Après son remarqué Shotgun Stories, Jeff Nichols fut consacré cette année lors de la Semaine de la Critique à Cannes avec Take Shelter, chronique sociale et familiale matinée d'ambiance paranoïaque. Le film choisit, dès l'introduction, de s'axer sur son personnage principal et sur ces visions cauchemardesques qui gangréneront progressivement sa vie tout comme celle de son entourage. Curtis La Forge, mari et père de famille tranquille, devient en effet rapidement persuadé qu'une tempête étrange se prépare et se convainc qu'il doit tout mettre en œuvre pour se protéger.

On retrouve dans le film de Nichols quelques thèmes forts du cinéma indépendant d'outre-Atlantique : une ruralité tombée dans l'oubli, la sécurité en apparence protectrice d'une vie répétitive, la cellule familiale comme rempart faillible à la violence extérieure, etc. En y ajoutant une dimension apocalyptique, le réalisateur se démarque cependant de la représentation d'un danger imminent généralement incarné de l'intérieur – on pensera parfois à Sam Peckinpah – pour le déplacer vers quelque chose de plus diffus, incontrôlable, qu'est celui engendré par la nature.

Take Shelter placera alors sans cesse son personnage entre ciel et terre, le premier élément étant source d'angoisse, changeant et imprévisible, là où l'autre est tangible, façonné par la main de l'homme, source de vie. La photo d'Adam Stone, habitué aux documentaires, souligne du reste brillamment cette dichotomie, tout en douceur froide.

Mais si formellement le film est une réussite, il pêche par une écriture approximative et un sérieux manque de rythme. Nichols a voulu rendre cette montée graduelle de l'angoisse qui s'empare de Curtis en privilégiant les silences et les plans fixes, ce qui pour résultat de lénifier toute la seconde partie du film, bien trop longue. La faute probablement à une mise en scène qui ne nous implique pas émotionnellement, multipliant maladroitement les pistes afin d'appréhender cette paranoïa envahissante. Car si la soudaineté de la peur panique est parfaitement rendue, Nichols se sert d'une symbolique trop appuyée pour illustrer son propos.

Les différentes clefs permettant de saisir la personnalité de Curtis ne seront finalement qu'effleurées, bien trop simplistes pour qu'elles permettent d'élever Take Shelter au-delà du métrage anecdotique. La question de la maladie mentale – la mère du personnage principal étant schizophrénique depuis des années – constitue une peur supplémentaire mais qui est vite balayée par quelques scènes de justifications approximatives. Idem pour la crise économique qui sous-tend le film, Nichols explicitant chaque détail : les crédits qui pèsent sur la famille, les difficultés d'accès aux soins médicaux ou l'appréhension du chômage. Assez inutiles tant on comprend immédiatement dans quelle situation se trouve cette famille figurant la middle class américaine, ces plans extrêmement répétitifs alourdissent la narration, galvaudant l'onirisme et la poésie du film.

Si Michael Shannon et surtout Jessica Chastain, solaire et tout en colère intériorisée, sont très justes ; là encore le réalisateur ne sort pas des sentiers battus dans sa façon de présenter un couple en crise. L'amour et l'attachement à leur fille sourde-muette devant sortir Curtis de son délire psychotique ne sont pas suffisamment exploités, ne nous permettant pas de nous sentir touchés par ce lien censément salvateur.

Le final contraste alors étonnamment avec l'ensemble du film, osé et dénotant d'une vraie prise de risque. Nichols cesse enfin de nous prendre par la main pour nous déstabiliser, ce qui amène son film dans une dimension bien plus intéressante. Dommage donc qu'en dehors de quelques séquences saisissantes, Take Shelter n'ait pas suivi cette voie tout du long, restant bien trop sage et convenu.
Miho
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le 12 juin 2011

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