Une retranscription et une relecture intéressante même si...

Et pour ce soir :


A l’Ouest, Rien de Nouveau, 2022, d’Edward Berger, avec Felix Kammerer dans le rôle de Paul Baümer.


Synopsis boueux : 1917. Paul et ses amis aux lycées, galvanisés par les discours patriotiques de ses professeurs convaincus du bien fondés de la guerre, s’engagent dans l’armée allemande. Pour eux, ce n’est l’affaire que de 3 semaines, tout au plus, avant d’arriver à Paris. Ils ignorent la réalité sagement cachée par leurs enseignants. La réalité, c’est une tranchée, la mort venue du ciel, les charges contre des positions ennemis, les blessures, l’odeur du sang, la faim, la peur, le froid. 18 mois après son incorporation, la guerre touche à sa fin, dans la froideur de novembre. Pourtant, la brutalité de la guerre et la bêtise d’officiers au chaud et loin du front ont bien l’intention de rappeler qu’aucune guerre ne se termine paisiblement.


Parler de « A l’Ouest, rien de nouveau » nécessite de parler forcément pour moi du roman de Erich Maria Remarque. Lui a été mobilisée à l’inverse de son héros qui s’engage mais il va lui faire vivre les mêmes horreurs qu’il a vécu durant le conflit. Le film prend le parti de s’éloigner pas mal du livre sans forcément négliger les thèmes. Le personnage du caporal Himmelstoss n’est pas présent, Paul n’entre en guerre qu’en 1917 et pas au début et le destin de certains personnages n’est pas le même, dont notamment la fin qui dévie un peu, mais qui rend le tout plus grinçant.


Du coup, il y a deux questions à se poser pour ce genre de film :


1) Un film doit-il être jugé à l’aune de son matériau de base ?

2) Est-ce que c’est un bon film de guerre ? (Et, par extension, c’est quoi un bon film de guerre ?)


Pour ma part, même si j’aime beaucoup le livre, je lui pardonne globalement ses choix et le fait qu’il ne colle pas sur de nombreux points sur sa base. Parce que les thématiques du film sont globalement toute bien présentes. On y trouve donc la vie dans les tranchés, la stupidité de la guerre, la camaraderie comme unique lien de vie, la boue, la déconnexion avec l’horreur du quotidien des officiers supérieurs, la peur, la perte de l’innocence. Il n’empêche qu’il manque pourtant un point vraiment important du livre, qui est la vie en permission, quand Paul revient chez lui et que personne n’arrive à comprendre ou croire ce qu’il se passe vraiment dans les tranchées. Quant au bourrage de crâne des vieux profs qui ont tout fait pour les envoyer dans cette immense boucherie à ciel ouverts, elle est abordée au début mais assez rapidement tout de même.


Donc, pour répondre à la première question, non, un film ne devrait pas être jugé à l’aune de son origine, mais bel et bien pour ce qu’il est, une pièce qui doit se suffire à elle-même. Et globalement, A l’Ouest, Rien de Nouveau coche les bonnes cases.


Vient le second point. Et là, je serais un peu plus critique. Le film commence en 1917 puis part très vite au 8 novembre 1918. On suit en parallèle les discussions dans le train pour discuter de l’Armistice. Cette partie, bien qu’intéressante, a tendance à surcharger le récit. Comme si son réalisateur voulait à tout prix ne rien oublier de cette histoire, et rajouter davantage de tragédie au récit, rendant tous ces morts dans les deux camps encore plus aberrant. C’est dommage, parce qu’à vouloir tout caser, il en oublie des points qui auraient été intéressant à aborder, comme la vie à l’arrière du front (mais son scénario et son ellipse de 18 mois l’empêchent d’en parler, je présume). Cependant, l’horreur des tranchées, la boue, le froid, les blessures et la violence quotidienne sont très bien retranscrite. D’ailleurs, le film n’est EVIDEMMENT pas à l’attention de tout le monde, parce qu’il y a de la bidoche mélangée à la boue crasseuse et des morts parfois atroces.


Et c’est là que j’ai envie de répondre à la question « c’est quoi, un bon film de guerre ? ». Bien que plus rare aujourd’hui, on trouve encore des films ayant tendance à, au pire, glorifier le conflit armé, sinon à le justifier avec tous les arguments possibles (coucou, Du Sang et des Larmes). Un bon film de guerre, lui, doit ne marteler qu’une seule chose : La guerre est une horreur, y arriver doit être vécue comme le pire des échecs, et l’objectif est d’en sortir le plus vite possible, en n’oubliant pas de tirer la chasse d’eau avec ces traces de merde où on peut lire bravoure, honneur et patrie. Donc, quand Michael Bay te pond cette dégueulasserie de Pearl Harbor, quand John Wayne décide d’arrêter de tuer des indiens pour justifier le Vietnam ou enfin quand on arrive au cinéma Reaganien avec ses héros bodybuildés qui gagnent des guerres juste (comprendre, justifiées selon des valeurs très pro-US), on sait qu’on a affaire non pas à un film de guerre mais à un film de propagande (et souvent à de la merde au pire honteuse, sinon nanardesque si pris au second degrés).

Là, pas un seul instant la guerre n’est justifiée. Personne ne la veut, personne ne la comprend, et les seuls qui ne correspondent pas à cette description sont au chaud, loin de la boue. Les gens meurent par paquet de 200, dans le froid, seuls et avec une sauvagerie qui dépasse l’imagination. En ce sens, A l’Ouest, Rien de Nouveau réussi pleinement à être un bon film de guerre. Pas de héros. Pas d’honneurs, pas de bravoure, juste espérer voir le jour se lever une nouvelle fois en sachant qu’avec tout ce qui a été vécu, une part de tous ces gens est déjà morte, et eux suivront très probablement très vite.


Quant à la fin du film, j’ai envie d’en parler. Le sens du titre du livre vient d’une transmission radio qui, à la fin du roman, dit que rien n’a changé sur le front de l’ouest, qu’il ne s’est rien passé. Comprenez que tous les assauts de part et d’autre n’ont rien changés aux positions d’origines. Le film fait un encart précisant que les positions entre le début de la guerre et sa fin n’ont quasiment pas bougés, tout au plus des centaines de mètres, ce qui rend le tout encore plus absurde. Et le film décide de se conclure le 11 novembre à 11h, date et heure de l’Armistice. L’idée est de montrer les dernières minutes de la guerre et, par opposition, toute l’étrangeté de la guerre avec ce moment où le cessez-le-feu entre en vigueur et où allemands et alliés s’arrête, marchent dans la même tranchée, côte à côte, comme si de rien n’était, tout en accentuant l’horreur que représente le fait de mourir à quelques instants du clap final de ce spectacle plus que macabre. Quel dommage que le titre ne soit pas expliqué rapidement au final, comme dans le livre. Je sais que j’ai dit qu’on doit juger le film pour ce qu’il est, et pas vis-à-vis du livre, mais c’était un point qui, je trouvais, rendait l’épopée de Paul encore plus « insignifiante ». Bon, le choix du film retranscrit cet effet quand même pas mal.


Bref, si on excepte ces quelques détails (ainsi que la musique, avec ses reflets électroniques qui sonnent bizarre par moment), cette nouvelle adaptation n’a pas à rougir avec les précédentes et le travail réalisé sur le film force le respect.


7,5/10

Tony_Gendron
7
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le 28 nov. 2022

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Tony Gendron

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