant et ça fait globalement preuve d'intelligence hormis un petit un manque de finesse. Toutefois c'est un film à voir, c'est toujours un plaisir de voir ce genre de films dans le paysage cinématographique actuel surtout qu'il réserve quand même son petit lot de surprises.
Moorhuhn
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le 18 avr. 2012

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