Il m'aura fallu plusieurs visionnages avant de comprendre ce film. Avant de l'apprécier. Et je pense qu'il m'en faudra encore plusieurs pour le comprendre encore davantage. C'est le genre de films où chaque visionnage est différent, et meilleur que le précédent.


C'est un film intriguant, mais que l'on sent très affirmé au travers de sa mise en scène: sa réalisatrice a passé du temps à le travailler, et sait parfaitement ce que son film a à dire, ce qu'il doit montrer et comment il doit le montrer, quel message il doit faire passer. Même si "A girl..." peut être vu comme une œuvre égoïste et prétentieuse qui n'explicite pas assez où elle veut en venir, on peut également le prendre comme un film qui, pour peu que le spectateur soit patient, lui donne des indices pour reconstituer un puzzle assez complexe. Qui est cette fille? Que veut-elle? Quelle est cette ville dans laquelle évoluent les personnages? Quelque chose ne va pas à Bad City, mais quoi? Comment ces âmes perdues que sont Arash, Hotti, Hossein, en sont-elles arrivés là?Pourquoi mademoiselle Shayddah a-t-elle le nez cassé? (j'admets que c'est une question idiote, mais elle ne cesse de me turlupiner depuis mon premier visionnage). Le film ne répond pas directement à ces questions, mais donne quelques pistes. Je pense qu'aucune scène n'est laissée au hasard; même le choix du noir et blanc et de la musique ne sont pas anodins (petite parenthèse sur la musique: très, très bonne. Il existe des bandes sonores qui perdent toute leur saveur une fois écoutées séparément du film, mais je vous assure que ce n'est pas le cas de celle-ci. Mis à part un ou deux morceaux pas terribles, le reste est succulent).


Dans cette ville étrange qu'est Bad City, les personnages (portés par des acteurs très charismatiques) marchent, se croisent, prennent conscience de l'existence des uns et des autres, se suivent, s'observent, se décryptent. Parmi ces six protagonistes (tous assez intéressants), je distinguerai deux catégories:


-Les personnages antipathiques, hautains, vaguement prédateurs, qui font parfois le mal, plus ou moins consciemment: il s'agit de Saeed, le dealer-proxo qui fait chanter Arash et brutalise Hotti; le personnage le plus grotesque du film, que l'on regarde mourir sans regrets.


Il s'agit de Shayddah, la gosse de riches qui ne pense qu'à se droguer et à faire la teuf, cette fille superficielle dont seul le nez cassé m'a intriguée, et m'a fait soupçonner qu'il y ait quelque chose de plus profond derrière cette façade d'enfant gâtée.


Il s'agit enfin d'Hossein, le vieux junkie, véritable parasite pour son fils, qui sort un peu du lot dans la mesure où il paraît avoir une certaine dose d'humanité, et où il cause du tort sans vraiment s'en rendre compte.


-Les personnages empathiques, sensibles, dont on sent qu'ils se demandent ce qu'ils foutent dans cette ville, sans vraiment trouver le moyen d'en partir. Ceux-là sont incarnés pas Hotti, prostituée peu satisfaite de sa condition, que les hommes voient comme un objet; un personnage triste et résigné, replié sur lui-même, comme détruit de l'intérieur; on sent cependant, à un moment du film, qu'elle a peut-être un but dans la vie; un espoir aussi grand que celui qui règne dans les Batman de Nolan, pour vous donner une iddée.


Il y a également Arash, le jeune homme qui n'en est pas encore arrivé au degré de désespoir d'Hotti, et qui garde bon espoir de jouer la fille de l'air. Seulement, retenu par son vieux père et n'ayant pas encore les moyens monétaires de se construire une vie ailleurs, il ronge son frein et accumule les petits boulots pour subsister et nourrir l'auteur de ses jours, dont la présence l'insupporte de plus en plus; au début du film, son unique signe de réussite, celui qui signifie "je vaux mieux que cette vie de misère et croyez-le ou non, les gars, un jour ou l'autre, je me barrerai!" est sa voiture. Une bien belle voiture, il est vrai. Evidemment, il est beau. Et il aime les chats. Que dire de plus?


Et bien sûr, il y a la fille. La fille vampire, voilée et silencieuse, mélomane et skateuse, qui ne sort que la nuit pour ses repas nocturnes. Une fille qui semble dans son monde, et dont les activités noctambules ont également un autre but: tenter de comprendre cet univers humain dont elle ne fait pas partie, ces êtres dont elle ne saisit pas le sens des actions; elle se maintient à distance d'eux, mais ne peut s'empêcher de les suivre, intriguée, telle une autiste Asperger face à un groupe de neurotypiques. Elle ne sourit jamais et rechigne à donner des gestes d'affection, mais protège sans hésiter les deux autres personnages perdus de l'histoire (beaucoup ont argué que c'était un film féministe parce que la fille, en tuant Saeed et Hossein, sauvait Hotti. Mais il ne vous est jamais venu à l'esprit qu'indirectement, c'était aussi Arash qu'elle libérait d'un joug? Le dealer et le vieux junkie exercent tous les deux une emprise malfaisante sur Hotti et Arash, chacun à leur manière). Par ces deux meurtres, elle détruit une par une les attaches qui retiennent encore ses protégés à Bad City. De loin le personnage le plus intéressant, car le plus conscient de sa situation, celui qui tente de faire comprendre aux autres (et au spectateur) le problème avec cette ville, qui punit ceux qui la pourrissent, et qui tend la main aux autres pour les sortir de là.


En somme, un film intriguant, visuellement très beau, travaillé, dont les personnages, certes peut-être un peu simplistes (hormis la fille, qui reste pour moi inégalable en matière de force et de grâce), n'en restent pas moins très intéressants, à la bande-son chiadée, et dont l'histoire, pour peu que l'on prenne le temps de réfléchir dessus, est sans doute moins vide, décousue et chiante qu'elle ne peut paraître au premier abord. On se rend petit à petit compte qu'elle possède une cohérence, qu'elle a quelque chose à dire. Et en prime, c'est un film qui propose une figure féminine forte et imposante. Je pense qu'il mérite que vous lui consacriez votre attention, au moins pour un soir, et plus si affinités. Bon visionnage...

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le 25 mars 2017

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Dany Selwyn

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