The Canyons : un film vide ... Mais qui plaide coupable !

Les images de cinémas désertés qui jalonnent le dernier long métrage de Paul Shrader et qui ouvrent le film postulent purement et simplement la mort du cinéma. Alors comment blâmer la vacuité d’un film qui déclare d’emblée la mort de l’illusion cinématographique ?

La longue scène d’ouverture pourrait presque faire penser à une ambiance apocalyptique, teintée de crise et met en scène presque un monde parallèle, où tous les cinémas seraient désertés. Et c’est dans ce contexte qu’on nous balance du très gros name dropping : Brett Easton Ellis à l’écriture, Lindsay Lohan en culotte, James Deen (un gros nom dans le milieu du porno paraît-il), Paul Shrader à la caméra : on nous annonce ainsi le format festival du film, mais on se touche déjà à l’idée de voir tout ce que ce beau p’tit monde nous a concocté !

Et c’est donc juste après le générique que le film commence à diviser, pourquoi ? Parce qu’une partie de moi a vu un soap un peu longuet avec des personnages vides, sans aucune intériorité, qui n’avaient rien d’autre à montrer qu’eux-mêmes. Le plaisir de retrouver Lindsay Lohan après tant d’années de galères est balancé par le rôle très malaisant qu’elle « joue ». Les acteurs incarnés d’une façon assez troublante leur personnage publique et le film joue énormément sur cette facette de la mythologie des acteurs, puisque l’ex Disney Princess est désormais ultra botoxée, droguée mais quand même superficielle et vénale, prête à tout pour conserver son California-bling-ring-lifestyle, et James Deen, un queutard de producteur macho complètement désabusé qui organise des plans culs tous les soirs qu’il filme avec son téléphone ( je crois d’ailleurs qu’il y a un traveling qui a juste pour but de nous montrer la marque du bidule parce que c’est bon, on avait compris que ça enregistrait.) Un personnage somme tout assez bien nourri de l’imaginaire collectif sur la sexualité brisée d’une Porn Star me semble-t-il hum. Et Bon on le transforme en millionnaire, parce qu'Ellis préfère les riches, et on le fait tuer quelqu’un, parce qu'Ellis préfère quand on tue des gens. Bref, un sentiment que tout le monde fait ce qu’il sait le mieux faire et qu’on devrait se contenter de ça.

Et on pourrait parce que franchement le tout se tient d’une certaine façon, avec la touche très esthétisante de Shrader qui nourrit son film d’une bande son coldwave qui donne un aspect très nihiliste contemplatif, notamment avec cette petite perle Gold Zebra – Love, French, Better qui ferait plaisir à toutes les groupies du Drive de Nicolas Winding Refn. Mais ça serait passé à côté du contenu idéologique du film, et du discours du film sur l’Art. Comme mentionné précédemment, le film joue sur la confusion du spectateur entre le personnage de Tara et le personnage publique de Lindsay Lohan, ce qui amènera Christian (incarné par James Deen) à lui dire « qu’il n’y a plus de vie privée ». Quand ce dernier tue son ex, clairement c’est la pornographie qui assassine son ex amant le cinéma, l’art. L’illusion est morte, la transparence est dictature et ainsi l’ironie perpétuelle. Il ne reste plus à Shrader de filmer la vacuité de personnages nourris eux mêmes de personnages vides, dans une orgie d’images colorées et la boucle est bouclée.

C’est là où le film peut rejoindre les plus virulentes critiques de Baudrillard à l’égard de l’Art Contemporain puisque le crime restera impuni, la pornographie a donc triomphé, et son essence a désormais envahi les autres canaux de la publicité à la télévision, alternant tantôt l’injonction à rire, tantôt l’injonction à jouir, partout. Tout le temps. L’écran est divin : le téléphone est ainsi un agent clé du non récit qui nous est déroulé, c’est à travers lui que James Deen voit des inconnues, filme ses propres films, regarde sa copine se faire baiser. Mais rassurez-vous il voit un psy une fois par semaine, ça va.

On ne peut donc pas simplement blâmer The Canyons de ne vendre que lui même et son casting prestigieux, parce qu’il le revendique. Raphael Enthoven résume la question dans une chronique sur France Culture au sujet de Lady Gaga : « Comment blâmer la personne qui ment, si elle s’en vante ? L’époque ne sait que faire de ces produits qui plaident coupables. De ces images sans arrières mondes. » The Canyons divise, c’est un film qu’on adorera détester.
yüri_yüri
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le 30 mars 2014

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